LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°88


Éditorial

« Générer le chaos, voilà la stratégie. Le chaos local peut se confondre avec le chaos mondial. Les pays civilisés se targuent de ne plus faire la guerre, ils lancent leurs bombes de loin, et que les populations locales se débrouillent ! Cela a l’air irresponsable. Mais ces frappes chirurgicales ont un objectif très précis : rendre le pays ingouvernable. Il faut détruire l’unité...
La guerre – voilà le nouvel ordre établi, l’unique aspiration de la nomenklatura démocratique. Orwell avait prédit que le nouvel ordre mondial aurait pour slogan « la guerre c’est la paix ». C’est bien ce qui se passe. Nous constatons une guerre civile sans fin. »
Maxime Kantor : La stratégie du chaos, in Courrier international n° 1196 3/9 octobre 2013 (p.59)

Pour cet avant-dernier numéro de 2018, le numéro 88, TK-21 LaRevue poursuit ses investigations et ses voyages entre des univers culturels, des pratiques artistiques et des lectures qui dans la réalité ont peu de chance de se croiser et qui pourtant constituent « notre monde ».

Très actif sur les réseaux sociaux en ce moment, l’inventeur du territoire du mètre carré artistique, Fred Forest, investit TK-21 LaRevue avec un entretien en deux parties, réalisé par Martial Verdier. Il y évoque, cette fois, La bourse de l’imaginaire, une action menée au centre Pompidou en 1982. Il en profite pour mettre au clair non seulement les fondements de sa démarche mais les attendus de sa pratique. Jean-Louis Poitevin, de son côté, accompagne ce moment de parole libre d’une réflexion sur la notion de dispositif qui prend chez Fred Forest une signification organisationnelle !

Nous présentons le dernier volet de l’entretien que nous ont accordé Marie Azevedo, directrice et fondatrice de Resocom, Gilles Boisaubert et Christophe C., réalisé par Hervé Bernard. Nous y apprenons comment se met en place la fraude à l’identité et comment ce phénomène de société est en train de fragiliser la vie de tous. C’est aussi le moment que choisit Jean-Louis Poitevin pour revenir sur quelques enjeux philosophiques qui découlent de ces pratiques qui nous touchent au cœur, puisque c’est de l’usage frauduleux de notre nom qu’il s’agit et donc de l’image que nous avons de nous-même.

Invité jusqu’en juin 2019, Alexander Kluge, qui reviendra « en live » le mois prochain, est ici présent à travers l’analyse des deux premiers volumes actuellement publiés chez P.O.L. de sa Chronique des sentiments. Jean-Louis Poitevin évoque l’âme qui grelotte et, à travers elle, la manière dont nous sommes tous « saisis » dans et par cette écriture apparemment impersonnelle, pourtant capable de faire se lever en nous des émotions inattendues.

Jean-Louis Poitevin publie dans sa logiconochronie XXXII le dernier moment d’un court texte datant de 2006, prémisses d’une réflexion sur la conscience qu’il a poursuivie jusqu’à aujourd’hui et qui commence ainsi : « Et ils désirent avec avidité lire encore des romans ! »

Dominique Moulon nous fait la joie de nous confier un nouveau texte, un voyage dans le futur qui a commencé hier et qui nous enveloppera encore demain. En effet, « c’est dans la laiterie désaffectée d’un quartier en phase de gentrification d’Eindhoven que la curatrice Ine Gevers questionne notre relation aux robots de toutes natures. Car ces machines autonomes des temps modernes, après avoir investi nos imaginaires, se sont lancées à la conquête de nos environnements quotidiens. » Attention de ne pas tomber dans une trappe temporelle, car là où se tiennent les robots, la science-fiction n’est pas loin.

CHARBON nous fait entrer dans l’intimité de la scène alternative parisienne. Ce livre remarquable qui vient de sortir chez Kahl Editions, en collaboration avec le collectif Black New Black dresse le portrait d’une nouvelle génération d’artistes : auteurs, photographes, illustrateurs, performeurs, musiciens, poètes. Il rassemble pas moins de 50 intervenants, avec un point commun, montrer une singularité créative à Paris. Mais c’est plus et mieux qu’un livre. « Le "milieu underground" est pure cosa mentale. Jamais on n’écrira de sociologie de l’underground. Car le sous-sol dont il est question est (pour l’essentiel) celui de nos imaginaires », écrit d’entrée Guillaume de Sardes. Bienvenue donc dans ce monde qui, une fois le livre ouvert, deviendra le vôtre.

La galerie Baudoin Lebon a présenté lors de Paris-Photo, et dans la galerie même, une exposition hommage à Gérard Rondeau disparu il y a deux ans. Jean-Louis Poitevin qui l’avait rencontré il y a quelques années republie à cette occasion le texte qu’il avait écrit pour un livre paru aux éditions Fage.

Martial Verdier et Xavier Pinon se lancent dans une aventure singulière et forte, celle de partir à la découverte de la ville de Longwy et de ses environs en vue de dresser un portrait photographique du Bassin de Longwy, 40 ans après l’annonce du 3e plan acier. Ils présentent ici leur projet que TK-21 suivra et documentera par des images et des textes au cours de l’aventure.

Dans le cadre de ses échanges avec la revue en ligne Corridor Eléphant, TK-21 LaRevue accueille les images de Thierry Lathoud qui remarque dans la présentation de son travail qu’« autodidacte, influencé par les mouvements supprématiste et impressionniste, il souhaite donner à sa photographie, une orientation particulière et singulière de sa vision des espaces urbains, des paysages ou des personnes. »

TK-21 LaRevue
a aussi repéré le travail de Benjamin Lebrun qui avec « Le centre des loisirs » nous fait découvrir un projet de mise en scène, dans un décor choisi, celui des zones commerciales périurbaines — actuelles, anciennes ou en friche —, avec des modèles jouant le rôle de consommateurs « décomplexés ».

Fidèle à son engagement pour TK-21 LaRevue, l’artiste et critique Jaewook Lee nous fait découvrir aujourd’hui l’une de ses dernières œuvres, une vidéo qui nous empêche d’oublier que « The United States in the 19th and early 20th century was an incredibly racist society. » Il se penche particulièrement sur le racisme anti-asiatique mais surtout nous fait prendre conscience que l’histoire semble parfois ne pas véritablement avancer !

Laetitia Bischoff, poétesse vivant dans les montagnes, voyage aussi régulièrement pour étancher sa soif d’art. Elle revient avec une chronique relative à une ville où elle a fait une expérience radicale : « Lors d’un séjour à Berlin, j’ai fait l’expérience de ce qui vide le corps, de ce qui le renverse, de ce qui le lave et le relève. » Cette radicale dans les parages du vide est à ne manquer sous aucun prétexte !

Attentive à ce qui se passe dans certaines galeries, TK-21 LaRevue a suivi l’injonction de la Galerie Hors-Champs et rend compte ici de la première exposition monographique des peintures de Catherine Ludeau, qui mettent en scène « cette écorce que revêt le temps ». L’ensemble forme un poème contemplatif fait d’interrogations métaphysiques et d’impressions immersives. Ce travail est porté par un texte inspiré d’Hannibal Volkoff.

TK-21 LaRevue poursuit son compagnonnage avec les vidéos courtes de Frédéric Atlan. Jean-Louis Poitevin s’est emparé de La levée des corps pour comprendre en quoi des images apparemment banales nous conduisent vers des méditations nécessaires. « Je ne suis pas cela ! Voilà le cri qui sourd de toute chair quand elle est confrontée à une vision de la chair, de la viande qu’elle est et qu’elle ne peut finalement jamais voir vraiment, sinon comme image, sinon mise à nu parce que morte comme celle que nous offrent si généreusement ces animaux que l’on a tués et dépecés pour pouvoir les ingérer. »

TK-21 LaRevue
s’installe dans des collaborations durables. Avec Guillaume Dimanche nous poursuivons un voyage au Qatar qui ici prend le visage d’un désert, d’une terre de sable, d’une ville en construction. Attention surprise !

Un jeune commissaire, Télémaque Masson lance un projet collectif un peu décalé autour des fantômes, à partir d’un entretien de Jacques Derrida avec Pascale Ogier. Les contours du projet restent flous mais l’enjeu est d’une actualité presque brûlante surtout quand le texte Kairos que nous publions ici, s’ouvre par une citation de Chris Marker qui commence ainsi : « Le texte ne commente pas plus les images que les images n’illustrent le texte. »

« Aujourd’hui presque rien, des cafés, des boutiques, des maisons à l’abandon, des gens qui vivent là aussi, travaillent là, dans ce village que les voitures et les camions ont déserté, tous avalés et recrachés par l’autoroute située à quelques centaines de mètres de l’ancienne route le traversant. » Jean-Louis Poitevin, acteur involontaire d’une facétie vidéastique, publie cette anti-œuvre et anti-document de Helmut Groschup qui nous transporte dans l’ancien village frontière entre le Tyrol du nord, autrichien, et le Tyrol du sud, devenu italien par le traité de Saint-Germain-en-Laye en 1919.

Dans ce numéro s’achève la publication de Mémento du Chant des archers de Shu, un inédit que le poète Werner Lambersy nous a fait le plaisir de nous offrir. « La réalité récite l’unique poème / Et nous ne voyons pas / Ce qui se trouve sous les regards. » Changerons-nous jamais, nous les humains ?

Alain Cœlho poursuit pour et avec TK-21 LaRevue l’écriture d’Images d’aurore, une méditation sur ses jeunes années passées à Tunis. Il faut le suivre au gré de son écriture flamboyante dans ce Tunis disparu qu’il fait renaître pour nous. « Il n’y avait pas seulement à Tunis, en ces années, en cette fin du protectorat français, tout un monde des personnes, des senteurs, des langues différentes se croisant, le français, l’arabe, l’italien et l’espagnol parfois, des cris, des voix, des rires, des ruelles, des vêtements, des récits et des formes étranges, des arches, des pierres, des remparts au soleil, des voitures, des avenues et des couleurs, mais plus denses et disparus pour moi, il y avait les battements de la cité. »

Joël Roussiez revient avec trois textes très courts mais d’une vitalité qui transcende les images qu’ils font se lever en nous tant ils incitent aussi à reprendre acte de notre état d’être vivant, sentant, pensant. Alors suivons-le ! « Danser au bord de la rivière comme un vieux maître, sans disciple que les poissons et la ronde des insectes dans le soleil naissant, à l’aube d’une journée joyeuse marcher pieds nus dans l’herbe mouillée, sentir la rosée dans le tourbillon des lueurs, des senteurs et des souffles, danser doucement et dans l’air frais écarter les bras et tourner la tête en mesure sous ce qui palpite et fait battre la peau… ».


Photo de couverture : Xavier Pinon - Viaduc de la Chiers depuis Réhon

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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