mercredi 28 novembre 2018

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Comme des pinceaux légers

, Joël Roussiez

Accompagné de deux autres textes : Invitation des fleurs et Le mouvement limité des danseurs.

Comme des pinceaux légers

À l’ombre de ma théière en bois, chose rare, chose rare, une mouche se prélasse et astique ses pattes alors qu’un rayon de soleil passe par la fenêtre. Le monde est silencieux, il est encore tôt, rien ne bouge que cette mouche aux affaires qui sont siennes, qui s’agite doucement, doucement avec attention. Et la lumière montant remplie de plaisirs, pleine de joies, se retire un peu sur le bois de la table ; dans l’air frais, elle scintille et sur les ailes de la mouche brille et vibre légèrement. On dore les objets comme avec des pinceaux légers, légères sont leurs caresses dont les fines stries passent devant les yeux comme des intentions fugitives. De minuscules départs agitent les poussières aux brillances indécises. Le thé fume comme un feu sur la colline d’un paysage lointain, les choses s’éloignent ainsi que des marcheurs sur les routes invisibles et lentement s’estompent. Une rêverie sans image vagabonde au milieu des vapeurs qui naissent des échanges. Des espaces peu visibles se déforment sous de légers courants d’air et les choses sans bruit s’enveloppent d’une sorte de soie. La mouche fait quelques pas de travers, avance, recule, s’arrête sous la chaleur de la théière qui s’étend comme s’étend l’auréole du thé soudain renversé sur la jupe de lin : « mon dieu, quelle tache, ça va faire ! Mais où étais-je dans mes pensées ? ». La jeune fille de ses yeux qui clignotent jette quelques souvenirs avant de fondre dans les viscosités de l’infusion. Sous les effluves chaudes la mouche est à son affaire et frotte doucement ses pattes, la pièce entière repose à l’abri de la lumière qui propose de petits événements en un rayon léger, légères sont les pensées qui naissent et puis s’évanouissent…

Invitation des fleurs

Je vous vois belles fleurs offrir votre velours et cacher dans mes yeux des plaisirs oubliés ; dans le calme du matin une chanteuse au loin exerce sa voix et c’est comme si sa chevelure venait frôler mon bras. Par la grisaille des jours pluvieux, le corps s’amollit sous les tiédeurs des souffles d’été et dans l’humide volupté des plantes et des fleurs… Je vois vos corolles et, dans l’abîme de vos pétales, pressens des caresses d’organes, des contacts sensibles qui enrobent comme des tissus mouillés aux sources chaudes des volcans. De petits explosions de joie, des tendresses imprégnées d’ivresse circulent entre nous dans ce même monde aux chaleurs exquises qui nous prend, nous soumet, renverse l’usage des membres pour d’infimes retenues où fleurs immobiles et bêtes agitées suspendent l’énigmatique propriété pour d’inépuisables sourires… Ainsi avec des arrêts palpitent entre nous des grandeurs triomphantes qui apaisent et remplissent comme le miel, les œufs ou les sèves profuses par lesquels vos jolis yeux perdus au cœur de vos robes, sous le regard qui subjugue, invitent comme ils sont invités au jeu saisissant des voix qui chantent pour établir demain.

Le mouvement limité des danseurs

Danser au bord de la rivière comme un vieux maître, sans disciple que les poissons et la ronde des insectes dans le soleil naissant, à l’aube d’une journée joyeuse marcher pieds nus dans l’herbe mouillée, sentir la rosée dans le tourbillon des lueurs, des senteurs et des souffles, danser doucement et dans l’air frais écarter les bras et tourner la tête en mesure sous ce qui palpite et fait battre la peau…, voici donc le rêve des instants sans fin qui happent comme un bonheur et ouvrent large les portes de possibles étendues où le regard ne porte pas mais les pieds, sur l’herbe réconfortés poussant le sang qu’ils reçoivent. Le sage dit qu’en haut, c’est comme en bas, ainsi vivent les danseurs du matin que tu vois dans les brumes et qui s’estompent sous l’avancée du jour comme s’en vont les danses à l’aurore de ce qu’il faut faire pour contenter d’autres invitations… Ainsi balloté du matin au soir, hâte sans retenue de ce qui se présente, ce sont bien d’autres danses qui offrent la mesure d’humeur, gaie ou sombre, suivant l’état de la lumière et les accidents rencontrés. Certaines danses sont plus dansantes que d’autres plus appliquées comme ce qui entraîne ou bien demande circonspection car le nombre des offres rend le jeu confus. On vit ainsi poussé dans la musique du monde dont l’harmonie inexistante dans le mouvement limité des danseurs paraît se construire un court instant. Au bord de la rivière où coulent les eaux sous les lumières qui miroitent, l’herbe flottante aussi disperse des éclairs et s’incline sous les souffles qui chassent la rosée…