LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°79


Éditorial

Le degré de contrôle des esprits par le biais des médias atteint un degré tel que ce que l’on nomme la réalité apparaît être le résultat d’une invention permanente, accomplissement d’une promesse révolutionnaire remaniée par le libéralisme stalinien. Le design narratif, dans lequel s’entrelacent mensonges volontaires et vérités de carnaval, emporte tout vers des sommets où la liberté conceptuelle devient le miroir de celle du tyran. Ce qui sort du chapeau du prestidigitateur, ce sont nos propres cadavres. Seule la cravate qui nous étrangle conserve une belle couleur rouge.

Avec ce nouveau numéro, TK-21 LaRevue présente la première occurrence de son partenariat avec la revue Corridor Elephant, une revue consacrée à la création contemporaine en photographie et avec laquelle nous allons échanger artistes et articles. Nous avons pu constater que certains photographes présents dans TK-21 LaRevue ont déjà une place dans Corridor Elephant, mais c’est surtout la découverte de nouveaux talents que nous vous offrirons par ces échanges. C’est Pauline Sauveur qui inaugure ce partenariat.

Céline Bonnarde devait être présente dans la revue. Elle fait l’objet de ce premier échange avec Corridor Elephant, à travers une série emblématique et de son travail et de notre mémoire collective puisqu’il s’agit d’images prises le long de la mythique Nationale 7, qui, si elle n’est pas la route 66 des américains, est pour les français un nom évoquant le bonheur des vacances, la liberté, les petits plaisirs et petits drames familiaux qui se jouent, il faudrait dire se jouaient sur cette route, lors des grandes transhumances d’été.

La photographie iranienne, grâce à la médiation de Silk Road Gallery et de sa directrice Anahita Ghabaian, continue de creuser son sillon dans TK-21 LaRevue Jean-Louis Poitevin analyse aujourd’hui un travail qui est d’une certaine actualité et d’une sensibilité exigeante. Katayoun Karami ne fait pas semblant de découvrir ses cheveux. Ils viennent à elle, d’un coup, souvenir d’un oubli puisqu’ils étaient à la fois là, toujours, et absentés, en permanence. Ces quelques images mettent en scène ce « drame intime » d’une vie passée la tête sous un foulard, sous un angle auquel, ici, on ne pense pas.

Les entretiens de TK-21 LaRevue s’installent dans le paysage médiatique comme des moments d’une grande puissance d’évocation. Chacun offre une découverte et aujourd’hui, c’est à la fois un saut dans l’actualité la plus brûlante et un retour vers le futur que nous vous proposons. En effet, Eleonore de Lavandeyra Schoffer nous a accordé un long entretien dont nous publions la première partie. On y fera nos premiers pas à la découverte d’une oeuvre et d’une personnalité que le grand public va enfin pouvoir redécouvrir : le grand artiste inventeur de l’art cybernétique, Nicolas Schöffer, auquel le LaM de Villeneuve d’Ascq consacre, du 23 février 2018 au 20 mai 2018, une grande rétrospective.

Nous publions la dernière partie de l’entretien que nous a consacré, lors de l’exposition de Bertrand Lamarche intitulée Le Baphomet, Valérie Knochel Abecassis, la directrice. S’exprimant dans la grande salle de La Maréchalerie, dans l’ambiance rose et sous l’élément flottant qui constituaient le cœur de ce projet, elle revient sur cet artiste, ce moment, et surtout nous permet de comprendre comment se tissent les liens entre structure et artiste et comment finalement naît une exposition.

Avec sa Logiconochronie XXV, Jean-Louis Poitevin clôt le second moment de sa réflexion sur les formes de l’invention à partir d’une mise en perspective des trois dimensions de l’être, le pré-individuel, l’individuation et le trans-individuel, toutes portées par le principe d’individuation, « seul principe sur lequel on puisse se guider [car il est] celui de la conservation d’être à travers le devenir », telles que le philosophe Gilbert Simondon les développe dans ses œuvres.

Chi Min Ling nous propose une de ses conférences dans laquelle, outre développer une théorie sur les formes de la critique d’art, il revient sur la relation entre tradition et modernité dans l’art contemporain chinois à partir de l’artiste Yao. « Si le style « transformé » décrit un paysage fantastique, à la limite de l’artificiel, l’adoption, l’imitation et la citation de ce style par Yao, un artiste contemporain, créent une artificialité de second degré. Celle-ci, encore plus sophistiquée, se transporte sur un plan politique. » 

Jérôme Grivel est un jeune artiste sculpteur et performeur développant un travail axé sur les possibilités improbables du mouvement, les ressources du cri et une relation transversale à l’espace. Avec étude(s) de chute(s), il nous présente une recherche faite avec Michaël Allibert, chorégraphe. En nous entraînant avec eux dans les modalités de la chute, ils nous offrent une méditation incarnée autour de ce moment « éternel » dont tous nous sommes, dit-on, issus ! Ils feront cette performance le 27 février à la Collection Lambert, dans le cadre du festival les Hivernales – Avignon.

TK-21 LaRevue
se réjouit de présenter All the world’s a stage, une exposition qui « nous réunit aujourd’hui sous une forme nouvelle et surprenante. Nous avons conçu des saynètes dans lesquelles les sculptures de Martin Mc Nulty, devenues des protagonistes anthropomorphiques, sont accueillies par l’espace mystérieux des peintures d’Alexandra Roussopoulos. De cette rencontre, un monde étrange, grave et léger, silencieux et intrigant, surgit ». C’est à la GALERIE PIXI - Marie Victoire Poliakoff.

Saisissant l’occasion de la grande rétrospective Jean Fautrier au Musée d’art Moderne de la ville de Paris, Jean-Louis Poitevin a retrouvé dans ses archives un texte sur ce peintre paru dans la revue LIGEIA N° 3‑4 durant l’hiver 1988‑1989, au sujet duquel il remarque : « Ce parti pris du monde, douleur et bonheur mêlés fait de l’œuvre de Fautrier un pari. Et ce que nous découvrons à chaque toile, ahuri, c’est, fond blanc, l’épaisseur de l’âme... »

Nous clôturons les textes relatifs aux expositions par la chronique de Jae Wook Lee, esprit toujours aussi brillant et qui cette fois montre comment entre économie et art existent des ponts qui ne sont pas sans nous interroger sur nos ambitions, nos croyances et nos aveuglements. « What happens if a curator applies the idea of libertarian paternalism? What happens if a curator nudges artists in a minimal degree while letting them make a show together in a less hierarchical and deterministic manner, rather than the more totalizing model? In the Triumph in Chicago, group exhibition “Falling for You” curated by Ruslana Lichtzier invited Catherine Sullivan, Joel Parsons, Michaela Murphy, and Christalena Hughmanick in a marathon type of way to bring objects and re-arrange them over the course of the show. »

Dans TK-21 LaRevue la présence de la littérature s’intensifie.
Par le théâtre, avec le retour sur scène de la pièce DreamHaïti du poète barbadien Kamau Brathwaite mise en scène par Frédérique Liébaut. Celle-ci nous offre un texte très personnel dans lequel elle dit comment Haïti est arrivé pour elle. « Haïti m’a bénie. Elle m’a rendu la part d’histoire qui me manquait. Haïtï m’a accueillie de son côté de l’histoire de Liberté Egalité Fraternité. Haïti m’a donné une petite place où m’asseoir. Haïti m’a fait entendre une voix dans laquelle je puise à boire, comme le dit Celan. Alors bien sûr, je ne pouvais que tendre à mes contemporains ce DreamHaïti du poète barbadien Kamau Brathwaite. » À voir ou revoir du 26 au 31 mars à 20h30, au Théâtre de l’épée de bois – à la Cartoucherie.

William Radet, qui nous a offert un texte érotique pour commencer l’année, revient cette fois avec son œuvre majeure, Mots flous, que nous publions en plusieurs parties et dans laquelle il développe ce qui constitue le cœur de sa pensée, la floulosophie ! Une ode à la liberté car, « Le flou, même fondu, n’est jamais enchaîné. »

Avec Au son âpre du komùngo, TK-21 LaRevue est heureuse d’accueillir à nouveau la poésie voyageuse de Kza Han. « Sous une lumière cendrée, pas un grain de sable ne scintille sur la plage, seuls des éclats de rire d’enfants sont audibles, seuls les moulins à vent bigarrés dans leurs mains sont visibles. »

C’est aussi en poétesse que Laetitia Bischoff nous revient aujourd’hui avec un singulier poème intitulé Wagner fait rager, un poème paysage où « le ciel/balbutie/son/couché/de soleil ».

Joël Roussiez s’impose avec deux textes courts pour un voyage dans lequel « Bientôt le printemps viendra nous délivrer, nous pauvres orphelins, nous pourrons partir, mais où aller dans le monde dévasté ? »

Jean-Louis Poitevin publie la deuxième partie de l’ouvrage qu’il a consacré à la conscience historique à partir d’une lecture de l’œuvre de Guy Debord, des analyses à ne pas manquer en ces temps de commémorations amères et vaines. Car « c’est l’excès qui permet de connaître les véritables limites que mettent en œuvre les différentes instances de contrôle qui prétendent gouverner les corps et les esprits. »

TK-21 LaRevue referme ce N° 79 avec un trait d’humour féroce comme seul sait les mettre en scène l’artiste et vidéaste Chan Kai Yuen. Avec La vague, c’est notre destin auquel nous devons faire face ! Être et avoir été en deux minutes l’objet de toutes les manipulations, nous qui ne sommes que des hommes à tête de choux !


Photo de couverture : Céline Bonnarde
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De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.