lundi 26 février 2018

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Haïti quel rapport ?

, Frédérique Liebaut - Cie AWA

Avec la mémoire, la trace, le signe ?

Haïti, c’est le rêve de l’humanité, le rêve qui anime tout homme de la sortie de l’esclavage, de la conquête de la liberté dans toutes ces acceptions. Il n’est donc pas étonnant que j’ai choisi un texte dont le titre est DreamHaïti, écrit par un auteur qui n’est pas haïtien comme je ne suis pas haïtienne mais parfaitement française comme j’aime à le dire en riant. Et ceux qui m’entendent ne s’y trompent pas, « parfaitement », c’est à dire élevée, dans l’idéal de la devise de la Révolution Française : Liberté, Egalité, Fraternité. Et cette devise m’a constituée. Puis par hasard j’ai été en Guadeloupe et j’ai pris conscience – comme on reçoit une gifle – que sur le territoire français car il s’agit d’un département, l’universalisme porté par cette devise devenait mortifère comme le sont les idéaux qui ne s’incarnent pas. J’ai pris conscience que j’ignorais totalement – pourtant bien éduquée – l’histoire de mon pays sur ces petits volcans surgis de la mer Caraïbe, au flanc des Amériques. Quelle amnésie ? Et quelle histoire ? Il me fallait la retrouver et la comprendre pour que cet horizon de liberté, d’égalité, de fraternité ne devienne pas le poison des fausses promesses. Et quand nous cherchons de tout notre cœur, il y a souvent des réponses qui s’incarnent et nous trouvent.

En construction

Haïti, petite épine fulgurante tu dois étendre ta respiration – Jean Metellus in Au pipirit chantant.

J’ai été invitée en Haïti, un peu par hasard. Et j’ai trouvé la part manquante de mon histoire française. Enfin je comprenais le monde dans lequel je vivais, je voyais la devise universaliste et son ombre coloniale. Je voyais incarné le combat sans merci pour sortir des fers de l’esclavage et son triomphe devenu geste pétrifié par l’impitoyable châtiment qui s’abat sur les hommes qui veulent la liberté et sont capables de briser les barrières de couleurs, de genres, de classes – c’en est d’ailleurs la condition sine qua non – pour combattre et vaincre. Impardonnable faute. Frères des révolutionnaires de 1794 qui le 4 février, abolissent l’esclavage sur tout le territoire français et c’est au nom des idéaux révolutionnaires instrumentalisés que l’armée napoléonienne leur fait la guerre pour les remettre aux fers. Cette armée est défaite. Le 1er janvier 1804, Dessalines proclame l’indépendance d’Haïti, première République Noire. Un système de domination ne peut accepter la libération d’aucun. Et le châtiment va prendre toutes les formes possibles, politiques, économiques, sociales, avec le brouillage de l’Histoire et sa méconnaissance par le reste du monde et en particulier en France.

Femme dans un paysage

Alors commence le fameux Haïti maudit. La malédiction, c’est le mal dit, le mal nommé et là je renvoie au travail de Marie Balmary Le sacrifice interdit, sur la question de la bénédiction et de la malédiction. Cette liberté acquise et interdite. Elle est celle que l’on brandit vis à vis des autres territoires de la Caraïbe, en se servant des difficultés indéniables d’Haïti à se construire, pour invalider la possibilité de la liberté. Au XVIIe, Jean de La Fontaine avec la fable Le loup et le chien, l’avait saisi très clairement. Tous les enfants français l’apprennent à l’école. Et pour revenir à l’histoire d’aujourd’hui, le traitement de la Grèce par l’Europe en 2015 joue des mêmes principes. Quand on naît femme, on a des chances aussi de comprendre très tôt les enjeux de ce combat pour la liberté, l’égalité, la fraternité et le prix qu’il en coûte de vouloir sortir du système de domination. La littérature en est pleine d’exemples. J’ai toujours pris la littérature au mot.

Fort Drouet

Alors oui, Haïti, pour moi, est cette petite épine fulgurante au flanc du monde. Haïti, dans un même regard : les décombres charriés par l’ombre coloniale, et la verticalité, lumineuse, irradiante des hommes et des femmes qui marchent sur les bords des chemins. Le rire, la joie d’un rêve qui palpite toujours et que je lis dans les palmes bercées par les alizés, les gestes accomplis tous les jours, la construction des jardins, la culture des mornes, les enfants qui jouent. Tous ces gestes qui portent ce grand rêve humain, et ce lointain souvenir de ce qui fut accompli, presque ; et dont le futur pourrait surgir soudain.

Haïti m’a bénie. Elle m’a rendu la part d’histoire qui me manquait. Haïtï m’a accueillie de son côté de l’histoire de Liberté Egalité Fraternité. Haïti m’a donnée une petite place où m’asseoir. Haïti m’a fait entendre une voix dans laquelle je puise à boire, comme le dit Celan. Alors bien sûr, je ne pouvais que tendre à mes contemporains ce DreamHaïti du poète barbadien Kamau Brathwaite dont voici ce qu’en dit Christine Pagnoulle, sa traductrice lors d’un colloque à l’Université de Liège en février 2018 :

Brathwaite est un poète de l’amour.
Dans toute son œuvre, les mots sont déchirés et tordus par une violence qui s’enracine dans le déracinement de la Traite Négrière. Violence qui trouve aujourd’hui de sinistres échos. Cependant, dans un même souffle, ses poèmes aussi violents soient-ils, irradient d’amour.

DreamHaïti est devenu Et ce n’était pas qu’on allait quelque part, une syntaxe qui boîte et dit mon cheminement vers ce Rêve d’Haïti.

Et ce n’était pas qu’on allait quelque part : les yeux grands ouverts sur la violence de l’Histoire pour entendre l’amour contenu dans les mots : liberté, égalité, fraternité.

Fort Drouet

ET CE N’ETAIT PAS QU’ON ALLAIT QUELQUE PART

Dates :
26 mars 31 mars à 20h30 - 31 mars matinée 16h
Retrouvez des événements autour du spectacle sur le site du théâtre l’Epée de Bois : http://www.epeedebois.com/un-spectacle/et-ce-netait-pas-quon-allait-quelque-part/

Adresse
THEÂTRE DE L’ÉPÉE DE BOIS – Cartoucherie -
Route du Champ de Manœuvre - 75012 Paris
Accès : Métro Ligne 1, arrêt Château de Vincennes. Sortie N° 6 puis prendre le bus 112 direction Joinville : arrêt Cartoucherie.