LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°91


Éditorial

Au lieu de se suicider, les hommes s’engagent dans le travail. »
Thomas Bernard (Corrections)

« Nous avons toujours la capacité de dire non. C’est, chez l’homme, l’expression la plus naturelle d’un tempérament de lutteur qui se transforme, se renouvelle, s’éteint et renaît sans cesse. La capacité de dire non mais pas le courage. Pourtant vivre c’est dire non, dire non est une affirmation. »
Franz Kafka (Aphorismes)

TK-21 LaRevue poursuit sa publication mensuelle et son travail de défrichage de tendances qui, pour n’être pas toutes sur le devant de la scène médiatique, n’en sont pas moins importantes pour qui veut tenter de comprendre ce qui arrive en espérant parvenir à s’orienter un peu dans le brouillard de ce monde recouvert de ces particules communicationnelles qui l’étouffent.

Ce Numéro 91 offre un ensemble particulièrement riche de textes et d’œuvres et cela n’est possible que grâce à la fidélité de quelques-uns qui acceptent de participer généreusement à cette entreprise. Il y a ceux qui « font » la revue, ceux qui écrivent et ceux sur lesquels ils écrivent, artistes, créateurs, écrivains, photographes...

Rappelons-le ici, cette entreprise est basée sur la gratuité et l’engagement d’individus sur le terrain de l’analyse du monde. Travailler gratuitement ne signifie en rien de le faire sans respecter des exigences intellectuelles fortes. Nous ouvrirons bientôt ici un débat plus en détail sur cette question qui se trouve au centre de la situation actuelle, qu’on regarde celle-ci avec des lunettes économiques, culturelles ou éthiques. Dans un monde malade du profit, le terme gratuit a trop tendance à signifier, pour ceux qui ne le voient qu’avec des yeux tatoués à l’effigie du dieu dollar, méprisable parce que ça ne coûte rien. Il apparaît clairement, après des années de travail gratuit, que ce sentiment étrange qu’une telle entreprise peut susciter est plus ou moins partagé par beaucoup sans qu’ils se l’avouent. Nous tenterons donc de plonger dans cette zone trouble dans laquelle nos esprits même éveillés ont tendance parfois à aimer patauger !

Jean-Louis Poitevin entame avec cette Logiconochronie XXV une réflexion sur le statut et la fonction de l’oeuvre d’art à l’époque de sa dispersion. Il prend appui sur l’usage de certains termes, comme celui de « corps », pour tenter de comprendre comment ce que l’on appelle « art » semble prisonnier de concepts travaillant la pensée depuis la très longue durée et non tant, comme on tente de s’en persuader, depuis une époque récente porteuse de « nouveaux » concepts esthétiques.

Nous publions la troisième et dernière partie de l’entretien que nous a accordé Alexander Kluge à l’automne dernier. Comme l’écrit Jean-Louis Poitevin dans le texte de présentation, « Le poète est celui qui est capable à la fois d’entendre le concerto dans la cacophonie des affrontements verbaux et de le faire entendre en en composant de nouvelles variations », car c’est sur la poétique générale de notre monde qu’il s’exprime en des termes comme toujours d’une grande efficacité et d’une grande précision. L’entretien a été réalisé par Jean-Louis Poitevin et Hervé Bernard et il nous parvient en français grâce à la traduction de Cornelia Geiser.

Nous poursuivons notre saga Alexander Kluge en publiant un remarquable essai d’Herbert Holl et Kza Han. qui font partie de l’équipe très restreinte des traducteurs de l’œuvre monumentale en cours de parution chez P.O.L, intitulée Chronique des sentiments. Dans ce nouvel essai intitulé « Marx est-il le poète de notre crise ? », ils tentent d’apporter des éléments de réponse à une singulière question. « Les films qui ne furent jamais tournés sont les plus significatifs », dit Kluge à propos d’Eisenstein, ce régisseur que l’impossible montage d’Octobre avait rendu « hystériquement » aveugle. Mais comment tourner, re-tourner ce Capital de Marx qu’Eisenstein avait médité entre 1927 et 1929 ? » Ce texte nous permet de mieux appréhender la richesse de l’univers d’Alexander Kluge qui est aussi l’un des plus importants cinéastes allemands de notre temps.

TK-21 LaRevue
vous propose de découvrir le travail de Roman et Nelya Korzhov, artistes qui dirigent aussi la biennale internationale d’art contemporain de Shiryaevo à Samara en Russie, dont la dernière session a eu lieu du 03 aout au 30 septembre 2018. Ils développent un travail singulier autour de l’image et du paysage à la frontière parfois tendue entre ready-made photographique et peinture. “Roman and Nelya Korzhovs’ field of vision shows not so much the subjects themselves as the space between them. Not things, but air they are immersed in. Unsteady but active matter “between” a human being and a landscape, a human being and a thing, or two human beings.”

Théo Massoulier vit, travaille et expose à Lyon, à la galerie Kairos, des œuvres singulières dont la puissance analytique et poétique tient à l’agencement d’éléments provenant de trames différentes de la réalité. Il écrit à ce sujet que “ses hybridations révèlent le caractère poreux et contaminant des processus évolutifs et donnent finalement à voir la dissolution actée de la vieille opposition ontologique nature/culture qui structure d’ailleurs de manière sous-jacente l’ensemble de l’exposition. »

TK-21 LaRevue
se réjouit d’accueillir le travail récent de François Curlet. Après avoir exposé au Palais de Tokyo à Paris en 2013, il présente sa première exposition monographique en Belgique, Crésus et Crusoé, au Mac’s du Grand-Hornu jusqu’au 10 mars 2019. Les Éditions MAC’s, Hornu & Triangle Books, Bruxelles publient un catalogue remarquable de ses œuvres. Dans un entretien réalisé par Madeleine Santandréa-Toussaint et mis en ligne sur le site AOC, il évoque son travail et son parcours avec cet humour et cette distance rapprochée qu’il entretient avec tout ce qui le touche. « Le titre sur la couverture et celui de l’exposition était d’abord FREE CURLET. Il s’est transformé en FREE WILLY en plaisantant puis je me suis mis en scène entre le marsouin et le réfugié. C’était un coup de tête, ce n’est pas une habitude que d’utiliser mon image. Finalement, par l’effet comique c’est cette option qui est restée. Pas plus grotesque qu’une affiche d’homme politique. »

Pour sa première édition, la biennale d’art contemporain de Strasbourg a investi l’Hôtel des Postes avec une exposition intitulée Touch Me. Sa direction artistique a été confiée à Yasmina Khouaidjia qui interroge la citoyenneté à l’ère du numérique au travers les œuvres de dix-sept artistes internationaux. Dominique Moulon nous fait l’amitié de nous proposer à la fois de découvrir les œuvres présentées lors de cette biennale et de mieux plonger dans les arcanes de l’art dit électronique qui reste encore trop peu montré et trop peu vu. Comme toujours une dose “d’inquiétance”, pour reprendre un terme cher à Alexander Kluge, vient se loger dans des œuvres qui nous présentent « des machines qui, régulièrement, nous demandent de prouver que nous n’en sommes pas. »

Fidèle à TK-21 LaRevue, l’artiste et écrivain Jae Wook Lee nous offre la possibilité de nous plonger dans une réflexion importante qui semble échapper à l’occident : “What does it mean to revisit and reinvent history in the present tense? How do history and its cultural representations relate to each other to address various issues in contemporary society? Challenging the linear concept of temporality in chronicling the past, the present, and the future, this panel demonstrates how contemporary Korean culture appropriates history as usable ingredients to visualize not-yet-realized aspirations, exemplifying contemporary visual culture.” Les quatre participants à cette rencontre, Boyoung Chang, Gyung Eun Oh, Saena Ryu Dozier, Jae Wook Lee, évoquent des œuvres d’artistes coréens dont celle d’un certain Paik Nam June.

Laetitia Bischoff, elle aussi d’une fidélité généreuse, nous propose de partir à la découverte d’œuvres de Didier Marcel et d’Adeline Contreras, qui nous confrontent à l’éternelle question de ce que serait le monde si l’homme n’y était pas. Ici, donc, “c’est le monde qui parle, l’humain se tait, il co-crée. Le malentendu, espérons-le, n’aura duré qu’un temps, et laissera place à une respiration manifeste des tensions de la terre, de ses potentiels, de son expression.”

Nous accueillons aujourd’hui un texte déjà ancien de Christian Globensky paru dans le numéro 28 de la revue Figures de l’art, Esthétique du don. Il y théorise le don à l’aune de l’esthétique, et ce, tant du point de vue de celui qui offre que de celui qui reçoit, avec l’ambition de démontrer que l’acte de création dans son usage éthique et sociétal, est un don.

Avec Dans Un Grain, récit photographique en diptyque dont chaque épisode porte un regard sur une particularité majeure — ou parfois moins visible — du Qatar, Guillaume Dimanche nous permet de découvrir les aspects les moins « médiatisés » d’un pays qui a en France une influence économique réelle. Cette fois ce sont les voitures accidentées et abandonnées qu’il nous donne à voir. Elles hantent ce « pays où le concept même de route n’est pas encore complètement intégré par tous — ce qui permet une liberté inattendue —, la signalétique une contrainte, voire un jeu, et les codes de conduite aussi variés que l’ensemble des cultures de chaque coin des quatre continents habités. »

TK-21 LaRevue
poursuit sa collaboration avec Pier Paolo Patti qui, après un mois passé à Teheran, a commencé la construction d’une bibliothèque de cohabitation pacifique entre les populations du Moyen-Orient et de la Méditerranée. Nous continuons donc de suivre celui qui avec cette opération, veut effacer le présent et réécrire l’avenir en creusant dans le passé.


TK-21 LaRevue
rend un bref hommage au groupe Dix/10. Partisans d’un « Pop Art » débridé et compagnons de route de la Figuration Libre, Roma Napoli et Dow Jones, le duo du Groupe Dix/10, présentent au printemps prochain à la galerie Frédérique Roulette leur dernière production à l’enseigne de : Rêves de Magie. À ne manquer sous aucun prétexte !

« Les cataclysmes semblent de plus en plus fréquents comme sont de plus en plus fréquentes les belles images de notre terre en perdition. La pauvreté est toujours si colorée, si spectaculaire… » William Radet a pris la plume pour présenter l’exposition à venir d’Hervé Bernard (à l’ECAM au Kremlin-Bicêtre) qui “nous décrit les mutations complexes, impensées, qu’entraînent nos désirs d’hommes qui veulent tout, tout de suite, car voir aide à prévoir.”

Martial Verdier et Xavier Pinon poursuivent leur exploration de l’ancien bassin minier de Longwy dont ils nous offrent des images qui, par leur poésie décalée, transmutent la désolation de notre temps post-industriel en une féérie tragiquement belle.

Virginie Rochetti poursuit son Feuilleton pour ne pas être rattrapé par l’enfer. Avec cette nouvelle vidéo d’animation elle nous incite à avancer même ou surtout si cela signifie de naviguer sur le dos des dauphins.

Dans le cadre de notre échange mensuel avec la revue en ligne Corridor eléphant, nous publions pour ce numéro 91 des images de Julia saludo « Corps liés, noués dans des gangues osseuses. Coquillages, spirales de chair blanche. Transparence de peaux jumelles. Serpents qui dansent de vers en vers, lovés au sein de syntaxes où les Fleurs et le Mal se chevauchent... ». Dúnia Ambatlle accompagne poétiquement ces images belles mais inquiétantes.

TK-21 LaRevue
accueille une méditation de Félix Tristan, une Alerte aux humains qui semblent décidés à ne pas véritablement l’entendre car “s’il est des mots comme des étoiles filantes qui d’être lus disparaissent ; un éclat de miroir les coince et c’est déjà l’Histoire qui commence, son archive vivante...

Joël Roussiez persiste et signe dans TK-21 LaRevue avec un texte court dont il a le secret. Avec ses Trois cavaliers, il nous entraîne dans un monde familier et étrange ou dans « le matin froid, le bleu du ciel immobile au-dessus des montagnes et dans l’air l’haleine des chevaux, le givre dans les branches qui mouille les pelisses, trois cavaliers empruntent le sentier de la Passe. » Mais où sommes-nous vraiment ? Comme toujours ici et ailleurs !

Alain Coelho nous livre ici le dernier chapitre de la première partie de son œuvre en cours Images d’aurore. Nous déambulons toujours dans le Tunis des années cinquante à travers le prisme d’un enfant qui découvre le monde à partir des sensations qui l’assaillent. « Dans une sorte de chant et de mélat heureux des sonorités et des corps, l’arabe, l’italien, le français étaient “posés” sur les personnes ainsi que des atours particuliers, des charmes et des décors sans fin. Et chacun devenait sous les sons se croisant sur la grande avenue, dans une démarche propre et un corps, comme une citadelle à soi seul ou comme un étendard. »


Photo de couverture : Hervé Bernard

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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