LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue
n°101


Éditorial

« Je pense avoir suffisamment démontré en combien de manières les spectacles sont coupables d’idolâtrie : par leur origine, leurs dénominations, leur cérémonial, les lieux où il se déroulent, leurs techniques. Nous sommes donc certains qu’ils ne nous conviennent nullement, nous qui avons renoncé deux fois aux idoles. » Tertullien, De spectaculis ( La première société du spectacle) p. 39, Ed mille et une nuits.

« Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la vie sociale est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l’on voit est son monde. » Guy Debord, La société du spectacle, §42, p.26, Ed Champ libre.

Après le grand succès de notre numéro 100, avec quinze mille visites, TK-21 LaRevue revient à son format habituel pour ce dernier numéro de 2019.
Désireux de retrouver un lien concret avec nos lecteurs, nous recommençons à déployer des activités dans des lieux amis. La première de ces manifestations a été la reprise du Séminaire de Jean-Louis Poitevin (pour voir l’histoire des sept années de Séminaire, 2005-2012, la rubrique séminaire du site) dont l’intitulé Faire face au mensonge absolu entend élaborer des pistes pour mieux appréhender la mutation psychique dans laquelle nous sommes pris et dont nous sommes les acteurs.

La première séance du 19 novembre est intégralement en ligne et ouvre ce numéro, qui se clôt par la publication des notes écrites ayant servi à cet exposé. La prochaine séance aura lieu le mercredi 11 décembre. On y parlera de Tertullien et de son De Spectaculis (traduit par La première société du spectacle (Éd. Mille et une nuits) et on poussera le curseur jusqu’à l’évocation du spectacle tel que l’a pensé Guy Debord.

Ce numéro 101 se plonge dans l’actualité et se poursuit par la présentation du travail d’artistes exposant actuellement à Paris.

Fabienne Gaston-Dreyfus qui expose à la galerie Jean Fournier, ouvre le bal. Une analyse de Jean-Louis Poitevin tente de décrypter ce qu’il en est de cet endroit-là, celui de la peinture évidemment.

Cristina Elinesco et Florentin Tanas exposent à l’espace Icare, situé à Issy-les-Moulineaux. Il est essentiel de saluer ici le travail de ces deux artistes, l’une peintre et l’autre sculpteur, qui jonglent avec une puissance et une légèreté rares sur les fils tendus d’étoile à étoile sans lesquels l’art ne serait rien. Un texte de Jean-Louis Poitevin met en scène leur travail réciproque et tente de révéler les liens qui les unissent.

Sylvie Valem expose à l’atelier de L’Œil Vert à Paris deux séries majeures de ses photographies. On y comprendra mieux comment un trou de mémoire aussi improbable que réel vient permettre au cœur même de sa pratique de renvoyer « la » photographie à ses plus anciens démons. Un texte de Jean-Louis Poitevin accompagne cette méditation poétique et vitale portée par des photographies spectralement belles.

Il a déjà été question du travail de Kim Young Hun dans le numéro 63 de TK-21 LaRevue. Il est aujourd’hui présenté par la Galerie Richard à Paris. Il est l’un des plus importants peintres coréens de sa génération. Siba Kumar Das lui consacre un texte dans lequel on voit se mettre en place la façon dont quelqu’un qui est absolument peintre s’empare des données les plus actuelles de notre monde numérique. Les pinceaux à la main, il transforme ces données en tableaux et nous permet ainsi d’associer la méditation lente qu’offre le regard contemplatif à la vitesse de passage des pixels sur l’écran invisible de nos cerveaux.

Joëlle Bondil expose, elle, à la galerie Antoine Laurentin. Entre papier qu’elle pique et troue et travail de broderie, elle déploie son œuvre à partir d’ « un geste lent, pointé ou relativement court dans son trajet, multiplié, puis dilaté ou resserré. Il a quelque chose à voir avec la pratique de la broderie, du crochet où la mesure du temps ne peut être celle de la rapidité et du résultat immédiat. »

Virginie Rochetti quant à elle présente ses Fata Morgana à la mairie du 12e. Et avec Paul Brousseau elle clos le festival 12x12 au 100, 100 rue de Charenton, par une performance visuelle et musicale, glitchy électro-jazzy.

Pauline Lisowski évoque pour nous une exposition récente de Marc Didou qui a eu lieu dans le domaine de Trévarez en Bretagne qu’il a investi avec douze sculptures et installations. Elle nous montre que « ces œuvres jouent sur des liens formels entre le monde de l’homme, du travail, des traces d’un passé sur des objets et les formes naturelles. Chez lui, l’industriel, la rigueur et le poids des matières s’entrelacent avec la fluidité et l’organicité. L’artiste retourne l’objet industriel pour lui donner une nouvelle peau, comme si l’altération pouvait offrir une seconde vie. »

Le numéro 100 a été l’occasion d’entrouvrir la porte du Musée caché. Le numéro 101 nous permet de faire un pas de plus dans la découverte de ce musée à la fois réel et caché, existant et secret, accessible et jamais saisissable dans son « entier ». Une brève présentation de Jean-Louis Poitevin est suivie de la présentation des éléments essentiels de la démarche qui préside à ce projet hors norme par son fondateur même, AK. On y découvre en particulier que ce musée « s’il n’existe pas en tant que lieu, existe par contre en tant qu’ensemble de manifestations partielles de lui-même... » et le mystère s’épaissit à mesure qu’on l’approche.

Laurent Pernot « est un artiste dont les pratiques et les formes, d’une relative diversité, sont au service de quelques obsessions de l’intime comme la mémoire, le temps ou, plus généralement, l’imaginaire. Cela lui permet de revisiter les genres que sont le portrait, le paysage ou la nature morte tout en tissant des correspondances qu’il renforce au fil de ses créations. » C’est Dominique Moulon qui nous ouvre les portes de cette œuvre qui « nous incite à reconsidérer tant la vanité de nos existences que celle de nos actions. »

Jae Wook Lee poursuit son travail de défrichage et de réflexion sur les conditions d’un enseignement artistique en offrant cette fois sa propre chronique à David Winslow Van Nes, une bonne occasion pour nous, habitants de la vieille Europe, de découvrir comment on pense aujourd’hui de l’autre côté de l’Atlantique. Voici en effet de quoi nous faire réfléchir : « Before teaching, I spent a long time working in retail, managing the operations of a trucking company, building props for film, and many other odd jobs. I had to reinvent myself constantly and teach myself new skills to stay competitive. This experience goes far beyond the scope of the art world and heavily influences how I teach. »

Avec Gaetän Viaris de Lesegno la photographie rejoint la peinture. Lydie Decobert remarque dans son texte qu’« il met le voyeurisme en relation avec la problématique du regard du spectateur face au tableau, à travers la représentation picturale ; il fait émerger un judicieux questionnement : qui est le voyeur dans cette iconographie de Suzanne et les vieillards, le peintre lui-même ?
 Le spectateur dans le tableau ? Le modèle lui-même ? Le spectateur regardant le tableau ? » Et cela à travers une réflexion photographique basée sur le film de Hitchcock Psychose.

Sibylle Duboc présente ses fossiles archéologiques. Esther Salmona remarque à ce sujet qu’élaborés comme des ruines à l’envers, les fossiles photographiques de Sibylle Duboc font le récit de leur disparition prochaine ou advenue à l’instant. « Que créent-ils ? Une forme de mémoire déviée, fictionnée, inverse, un objet en suspension, une greffe sur l’histoire, un pli en mouvement, un récit sans temporalité fixe : une archéochronie. »

Michele Gurrieri, depuis 2010, travaille comme directeur de la photographie sur des films de fiction et des documentaires. Il s’intéresse particulièrement aux projets liés à la musique. Nous le présentons dans le cadre de notre collaboration mensuelle avec Corridor Elephant. Chaque mer a une autre rive est son premier livre en tant que photographe, un voyage dans un pays qu’il a quitté depuis longtemps. En partant d’une Italie idéalisée, d’une Italie de la mémoire personnelle et collective, l’auteur va à la rencontre du réel et de ses surprises.

Norbert Hillaire vient de publier un livre imposant et important intitulé La réparation dans l’art (Scala, 2019). Une culture sans frontière et une connaissance tant des œuvres du XXe siècle que de celles de la tradition, lui permettent de mettre en place une grille de lecture transhistorique des enjeux de l’art contemporain. Dina Germanos Besson dans son texte précise « qu’en effet, avec ce livre, nous assistons à l’écroulement du système, c’est-à-dire à l’écroulement de toutes les données figuratives ou des clichés, pour voir émerger des fragments, “une esthétique de l’accident", de l’hybride, du bricolage éphémère... »

Michaël Duperrin est parvenu au terme de son errance volontaire de dix ans sur les traces du plus célèbre « voyageur » de l’histoire occidentale, Ulysse, et il nous révèle aujourd’hui les images qu’il a réalisées lors de ses périples. Ce livre de photographies est accompagné d’un texte de Michaël Duperrin lui-même et de contributions de Pierre Bergounioux et Thierry Fabre. Mais c’est aussi pour nous un voyage initiatique. « Ici tout est vrai, ici tout est fiction », disait Aragon. Ici, tout débute dans la région de Naples. La chambre d’hôtel donne sur la mer comme annoncé. Il suffit maintenant de tourner les pages.

Jacques Cauda, présent dans le numéro 100 avec un de ses dessins revient avec son dernier opus Profession de foi qui vient d’être publié par les Éditions Tinbad. Nous publions quelques extraits. « Moi cauda du latin cauda “la queue” car malsain de corps et d’esprit et malsain de queue dit cauda dit aussi le vénéneux moi qui ne crois qu’au mal car malsain de queue au bout d’un corps qui ne croit en rien... » Âmes sensibles... NE PAS s’abstenir !

« Toutes les choses ont changé. Tunis, La Goulette, La Marsa, jusqu’à moi-même et l’enfance, et les lieux, et les êtres sont morts. » C’est ainsi que commence le deuxième chapitre de la seconde partie intitulée « Les pages les dessins et les lettres », de l’ouvrage inédit d’Alain Coelho Images d’aurore dont TK-21 LaRevue poursuit la publication. Nous serons surpris de voir comment, lui qui alors vivait en Tunisie, a eu une enfance qui fut semblable à la nôtre. « Planches en couleurs, drapeaux, costumes, reproductions millimétriques et dessinées d’oiseaux, de poissons, ou encore images de tableaux et de cathédrales s’assemblaient dans mon esprit, comme j’assemblais aussi sous mes doigts toutes les cartes à jouer dessinées devant moi, se répondant enfin, des personnages des jeux de Sept familles. »

Nous saluons la publication du dernier opus de Joël Roussiez, Sur la barque des jours, paru aux Éditions La rumeur libre, en publiant un choix de cinq courts récits qui se trouvent dans l’ouvrage. Nous rencontrerons ainsi un renard : « Un renard dans la pénombre présente son profil peu distinct mais immobile, les ombres des arbres dansent sur son dos. Soudain il court, il se jette dans les herbes hautes et disparaît… »

Nous sortons de notre mémoire bien remplie un autre texte de Joël Roussiez pour le republier car il mettait en avant le peintre Le Greco dont Paris s’enorgueillit de présenter une exposition en ce moment.

Pour clore ce numéro, TK-21 LaRevue donne à lire les pages qui ont servi de base au séminaire de Jean-Louis Poitevin, Faire face au mensonge absolu, qui a ouvert ce numéro. On y retrouvera des extraits de textes d’Homère, de Platon, d’Apulée, de Quignard.


Photo de couverture : Sibylle Dubosq

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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