lundi 2 décembre 2019

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D’après nature

Exposition de Marc Didou, relecture et regard sur le domaine de Trevarez

, Pauline Lisowski

Marc Didou invité à porter son regard sur le domaine de Trevarez présente un ensemble d’œuvres réalisées entre 2013 et 2017 qui traitent toutes de l’idée de nature.

Ces douze sculptures, installations constituent pour lui une seule et même œuvre. Les différents espaces intérieurs et extérieurs l’ont incité à les positionner en relation avec des éléments de l’architecture. Pour certaines, il a inséré des bois issus du parc. L’artiste utilise des matériaux issus de l’industrie pétrolière, leur donne un nouvel usage, en choisissant de faire basculer notre regard. « Tout mon intérêt consiste à travailler et à transformer cette matière artificielle chargée d’anthropologie, pour essayer d’ouvrir des correspondances invisibles en résonance de leur origine oubliée, la nature. » précise l’artiste. Ses œuvres jouent sur des liens formels entre le monde de l’homme, du travail, des traces d’un passé sur des objets et les formes naturelles. Chez lui, l’industriel, la rigueur et le poids des matières s’entrelacent avec la fluidité et l’organicité. L’artiste retourne l’objet industriel pour lui donner une nouvelle peau, comme si l’altération pouvait offrir une seconde vie.

Petrolum reversus 1 — Marc Didou
© Philippe Robin

Dans le parc, Petroleum reversus I attire notre regard : Deux éléments couchés, en équilibre, provoquent une ambiguïté entre le matériau industriel et l’écorce d’un arbre. Marc Didou renverse l’intérieur vers l’extérieur et donne ainsi une autre histoire aux éléments qui ont subi l’érosion.

L’artiste a pris soin de nous amener à regarder différents endroits du domaine. Ses œuvres nous invitent à porter notre attention sur son architecture et sur son histoire. Il affirme vouloir « investir l’ensemble du parc de manière à ce que la pensée se déroule par stations successives, en harmonie avec le cheminement et le rythme d’un promeneur, de son temps et de l’espace qu’il traverse [1] ». Ses sculptures et installations nous conduisent étape par étape à contempler la diversité du décor du château, à s’interroger sur sa spécificité et à poursuivre une enquête, des fouilles.

Marc Didou investit son corps dans la fabrication de ses sculptures. Elles reflètent le poids de ses matériaux, celui du temps de ses nombreux gestes.

Dans les anciennes écuries au décor remarquable, l’artiste propose des œuvres qui répondent à l’espace et convoquent un territoire archéologique. Son installation Petroleum reversus II prend corps à partir d’une fosse à partir de laquelle s’extrait un segment d’oléoduc. Une sensation de légèreté en opposition à ces éléments naît en contemplant ses sculptures. En tournant autour, on peut y voir des formes organiques voire animales.

Arbre de transmission — Marc Didou
© Philippe Robin

Avec Arbre de transmission, il retourne des pièces mécaniques pour faire apparaître une écorce. Son installation Contresols convoque le rapport à la terre et au feu. Des récipients contiennent une lumière, en écho au processus d’extraction. Cette œuvre habite une des pièces des grandes écuries et fait surgir des traces d’une présence.

Une série de photographies documente son travail et témoigne de ses gestes de sculpteur, recherche des matériaux, découpe au chalumeau, assemblage par soudure...

Marc Didou a collaboré avec la nature et a ancré son exposition dans une cohabitation avec le vivant. Il redonne un usage à un arbre qui fut abattu et transmet alors la mémoire du domaine. Les éléments sont souvent couchés dans ses œuvres, en équilibre, en tension. Ses pièces convoquent le temps d’une métamorphose, d’un renouveau. « C’est la transformation qui m’importe. Mais il est vrai que dans cette série d’œuvres, j’ai souvent usé de la juxtaposition entre l’élément de départ (brut ou manufacturé) et sa forme actuelle (transformée). La genèse devient plus tangible ; c’est un raccourci qui force l’observateur à reconstruire les étapes. » explique-t-il.

Labours et rebours — Marc Didou
© Philippe Robin

Chaque sculpture par son emplacement guide notre cheminement. L’installation Pipeline fossilis II composée de cinq éléments suggère une clairière. Elle fait référence aux alignements de pierres dressées en cercle tandis que les pierres sur lesquelles les pièces sculptées reposent font écho à celles du château.

Labours et rebours met en tension un arbre coupé avec des branches, poutres, éléments d’architecture. Marc Didou met en évidence une temporalité des matières liées à la construction. La notion de travail, de force, de puissance et de fragilité des éléments est au cœur de sa démarche. Dans le parc, ses œuvres prennent une nouvelle vie et la végétation les traverse leur donnant une nouvelle naissance.

Carbon steel pipe — Marc Didou
© Philippe Robin

Avec Carbon steel pipe, un arbre vient se greffer à un banc. A l’intérieur, on y découvre une accumulation de charbons trouvés dans les caves du château. Cette installation invite à une pause face à un chêne.

Dans le prolongement de ces relations avec l’architecture, Chassé-croisé présente un arbre, cette fois, debout, position rare, chez l’artiste, ce qui crée un lien visuel avec les tours du château. Elle élève notre regard vers le ciel.

Marc Didou a également choisi l’emplacement de ses sculptures en fonction de la présence des autres œuvres d’artistes contemporains. Le long d’un parterre enherbé, l’installation Contreciels est composée d’anciens concasseurs de pierres métamorphosés en puits qui accueille l’idée de l’eau, très présente dans le parc. Dans le même alignement que le bassin long et étroit où Shigeko Hirakawa a installé des boules d’eau, cette œuvre nous invite à descendre vers le jardin à l’anglaise et alors à découvrir une fontaine sur laquelle Eva Jospin a conçu une proposition artistique discrète, en relation avec les matières qui se modifient au fil du temps.

Après nature — Marc Didou
© Philippe Robin

A la fin du parcours, dans la salle du château où sont dévoilées les traces du bombardement qui a marqué le bâtiment, Après Nature, au ras du sol, s’apparente à une mue. Marc Didou a également doré une poutre provenant du pin de Monterey abattu dans le parc suite à une tempête. Ce recouvrement, telle une réparation rappelle le décor fastueux du domaine.

Ainsi, ses œuvres s’inscrivent dans l’histoire du domaine et dans une relation à la nature. Elles nous engagent à percevoir autrement la dichotomie entre naturel et artificiel, entre rigidité et fluidité, entre intervention de l’homme et travail de la nature. Elles répondent à l’architecture, au décor, au passé et aux nouveaux usages de ce lieu qui conserve en lui des traces d’une occupation récente. Marc Didou nous invite à relire ce lieu dont les recherches sont encore en cours. Ses œuvres seraient des indices d’une nature qui conserve la mémoire du lieu, indice du temps.

Chassé croisé — Marc Didou
© Philippe Robin

Notes

[1Entretien avec Marc Didou, le 9 septembre 2019.

jusqu’au 30 octobre 2019
Exposition de Marc Didou
Chemins du patrimoine en Finistère
Domaine de Trévarez
29520 — Saint-Goazec

Frontispice : Petrolum reversus — Marc Didou — © Philippe Robin