lundi 2 décembre 2019

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De mailles en fils

Joëlle Bondil

, Joëlle Bondil

Mon univers artistique est un témoignage sur l’impermanence en général et celle de la condition humaine en particulier. Pour cela j’utilise divers médiums parfois mixés afin d’initier un travail sur la matière, le processus de fabrication, le sens et le mode de représentation.

Le dessin, présent d’une manière ou d’une autre, est actuellement une pratique que je privilégie. Je me crée une palette de vocabulaires graphiques, qui me permettent de faire référence à des pratiques scientifiques, techniques, artisanales... et de les réunir en seul projet.
Les moyens et outils plastiques que j’emploie sont divers, sans hiérarchie de valeur ou d’appartenance.
Quant à mon geste, il est comme mon intention parfois volontairement
« entre », parfois flou, transparent, superposé, mouvant, léger, lent, affirmé, serré ou rapide.
Dans le processus de création je passe par différents niveaux et des ramifications, j’essaie de tendre ainsi vers ce qui n’est pas univoque. J’interroge la pensée préétablie ou binaire ainsi que les frontières, la fluctuation des limites (et des bords). Par là-même je questionne la porosité et la libre circulation. Je m’intéresse également à la notion d’anthropocentrisme.

Je cherche des ouvertures, une circulation en profondeur, de la perméabilité et de la vibration.

Je joue des échelles.

Je construis par les vides, les pleins et les suspends.

Je recherche une sorte d’équilibre sensiblement instable tout en jouant avec ce qui pourrait se figer, s’immobiliser.

J’aime prendre le temps du chemin (ne pas en faire l’économie) et
de l’expérimentation.

Je cultive ma capacité d’adaptation en sachant que le repentir est pratiquement impossible dans la plupart de mes pratiques.

Je me pose la question du rapport à l’œuvre : dialogue, imprégnation, confrontation ? Quand il s’agit d’une exposition après production, je la considère comme une nouvelle étape de création, je remets l’œuvre en travail afin de concevoir une installation ou un accrochage appropriés. De ce fait, mes propositions plastiques sont pour la plupart en possible évolution/transformation.

Je ne perds pas de vue cette notion : me laisser de la place, c’est aussi en laisser à « l’autre ». Appréciant cette démarche chez d’autres artistes (et en général), il m’importe d’en tenir compte dans ma création.

Il m’importe également de penser à l’expérience que je peux vivre en tant que spectatrice / visiteuse / amatrice face à une œuvre, celle du déplacement : le près, le loin et les distances intermédiaires.

Dans ma démarche je cherche ainsi à rassembler le sensible, le sens, l’espace et la distance - au propre comme au figuré.

Maillage 6, 2018
Encre sur papier de riz, 33 x 24 cm

MAILLAGE, LE GESTE LENT

La plume et l’encre, les points et les traits.
Un geste lent, pointé ou relativement court dans son trajet, multiplié, puis dilaté ou resserré. Il a quelque chose à voir avec la pratique de la broderie, du crochet où la mesure du temps ne peut être celle de la rapidité et du résultat immédiat.

Il porte en lui cette exigence : pour s’étendre, prendre forme il lui faut du temps, de la persévérance et une légère tension intérieure.

Ce geste, ce vocabulaire graphique qui paraît répétitif n’est en fait jamais tout à fait le même. Faisant entre autres, référence à des représentations graphiques générées par des logiciels, il n’en a ni la rigueur mathématique ni la régularité du trait et éventuellement du point.

Le trait est soumis à la fluidité de l’encre et sa teinte (qui se modifient selon la température et son temps d’exposition à l’air), à la plume qui s’encrasse rapidement ainsi qu’à ma posture et l’assurance de ma main.

Le maillage finalement a aussi rejoint la broderie en ce qu’il peut être dessiné également au fil. Parfois ces deux modes de dessin se mêlent, se prolongent et /ou créent une forme de confusion : fil, encre ou les deux ?

Maillage 3, 2015
Encre de Chine et plume sur papier millimétré, 55 x 39 cm

MAILLAGE, COMME CONNECTION

Réseau, maillage, les divers sens et utilisations de ces termes m’intéressent.
Maillage de Matisse, triangulation quelconque ou de Delaunay, réseautage, circulation, essaim, flux, tissu osseux, cellules nerveuses, graphiques de connexions...
Finalement ce travail de maillage, fait souvent écho chez « l’autre », cela en fonction de sa sensibilité, ses références, ses intérêts et pratiques.
Basés sur le principe visuel de connections lors de leur conception et réalisation, ces dessins de maillage génèrent une fois montrés des impressions, des liens qui se tissent et ont entre eux des connections.
Ainsi cette relation entre le projet, sa réalisation puis sa perception semble former un cercle vertueux.

Petite maison, 2019
Encre de Chine et plume sur Bristol, 21 x 29,7 cm

ORGANIQUE

Qualificatif essentiel dans ma production (aussi bien en tant que scénographe qu’artiste plasticienne).
Cela signifie qu’il y a du vivant mais pas uniquement cela. Cela veut dire que je recherche une conjonction, une rencontre, des échos et des articulations entre divers éléments.
Ces éléments : espace, geste, support, couleur, lumière, matière et forme…doivent contribuer à une proposition respirante dont la perception (intérieure ou extérieure) doit être fluide tout en étant complexe, ainsi que mouvante et sensible - évidemment dans le meilleur des cas.

Corps rouge, 2015
Dessin brodé sur papier mural (3 lés), 160 x 240 cm

LE RECTO VERSO - LE TRAVERSANT

Envers et endroit d’une œuvre en dessin peuvent avoir autant de valeur. Selon le choix de mon mode de création (médium, outil et support) je peux créer sur deux faces. Le dessin au fil en est le meilleur exemple. Partant de cette donnée, mon geste considère cet endroit et cet envers. Deux vocabulaires graphiques vont apparaître à partir d’une même forme. Ceux-ci restent interdépendants : l’un n’a pu naître sans l’autre. Dans le dessin au fil, une troisième dimension s’y ajoute grâce au perçage (l’aiguille traversant le support). Si l’œuvre rencontre une source de lumière forte (lumière du jour ou artificielle) apparaissent des points lumineux. La forme peut se dissoudre (disparaître) au profit du jeu des traits (fils), des nœuds et des points lumineux comme une sorte de constellation complexe et cela m’intéresse d’autant plus que dans les séries actuelles la forme est un corps.

Carnet de pleurs et de stases, 2015 - 2019

Carnet de pleurs et de stases

Le livre en tissu me rapproche déjà de l’enfance : le souvenir prégnant d’un livre aux pages de coton blanc imprimé de textes et d’illustrations avec lequel je jouais à 5 ou 6 ans. Je vois encore sa forme, sa construction, je me souviens de ses bords crantés et de sa texture.
Penser une première série d’œuvres sous forme de petits livres textiles s’est de fait présenté comme une évidence et ainsi sont nés les
« carnet des pleurs et des stases ». Construire les dessins que je souhaitais y transférer, chercher dans mes étoffes de coton, coudre, puis poursuivre au fil le travail s’est fait de façon fluide et logique. Le livre textile comme la plupart de mes travaux peut se poursuivre avec de nouveaux projets et dans des échelles possiblement très différentes.

Carnet de pleurs et de stases, 2015 - 2019
Détail

Exposition De Mailles en Fils
Galerie Antoine Laurentin
23 quai Voltaire 75006
29 novembre au 21 décembre 2019

Petite maison, 2019
Détail