LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°89


Éditorial

Trop intelligents !
"Souvent on nous reproche d’avoir trop fait, trop vite. Je n’accepte pas ce reproche", a-t-il commencé avant d’affirmer que deux erreurs avaient été commises. "Je pense que nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. […] Et puis, il y a une deuxième erreur, dont nous portons tous la responsabilité, moi y compris je ne me pose pas en censeur, c’est le fait d’avoir été probablement trop intelligent, trop subtil, trop technique dans les mesures de pouvoir d’achat", a déclaré sur Public Sénat, Gilles Le Gendre, président du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale.
Il faut remarquer cependant qu’ils n’ont manifestement pas été assez intelligents pour voir la révolte venir !
« Le président est entouré de gens très intelligents, dit-il en se levant et en s’apprêtant à quitter ce vieil imbécile à la retraite.
C’est bien trop tard pour les gens très intelligents, marmonna le vieux prof dont le regard devint de nouveau très vague.
Il regarda son verre de scotch vide et fronça les sourcils comme s’il soupçonnait quelqu’un de l’avoir volé.
Les gens très intelligents, reprit-il, sont justement ceux qui ont foutu ce pays et ce monde en l’air pour nos petits-enfants, Mr Gros bonnet de la Littérature. Souvenez-vous bien de ça.
Et de fait, Léonard s’en était souvenu. »
Dan Simmons, Flashback.

Pour son dernier numéro de l’année 2018, TK-21 LaRevue poursuit son chemin sur la voie de la découverte, de l’inédit et de la réflexion. Nous sommes portés en cela par la présence d’entretiens et de textes de personnalités du monde de la création littéraire et cinématographique comme Alexander Kluge ou de l’art comme Fred Forest, ou relatifs à des enjeux souvent d’une actualité brûlante. Rien ne manque pour faire de ce N°89 un moment singulier où le lointain croise le proche, l’étrange vient nous hanter et la mémoire s’invite pour nous entraîner sur des voies de traverses.

Nous ouvrons ce numéro avec la première partie d’un long entretien qu’Alexander Kluge a eu l’amabilité de nous consacrer à l’automne. Les images ont été réalisées par Hervé Bernard. Alexander Kluge y évoque la genèse des deux premiers volumes de Chronique des sentiments. L’écouter, c’est voyager dans un esprit pluriel dont la pensée et l’écriture sont à la fois voyage et table d’orientation, plongée dans l’histoire et fenêtre ouverte sur un cosmos hanté par l’imaginaire. Jean-Louis Poitevin poursuit son analyse de ces deux livres en proposant des axes de réflexion permettant de se plonger sans crainte dans ces pages innombrables.

Nous publions le second volet de l’entretien avec Fred Forest réalisé par Martial Verdier. Cette fois, Fred Forest revient sur son parcours d’artiste, de sa participation à la biennale de São Paulo en 1982 à ses échanges avec Pierre Restany ou Vilèm Flusser. Jean-Louis Poitevin montre quant à lui comment le dispositif organisationnel (évoqué le mois dernier) s’accomplit dans la mise en œuvre d’un nouveau critère essentiel dont l’actualité est on ne peut plus criante, celui paradoxal d’éthique dans l’art et d’éthique de l’art. Il relie cette nouvelle fonction à la notion de parrêsia sur laquelle Michel Foucault a beaucoup travaillé dans les dernières années de sa vie.

Dans sa Logiconochronie XXXIII, Jean-Louis Poitevin publie les premières pages d’un livre déjà ancien à la diffusion restée discrète dans lesquelles un cube perdu dans une forêt proche du Mont Ventoux, qui donne son titre à l’ouvrage, sert à la fois de lieu d’habitation et d’appareil de vision. Il faudrait écrire visions, tant cet incubateur va conduire la machine cérébrale et physique vers une méditation contemporaine autour d’un thème ancien, celui de l’élévation spirituelle liée à l’ascension de ce mont mythique que Pétrarque, en son temps, glorifia.

Dominique Moulon nous fait le plaisir et l’honneur de nous offrir un nouveau texte, intitulé Du chef-d’œuvre et du code. Il nous fait visiter deux expositions conçues par Peter Weibel et Siegfried Zielinski qui interrogent le rôle des technologies et des médias dans l’art. Si la première, Art in Motion, est résolument historique, la seconde Open Codes 2, continue dans sa deuxième version de considérer l’emprise du numérique sur nos sociétés contemporaines.

Martial Verdier exposera à partir du 18 Janvier à la 6e biennale d’art contemporain du Pecq certains de ses travaux récents. Il poursuit en effet son investigation du portrait. Jean-Louis Poitevin, dans le texte qui accompagne la présentation de ces œuvres, tente de décrypter cette démarche à la fois à l’aune de l’histoire de la photographie et d’une approche esthétique centrée sur des concepts plus actuels comme l’imparfait et l’absentement.

« Et si nous regardions les œuvres comme on admire et analyse un monde lointain, derrière un télescope, derrière une vitre. Dans les circonstances scientifiques comme dans certains contextes artistiques, c’est derrière du verre qu’un monde, aux dimensions et conditions hors de nous, se dévoile image. » C’est ce que nous propose de faire Laetitia Bischoff dans sa nouvelle chronique intitulée Derrière la vitre. Son esprit critique et sa poésie accompagnent des œuvres de Pascale Parrein et Luiza Simons qu’elle croise avec des réflexions puissantes du physicien Carlo Rovelli.

Jaewook Lee nous honore de sa fidélité et de l’acuité de sa réflexion en nous proposant aujourd’hui un texte portant sur les mutations dans l’art. « Contemporary art has changed dramatically. Artists’ practices have become more and more interdisciplinary, combining different fields of knowledge and practices. » Nous serions bien inspirés, en France, d’être à l’écoute de ce qu’il propose pour faire évoluer l’enseignement de l’art dans nos écoles.

Pauline Lisowski rend un bref hommage à la Petite Collection, une idée de l’artiste Florence Lucas qui s’est découvert un engouement pour la carte postale dans le domaine des arts plastiques. « Elle invite des artistes à réaliser deux œuvres au format carte postale, deux propositions qui permettent de découvrir la démarche d’un artiste. Cette règle du jeu les incite à développer, repenser leurs techniques ou à utiliser d’autres médiums. Durant la première édition, en décembre 2014, 180 œuvres furent exposées à la galerie White project. La seconde édition fut présentée au salon DDESSIN. » Nous sommes en 2018 et le projet se poursuit. Il est présenté cette année à la Galerie Bertrand Grimont. Avis aux amateurs !

Nous poursuivons notre voyage au Qatar en suivant les pas et le regard que Guillaume Dimanche a portés sur ce pays où il a vécu entre 2013 et 2016. Ces images de chantiers donnent de ce pays « ami » de la France une image à la fois active et rêveuse.

Fidèle à sa vocation d’espace de découverte de pratiques et d’œuvres peu ou pas connues, TK-21 LaRevue poursuit, dans ce N°89, son défrichage.

Nous avons déjà présenté ici certains aspects du travail d’Ibn El Farouk. Ce sont de nouveaux aspects de sa recherche relative à la peau même de l’image photographique que nous montrons ici. Cette exposition a eu lieu lors d’une manifestation à H2/61.26, espace d’art et culture et lieu de réflexion artistique créé et animé par le penseur et artiste Mohamed Rachdi, situé au cœur de Casablanca, qui accueillait en parallèle une conférence de Jean-Louis Poitevin.

Dans le cadre de ses échanges avec la revue Corridor Elephant, TK-21 LaRevue présente les Polaroïds de Marion Barat. « C’est grâce à un appareil Polaroïd de type Landcamera 180 au look désuet (appareil à soufflet) et surtout aux magnifiques, mais malheureusement disparus, films Polaroïd 669 et 679 que toutes ces images ont été réalisées lors de voyages plus ou moins exotiques. »

TK-21 LaRevue
propose pour sa part à Corridor Eléphant de publier le travail d’Olivier Tourlet. « Voyage dans le temps, allégorie de l’évolution entre biodiversité futuriste et art primitif, cette vision poétique explore les transformations du monde vivant dans un univers en miroir où se confrontent notre inconscient et nos croyances sur l’inconnu. »

Lors de son séjour à Shiryaevo Biennale, près de Samara, en Russie, cet été, Martial Verdier a rencontré l’artiste d’origine estonienne Olesya Münd qui dit d’elle-même : « I’m from a country where the past strongly affects the present. My artworks explore the limits of identity and personality under various political and social conditions. Being born in Soviet Estonia, I live in the same place, but became a native migrant for a Mother country after it regained its independence. »

Avec Ghost Dance, Télémaque Masson poursuit son travail d’exposition et de décryptage autour des fantômes. Partant de la vidéo de Jacques Derrida, il fait parler Bernard Stiegler, Thomas Edison et des artistes contemporains. Ce moment fort de ce N°89 nous fait aussi croiser Franz Kafka qui, dans une lettre à Milena, note : « La grande facilité d’écrire des lettres doit avoir introduit dans le monde — du point de vue purement théorique — une terrible dislocation des âmes. »

Dans ce N°89, Martial Verdier et Xavier Pinon poursuivent leur exploration du bassin sidérurgique disparu de Longwy en évoquant ce mois ci « le viaduc “peu inquiétant“, de la Chiers. »

William Radet, écrivain mais aussi ancien typographe, évoque pour nous certains des objets qui se trouvent chez lui. « Sur les étagères de ma bibliothèque cohabitent les livres et les choses les plus improbables, mais il est un objet qui m’est cher et qui me semble unique au monde… Les interlignes sont biseautés. On peut en déduire qu’ils peuvent glisser pour faire étau… » Pour le découvrir, vous devrez lire ce qu’il en raconte. N’oubliez pas ! Cet objet est absolument UNIQUE !

Nous terminons ce numéro par un texte littéraire inédit. Alain Cœlho poursuit sa plongée dans ses souvenirs d’enfance. Il nous livre le chapitre VIII d’Images d’aurore, intitulé Les statues et le sol. Il nous entraîne une fois encore dans la Tunis des années cinquante, et aujourd’hui plus précisément à Carthage qui était alors une sorte de musée antique à ciel ouvert. « Les images dans ma tête d’enfant s’agrègent à des ruines approchées, aux piliers et aux murs d’un ancien temple de Baal, aux dalles des citernes romaines, aux colonnes effondrées de Carthage avec brusquement des mosaïques au sol, infimes et presque intactes. Et naissait alors comme d’elle-même l’intimité d’une vie de jadis. »


Photo de couverture : Martial Verdier - Charles-Antoine Blez-Metivier

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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