LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°86


Éditorial

« Outrepasser l’humain ne se peut signifier par des mots ;
que l’exemple suffise à ceux à qui la grâce réserve l’expérience. »
Le paradis ( I 70-72) Dante

Ce numéro 86 de septembre 2018 est une cuvée exceptionnelle par le nombre d’articles et la variété des sujets traités qu’impose une actualité forte en cette rentrée.

À l’occasion du deuxième volume de son œuvre magistrale et gigantesque, Chronique des sentiments, II, L’inquiétance du temps, Alexander Kluge, qui est aussi un immense cinéaste, entame une année française ponctuée de nombreuses manifestations et qui se conclura par un colloque à Cerisy en juin prochain.
TK-21 LaRevue
a décidé d’accompagner cette « année Kluge » en publiant, chaque mois jusqu’en juin, un ou plusieurs textes de ou sur Alexander Kluge, mais aussi des films ou des vidéos.

Jean-Louis Poitevin ouvre le bal par une présentation et une première approche des deux volumes de Chroniques de sentiments publiés aux éditions P.O.L., le livre I étant sous-titré, Histoires de Bases et le livre II Inquiétance du temps.

Nous publions le premier volet d’un entretien passionnant que nous ont accordé la Directrice de Reso Com, une entreprise spécialisée dans l’analyse de documents apparemment officiels et pourtant frauduleusement dupliqués, volés, falsifiés, Marie Azevedo, qui pour l’occasion était entourée de Gilles Boisaubert et de Christophe C. Cet entretien est édifiant. Il nous dévoile tous les aspects, auxquels nous ne pensons jamais, des possibilités de fraude à l’identité. Mais plus encore, c’est une réflexion proprement philosophique à laquelle ces entretiens nous conduiront car c’est bien d’un renouvellement complet de notre manière de « penser » l’identité dont il est finalement ici question.

Jean-Louis Poitevin poursuit ses Logiconochronies en publiant des notes anciennes qui dormaient dans un cahier égaré pendant de longues années. Ce sont les commencements d’une réflexion sur la conscience qui sont ici dévoilés.

Valérie Bonnardel nous livre une réflexion intitulée Couleur, expérience humaine et cyborgisme. « Aujourd’hui, en rendant possible la mise en place de capacités sensorielles jusqu’alors inédites, les récents développements technologiques offrent l’occasion d’une réflexion sur la nature des couplages structurels qui s’élaborent à partir de l’interaction entre l’individu et son milieu ainsi que de leur impact sur la cognition humaine ». Nous sommes au seuil d’une mutation et elle nous invite à mieux la comprendre pour pouvoir y prendre part.

Pour poursuivre dans cette trame du futur, Dominique Moulon est allé en Autriche. « La rentrée, pour qui scrute les évolutions sociétales que chercheurs ou artistes révèlent dans l’analyse ou l’usage des technologies émergentes, se fait au festival Ars Electronica de Linz, un événement autrichien d’envergure internationale qui, cette année, interroge l’erreur pour envisager un Art de l’Imperfection. » Car nous entrons dans un monde où le « fail better » devient une valeur sinon échangeable du moins partageable.

Pour une fois TK-21 LaRevue consacre un certain nombre d’articles à des œuvres qui font la rentrée à Paris et ailleurs.

La galerie Fournier, à Paris et le POCTB à Orléans se sont joints pour nous permettre de découvrir les nouvelles œuvres du peintre Christophe Robe. Jean-Louis Poitevin livre une analyse détaillée de ce moment de renouvellement profond qui affecte cette peinture depuis quelque temps. « Une porte s’est ouverte dans le mur de la représentation qui était celui contre lequel et sur lequel Christophe Robe peignait. Par cette porte, qu’il a ouverte-peinte, il a su s’engouffrer. Alors, comme dans une scène tirée d’un film de science-fiction, il s’est retrouvé dans un univers qui semblait n’obéir plus en rien aux lois de la raison. »

Le hasard fait parfois bien les choses. En découvrant peu avant sa fermeture, l’exposition Rêve général de Gil Joseph Wolman, nous avons obtenu de reprendre l’intégralité des textes du journal de la galerie Natalie Seroussi qui lui était consacré. « Sans porter de discours politique explicite, Wolman a su capter l’énergie révolutionnaire de Mai 68, aussi bien dans sa dimension sociale, celle de la « grève générale », que dans sa dimension culturelle, celle d’une jeunesse qui « rêve » de porter l’imagination au pouvoir. » Il semble que l’imagination a été depuis, lentement mais sûrement bannie ou presque de nos préoccupations. À nous de nous en saisir à nouveau !

Actualité parisienne toujours, Hannibal Volkoff qui dirige avec Bernard Pegeon la Galerie Hors-Champs, a écrit un remarquable texte sur l’artiste qu’ils présentaient en cette rentrée, Claudie Dadu. « Exister, dans le sens d’être en vie, ce pourrait être ça : « tenir en l’air tout seul ». Être activé par une force interne et constitutive, qui s’accroche au cosmos, c’est-à-dire à l’ébullition du temps. Privé de cette force, épuisé, le sujet tombe. Il retourne au sol et se décompose progressivement sous la cadence silencieuse de l’oubli des vivants. » Au-delà de la singularité du matériau employé, des cheveux, et de la prouesse technique, c’est une confrontation avec nos fantômes et nos fantasmes qui nous est ici proposée.

La Galerie Intuiti montre le travail de Sascha Nordmeyer. Pascale Geoffrois signe un texte précis et rigoureux sur ces œuvres singulières. « Le spectateur s’immerge corps et esprit. Il circule, absorbé par les noirs et leurs nuances soudain vives et colorées, ou est ébloui par le rayonnement bienveillant des blancs qui apaisent, nacrés, vitraux d’un temple d’un genre nouveau, dédié à la sérénité, sorte de station spatiale en orbite au cœur de « l’essence des choses ».

C’est l’artiste elle-même qui présente ici son travail. Denise Fréchet écrit ainsi : « Je suis obsédée par le corps, l’identité féminine et la vulnérabilité de l’être. La sculpture et les installations sont mes modes d’expression privilégiés. Je suggère des histoires violentes, poétiques ou teintées d’un humour grinçant qui nous interrogent sur les désirs et contradictions de la société contemporaine ». Ses œuvres singulières sont à découvrir ici.

Laëtitia Bischoff poursuit ses chroniques, avec un texte comme toujours très inspiré sur une analyse comparée entre un masque et une œuvre d’art contemporain. « Le masque Yup’ik marque l’effectuation d’une ontologie du monde bien différente de la nôtre et de celle dans laquelle opère Cléron... Si les humains animistes se procurent les appendices d’autres espèces, dans l’œuvre de Cléron, c’est la chouette effraie empaillée qui s’en affuble et qui emprunte à l’animal-humain ses dispositions vestimentaires honorifiques. » Cette rencontre nous permet, entre autres choses, de remettre nos pendules à l’heure cosmique.

Fidèle à TK-21 LaRevue, Jae Wook Lee nous parle d’une œuvre qui se trouve en Corée, son pays natal. À l’heure où les relations se pacifient entre ces deux pays frères, cette œuvre nous permet de mieux comprendre les tensions qui persistent. « At the Seoul Museum of Art Bunker in Seoul, Choi presented the finalized trilogy of Operation Mole-Final Stand series, a multi-channel immersive video installation. » Mais il ne faut pas s’y tromper, cette œuvre interroge aussi l’addiction au jeu vidéo qui envahit la planète et la Corée en particulier.

TK-21 LaRevue
poursuit ses échanges avec la revue Corridor Elephant qui nous présente les photographies d’un artiste italien, Francesco d’Alonzo. « This is my "photographic philosophy" to plunge and get lost in the diversity of the world » et c’est en effet une découverte d’un regard singulier sur les attitudes des hommes dans la ville en particulier que nous sommes invités à faire.

Entre 2013 et 2016, Guillaume Dimanche a vécu au Qatar, immergé comme les nombreux expatriés qui y travaillent. Il a porté son regard pendant presque 800 jours sur ce pays et ses habitants comme cela n’avait jamais été fait auparavant dans les limites floues de l’interdit, du caché, du toléré et du non autorisé. Il a exploré une culture et une société opposées à nos connaissances, à notre conscience. C’est le premier volet d’une longue série d’images que nous sommes invités à découvrir dans ce Numéro 86.

En reprenant le dossier de cette exposition qui se tient en ce moment à la galerie Folia, TK-21 LaRevue poursuit sa présentation de la scène photographique iranienne contemporaine, toujours avec le soutien actif de la Silk Road Galery de Téhéran. C’est aussi une invitation à revenir sur les anciens articles publiés où il est question des artistes exposant en ce moment à Paris et à Nantes, et bien sûr aussi d’autres artistes tout aussi passionnants.

Durant l’été, les membres de TK-21 LaRevue ont aussi voyagé. Ils ont rapporté de Slatky, en Tchéquie, une vidéo réalisé par Otakar Baburek, organisateur du festival où cette performance a eu lieu en juillet. Il s’agit de la rencontre entre une danseuse japonaise, Toshiko Oka et un peintre, compositeur et musicien autrichien, Wolfgang Seierl. Traces cachées est le titre de cette œuvre.

Fidèle à ses relations étroites avec la scène artistique coréenne, TK-21 LaRevue est heureuse de vous convier au vernissage de PAF ! PAF est la première édition du Phil Art Festival, le Festival des 4 continents, dans lequel il sera possible de découvrir plus de 70 artistes venus d’Asie, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique. Il est à noter que cette manifestation, qui se tiendra au Bastille Design Center, est organisée par ACC (Art & Cinema Communication), Project (Korea) et Tov Art Association (France) avec le soutien de Espace Rhizome et du Musée Shuim, en partenariat avec le Centre Culturel Coréen à Paris et France Zone, Agence Coréenne de Presse à Paris.

Frédéric Atlan revient avec Six marches ciselantes, une de ces vidéos courtes dont il a le secret. Jean-Louis Poitevin tente une approche textuelle de ces images, voyant dans l’escalator, qui est le personnage central de ce moment, cette fusée des terriens pauvres qui apparaît dans la lumière telle une figure de la pensée.

TK-21 LaRevue
est aussi un espace qui s’intéresse aux livres, à la littérature, et qui présente des livres qui sortent ou ressortent et publie des textes inédits.

Comment j’ai appris à me tenir droit reparaît accompagné d’une préface de Fabrice Midal et d’une postface de Christian Ruby que nous publions ici intégralement. Ce livre de Christian Globensky est une « farce sérieuse » au sens où il s’adresse à chacun de nous en semblant nous tourner en dérision. Pourtant, rien de plus terriblement sérieux que cette réflexion, mais d’un sérieux qui s’oppose à l’esprit de sérieux que fustigeait Nietzsche justement, figure tutélaire de l’ouvrage. « L’erreur la plus certaine ? Celle d’avoir cru qu’il suffisait de nourrir mon esprit, de fortifier mon intellect, de rêver mes visions d’avenir pour que tout se mette en place comme par magie. » Qui n’a déjà tenté de contredire l’évidence du monde en soi ? De se dépasser ? Alors, allez voir ce qui se passe dans ce cas !

Pour clore ce numéro d’une richesse digne d’une grande rentrée parisienne, Alain Coelho nous offre la suite de son œuvre en cours, intitulée Images d’aurore. Ce cinquième chapitre s’intitule lui, Le tapis arabe. Nous sommes toujours à Tunis au début des années cinquante. « Le tapis arabe avait des bords millimétriques et de petits carreaux colorés, irisés, changeants au fil de la lumière, et qui faisaient pour moi des passages infimes et toujours retrouvés, des pourtours secrets, inépuisables au cours des heures dans des jeux d’hypnose, de perte, de confusion, de retour, de franges enchantées et mordorées, de bordures flottantes, de carrés de velours et de stries colorées et grenues. » Et ce tapis nous ouvre les portes d’un imaginaire qui trouvera en nous des échos puissants.


Photo de couverture : Guillaume Dimanche

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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