LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°64


Éditorial

L’urgence est partout. Elle nous assaille parce que nous lui prêtons le pouvoir de nous assaillir. Nous ne faisons pourtant ainsi que nous détourner d’elle et la transformer en une soupe de gravats. Milliards de corps errants, milliards d’images voyageant entre nous dans un ciel électronique. Et pour clore cette année passée, ici, en compagnie d’une des voix les plus absolument singulières de la littérature du XXe siècle, celle d’Antonio Porchia, laissons-nous « tenter » par une de ses « voix », toutes choisies dans l’édition Voix réunies, des Éditions érès :

« Ce que j’ai fait ou n’ai pas fait, je crois que c’est passé. Et ce que je ferai ou ne ferai pas, je crois que c’est passé aussi. »(Voix, p. 600) « Le véritable “ça va” je me le dis par terre, une fois tombé. » (Voix, p. 546) « La peur de la séparation est tout ce qui unit. » (Voix, p. 260)

Impossible de ne pas terminer ce voyage par la première de ces voix, celle qui ouvre ce recueil unique : « Situé en quelque nébuleuse lointaine, je fais ce que je fais pour que l’équilibre universel dont je fais partie ne perde pas l’équilibre. » (Voix, p. 1)

Pour ce numéro 63, TK-21 LaRevue modifie et le moment de sa publication et l’offre rédactionnelle en proposant une sorte de « numéro double », avant un « numéro spécial » de fin d’année qui sera consacré à un récapitulatif créatif des aventures menées à travers la France et la Corée durant cette année intense que fut 2016.

Alexander Kluge, le grand cinéaste et écrivain allemand a publié en France aux Éditions P.O.L, cette année, le premier volume d’un ensemble énorme et immense, La chronique des sentiments. En janvier nous publierons l’entretien qu’il nous a généreusement accordé lors de sa venue en France au printemps. En attendant ce moment, nous publions un texte inédit évoquant avec drôlerie le grand œuvre de Robert Musil, L’homme sans qualités. Ce texte est accompagné de sa traduction par Vincent Pauval.

Jean-Louis Poitevin poursuit dans sa Logiconochronie XIV ses réflexions sur l’image à travers l’analyse détaillée de la thèse 31 de La société du spectacle, de Guy Debord et quelques analyses dans lesquelles on retrouve un questionnement sur l’hallucination généralisée dont nous sommes les « objets » ou les relations ambiguës que nous avons instaurées entre carte et territoire.

Jean-Louis Poitevin nous propose quelques bonnes feuilles de son nouveau roman, Séoul, Playsation mélancolique publié il y a un mois aux Éditions L’atelier des cahiers, accompagné d’images qu’il a lui-même réalisées.

Ce numéro 63 accueille cinq grands photographes, tous présents sur la scène française à des titres divers, expositions ou livres récemment parus et qui nous offrent des voyages d’ordres divers dans les strates de nos mémoires collectives.

Marion Kalter, dont les portraits en particulier ont acquis une célébrité méritée, nous offre des images extraites du livre All around Ted Joans, réédité par le musée ZKM Karlsruhe à l’occasion de l’exposition « Beat Generation ». « Pendant que je suivais les cours aux Beaux Arts à Paris, je traînais dans les cafés comme La Palette ou Le Select… C’est là que les gens se rencontraient, se laissaient des messages, organisaient des sorties. C’est aussi là qu’un beau jour je rencontrai le poète américain Ted Joans et que commençait assez vite ma « TEDUCATION »…

Hervé Gloaguen, lui, exposait à la Galerie Arcturus les images qu’il a réalisées à New York dans les années soixante. Il y était, il y a vécu, il ouvre pour nous la boîte de Pandore des souvenirs qu’il détaille dans un texte de sa main.

François Sagnes publie chez Créaphis Éditions, ses images du jardin de Bomarzo, livre magique par la force des images mais aussi par la puissance évocatrice du texte de Gilles Polizzi d’une qualité rare et qui en outre nous raconte l’histoire du jardin, nous fait vivre une visite que nous pouvons accomplir en parallèle par des allers et retours constants avec les images.

Jean-Yves Cousseau, publie un ensemble d’images méditatives et secrètes dans un livre Intempéries, aux Éditions Isabelle Sauvage dans la collection Ligatures, projet initié au début des années 1990 en complicité avec trois auteurs, Éric Audinet, Sarah Clément et Tom Raworth et qui voit finalement le jour aujourd’hui. Et ce sont donc quatre voix qui alternent pour dire le mauvais temps à l’œuvre de toute vie (intempéries), mots et images suivant le même fil tout en conservant leur autonomie.

Jean-Daniel Berclaz poursuit à travers le monde ses vernissages de point de vue, activité centrale de son Musée du Point de Vue, musée sans mur, mobile et planétaire qui aujourd’hui est venu se poser en Haïti. Vêtu de la tenue que doit porter le président de la république lors de cérémonies, « l’artiste arpente l’espace urbain dans ses poches les plus incongrues ; il s’arrête là, pose, il passe par là, ne s’arrête pas là, prend de la hauteur, respire, vagabonde, cherche des points d’équilibre, une logique d’ensemble dans le froufrou de la ville » comme le dit le texte inspiré de Dangelo Néard.

C’est encore et toujours à l’exploration de la scène artistique coréenne que TK-21 LaRevue consacre une partie de ses recherches.

Artiste ayant choisi pour seul « motif » ou pour seul moteur de son œuvre multiforme l’alphabet coréen le Hangul, Kim Bo Sung, peintre et sculpteur, présente ici à travers un court essai de Jean-Louis Poitevin les divers aspects de sa création. C’est en particulier la question infinie mais centrale, plus encore aujourd’hui qu’hier, des relations entre texte et image, ici entre mots et lettres et devenir visuel du lisible qui font l’objet d’une analyse détaillée.

Personnage central des mouvements d’avant-garde apparus pendant les heures sombres de la dictature en Corée du Sud et qui trouvent enfin aujourd’hui leur place et leur reconnaissance sur la scène internationale, on pense en particulier au mouvement Dansaekhwa, Kim Yong-Ik expose aujourd’hui à la Galerie KUKJE ses œuvres les plus récentes. Jean-Louis Poitevin tente de décrypter l’un des enjeux de cette œuvre immense et centrale dans l’histoire de l’art contemporain coréen à partir de la notion de « signe vide ».

Artiste mais aussi chroniqueur et analyste exigeant et pertinent de la scène internationale Jae Wook Lee revient avec la présentation d’une exposition berlinoise dont le commissaire est coréen. « Asia Contemporary Art Platform NON Berlin and Meinblau co-present station MOVES, a group exhibition curated by South Korean curator Yongdo Jeong. The project investigates critical and timely issues in contemporary art and the role of media in the reality of political and economic division. »

TK-21 LaRevue présente le travail de jeunes artistes actifs sur la scène française. À côté de leurs activités individuelles, ils participent à des titres divers, d’une part à un groupe de recherche nommé Frame pour les deux femmes, et d’autre part au Laboratoire espace cerveau initié par l’IAC de Villeurbanne.

Sandra Lorenzi expose actuellement Prospective des murs Depuis que les bals sont fermés. Il s’agit là du premier volet d’un cycle de recherches, d’expérimentations et d’expositions qu’elle initie à l’Espace arts plastiques Madeleine-Lambert à Vénissieux. Recourant principalement à des matériaux de construction qui structurent l’espace et modifient profondément le lieu, elle y associe des éléments qui rappellent un intérieur ou d’autres objets fonctionnels qui renvoient à l’habitat, comme elle l’explique à Xavier Julien, commissaire de l’exposition.

Stéphanie Raimondi, qui expose dans la salle unique de ce lieu singulier, la galerie La pièce d’en bas, démontre avec justesse et élégance que créer en partant d’une ou plusieurs sources d’inspiration littéraire peut ne pas conduire à une production formelle illustrative ou dénotative, mais bien à une production plastique inventive, comme l’analyse Jean-Louis Poitevin.

Mengzhi Zengh propose une nouvelle exposition à l’URDLA à Villeurbanne, qu’analyse pour nous Cyrille Noirjean. L’artiste remarque quant à lui que « ces inarchitectures ou architectures — qui semblent — inachevées, n’ont pas vocation à être reproduites dans une autre échelle. J’évoque une architecture sans fonction pour l’usager, si ce n’est peut- être de pouvoir les habiter le temps d’un instant.
 »

TK-21 LaRevue
est heureuse de présenter le travail d’une artiste exposant dans ce lieu improbable qu’est L’atelier des vertus, tenu de main de maîtresse par Katia Feltrin depuis quelques années. Aujourd’hui c’est une expérience singulière qui y est présentée, celle de Christelle Westphal qui y installe sa Cosmogonie du vert et sa parole, une performance photographique au retardateur.

Laëtitia Bischoff, revient avec une de ses brèves mais efficaces méditations sur des œuvres singulières, ici elle entrelace des remarques sur des sculptures de Berlinde de Bruyckere comme sur des peintures de Gaël Davrinche, des œuvres de Christophe Marguier et des photographies d’Annabel Werbrouck. Ces artistes de l’atelier de l’églantier confèrent une puissance au temps et non au chronomètre. Ils la cherchent au fond des formes, comme une durée qu’on extirpe d’une expérience.

Fidèle à son désir d’ouvrir ses colonnes à des auteurs, TK-21 LaRevue poursuit ici la publication du Voyage à Leipzig d’Alain Coelho. Dans ce troisième volet l’auteur remarque que « ce voyage à Leipzig était bien entendu délirant, à l’aune d’un psychiatre, se présentant pour moi comme si l’on pouvait trouver en des lieux les univers et l’essaim qui nous auraient constitués, l’orgue, la musique de Bach. »