LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n° 47


Éditorial

Norbert Élias dans son livre Théorie des symboles [1] écrit : « La difficulté qu’on éprouve à appréhender l’apparition de structures totalement nouvelles dans le cadre d’un processus continu est en partie due au fait que notre mode de pensée actuel, c’est-à-dire la structure de nos catégories, est calé sur des intervalles temporels relativement courts. Les gens prennent manifestement pour cadre de référence principal la durée relativement courte de l’existence humaine. Les périodes de dizaines de milliers d’années, voire de millions d’années, dépassent leur imagination. » [2])
À peine deux siècles pour la photographie, un pour le cinéma, un peu plus d’un demi pour la télévision, un peu moins pour la vidéo et deux ou trois décennies pour les images numériques. De quelle charrue sont-elles le soc, ces images ?


1 et 2. « Ed. du Seuil, 2015 »

Voilà quatre ans, c’était en juin 2011, que TK-21 LaRevue émet, voix paradoxale puisqu’elle tente d’être celle des images, mais voix puissante puisqu’elle s’accorde sur le continuo des réflexions sans concession au sujet de ces « objets » aux multiples statuts et qui restent en fait inassimilables. Nous tentons donc de comprendre ce que sont les images, toutes les images, ce qu’elles nous font en interrogeant les œuvres de ceux qui les font.

Il n’est pas question d’anniversaire, seulement d’indication permettant un regard rétrospectif sur un travail assidu. Merci à tous ceux qui participent ou ont participé à cette aventure unique en son genre.

Ce numéro 47 offre un panorama représentatif de nos ambitions.

Avec la seconde partie de l’entretien que nous a accordé le jardinier et penseur des jardins Gilles Clément, nous poursuivons l’analyse d’images particulières que l’on nomme paysage, celles qui se forment à l’exact et intenable point de rencontre entre données physiques et données mentales, entre sensations et perceptions, entre recueil de l’existant modalisé par l’œil-cerveau et projections désirantes émises par le même cerveau associé alors à l’ensemble du monde qui entoure le corps.

Nous accueillons les réflexions d’Emanuele Clarizio, jeune philosophe, sur le statut des objets techniques dans l’œuvre de Gilbert Simondon, philosophe auquel TK-21 s’intéresse avec détermination. De l’objet technique, Simondon dit qu’il est « un mixte stable d’humain et de naturel, il contient de l’humain et du naturel ; il donne à son contenu humain une structure semblable à celle des objets naturels, et permet l’insertion dans le monde des causes et des effets naturels de cette réalité humaine. »

TK-21 LaRevue accueille avec un grand plaisir le premier texte d’une série de quatre que François Helt, Directeur Scientifique de la société HTS qui est spécialiste de la restauration numérique, consacre aux nouvelles conditions de la monstration des images dans les salles numériques. Nous acceptons sans broncher de considérer que les images projetées sont les mêmes depuis que la projection existe sans tenir compte des mutations parfois profondes qui ont affecté leurs conditions de projection. Nous allons pouvoir envisager qu’il en va réellement autrement.

Stéphane Le Mercier poursuit son décryptage des revues singulières et des enjeux qui transforment sur des supports papier la relation texte / image en nous présentant le numéro 7 de K.O.S.H.K.O.N.O.N.G, revue parue au printemps aux Éditions Eric Pesty à Marseille.

Nous retrouvons Kza Han, poétesse d’origine coréenne, qui nous emporte dans un voyage immobile au cœur de la tradition coréenne par quelques poèmes de sa main et par des traductions de textes inédits en français, ensemble accompagné d’images d’artistes et de photographes coréens. Le lien de TK-21 avec la Corée trouve une fois de plus à se concrétiser à travers des œuvres littéralement atemporelles.

C’est avec la troisième série d’images de Gwon Doyeon que se poursuit ce numéro, des images qui transforment de facto notre présent en un monde d’avant-hier puisque des objets ramassés dans la rue et présentés hors de tout contexte deviennent les exemplaires anonymes d’une archive impensable. Face à nous, notre monde devenu sa propre ombre.

Nous restons en Asie avec une série d’images, intitulée Le mécanisme répétitif. Elles sont l’œuvre d’un photographe taïwanais, Hao Li. Par leur tremblement si particulier, elles nous font entendre le bruit sourd du temps que le mouvement des trains et autres machines font, depuis deux siècles, résonner dans nos vies.

Asie toujours, avec les œuvres de deux photographes taïwanais, HUNG Shih-Tsung et CHANG Chung-Liang, visibles à Paris à partir du 29 juin et présentées par Wei-Shiuan Sun. Sous le titre de Fragments de récitatifs, elle nous fait entendre que « dans l’esprit des artistes, des objets solitaires élus, comme l’interface du flux des souvenirs photographiés, mais pas uniquement fixés, soulignent que c’est le cœur qui façonne le paramètre essentiel de la création d’une œuvre. »

Nous revenons aussi vers la galerie Hors-Champs qui présente à partir du 3 juillet un ensemble d’œuvres de sept artistes (Daria Surovtseva, Marine Hardeman, Philippe Chitarrini, Silvère Jarrosson, Vincent Descotils, Virginie Balabaud (alias Globuline), Yuhsin U Chang) autour de cette question vitale au temps de la post-histoire des métamorphoses. Hannibal Volkoff nous livre un texte précis et juste sur cette question rapportée aux œuvres qu’il a choisi de présenter.

TK-21 LaRevue accueille le travail d’un jeune artiste et commissaire, Benjamin L. Aman dont les œuvres sur papier, une méditation sur la page et la porte, la nuit de l’encre et la lumière qui sourd de cette nuit, sont magistralement présentées et analysées par Marie Cantos.

Christine Laquet qui expose à la galerie White Project a réalisé une performance dévorante dont nous montrons quelques images. De plus, elle présente des objets et des images sur des supports inhabituels qui renforcent la puissance expressive de son œuvre sans concession.

Fabienne Yvert poursuit ses méditations poétiques avec un court texte accompagné d’images énigmatiques, et dans lequel on peut lire ceci : « Devenir maître du monde, capturer jusqu’aux étoiles. Au pied pour la photo ! On s’en fout de la vitesse de la lumière derrière les Ray-Ban®. Vintage. Ça remonte pas à plus de 4 milliards d’années ».

Fondateur du groupe UNTEL avec Philippe Cazal et Jean-Paul Albinet, Alain Snyers est présent dans l’actualité avec la sortie d’un livre intitulé le Récit d’une œuvre, 1975-2015, un document à ne pas manquer pour ceux qui auraient justement manqué quelques épisodes de la tumultueuse vie artistique parisienne et internationale durant ces quarante années. Une manière surtout de prendre la mesure de certains changements comme en témoigne cette phrase du livre prise au hasard : « Durant les années 70, les regroupements d’artistes étaient courants et dans l’air d’un temps militant et collectif. L’association d’artistes s’est très souvent faite sur des bases politiques et l’autogestion de l’action artistique était un moyen, non seulement d’agir, mais aussi d’exister dans un contexte où la jeune création n’avait que peu d’espaces de démonstration possibles. »

TK-21 LaRevue persiste dans la publication d’œuvres littéraires originales avec deux poèmes de Laetitia Bischoff, l’un accompagnant une œuvre de Marlène Dumas et l’autre une œuvre de Laurent Millet, ainsi qu’avec un ensemble de textes courts signés de Joël Roussiez qui nous conduisent dans un orient rêvé.