samedi 27 juin 2015

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Les métamorphoses — Un sommeil souterrain

, Hannibal Volkoff

« Les Métamorphoses – un sommeil souterrain » se présente dans la continuité de l’exposition « De Profundis » (Galerie Hors-Champs, 2014), exploration dialectique du vivant et de l’inerte, de la forme et de l’informe, mais cette fois-ci en se concentrant sur le mouvement, mystérieux comme une incantation et compulsif comme la beauté, qui fait naître le passage de l’un vers l’autre.

Une métamorphose s’est mise en place. Il ne s’agit plus de ne parler que du rêve fasciné du vivant par les limbes, mais aussi de leur tentative de puiser en leurs profondeurs la force qui les guiderait de l’innommé au définissable.

Mais quelle est cette « forme définissable » ? Nous n’en saurons rien (peut être pouvons-nous nous le deviner parfois), ce n’est pas sur la finalité de la métamorphose que porte l’exposition mais sur son processus ; elle est en quelque sorte un « arrêt sur image », une interruption pour capter les attributs de l’impulsion créative.

La mutation étant le propre de la nature, c’est en premier lieu par la terre et le végétal que les œuvres opèrent leur devenir. La série « Endovegetalis-humanoïde » de Yuhsin U Chang est composée de créatures sculptées en fibre de lin, contorsionnées, à mi-chemin entre l’humain et l’herbe. Elles évoquent des mythes du monde entier, d’Ovide au Flowering Tree indien, avec leur fascination parfois effrayée du retour aux sources, de la communion avec les origines, ce monde utérin aux racines encore ancrées dans le chaos d’où l’être émerge, perdu, gesticulant.

La série photographique qui les accompagne, « Vagues », est une suite de natures vivantes : des paysages y sont créés à partir de corps humains transformés par l’artiste. « Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau » : à partir d’elle émerge un univers que l’on peut apparenter à un état d’âme.

Celui qui est décrit dans les photographies de Virginie Balabaud (« Dorénavant ») se retranscrit aussi par un corps nu, sans visage, donc sans identité.

En lévitation, il semble puiser dans le sol, dans la végétation, l’énergie nécessaire pour s’en extraire. La jouissance naît toujours de l’altération soudaine du langage, du basculement précis où le submergement de l’être permet son élévation. Si « le réel, c’est l’impossible », c’est-à-dire, « quand on se cogne », alors le corps se doit de métamorphoser sa réalité. Virginie Balabaud a choisi le monde flottant, celui d’un entre-deux où l’évanescence règne.

Cet « entre-deux » comme monde à part, on le retrouve chez la sculptrice Daria Surovtseva et chez le photographe Vincent Descotils. La première façonne avec ses « Créatures » de porcelaine une faune indéterminée, fossiles ou structures proto-vivantes qui n’ont pas encore eu le temps d’aboutir.

Le second capture des scènes enfantines et incertaines comme des rêves effacés par leur brumeuse texture. Ils sont tous deux des artistes de la petite enfance, celle de l’humanité, celle du langage, une nuit génitale faite d’une obscurité palpable et désirante, que l’on apprend à oublier mais dont les fantômes, les fantasmes, se rappellent à nous. Revêtus d’un voile granuleux ou d’organes aux fragiles torsions, ces réminiscences nous parlent de l’intérieur.

Dans les photographies de Yuhsin U Chang, les plis, pores, détails de la peau sont crevasses, roches et craquelures de neige ; de même, les écoulements abstraits de la peinture de Silvère Jarrosson, magma de mélanine, variations hallucinées de formes charnelles, semblent des cartes géographiques ou une imagerie satellitaire, quand ce n’est pas microscopique. Le minuscule se mêle à l’immense, les cellules aux étoiles.

C’est encore par la contradiction que le mouvement se créé, sans elle tout demeure figé, permanent. Le lien unificateur des opposés ? L’émotion, celle de l’inattendu, de l’acrylique qui se faufile sur la toile et élabore ses chemins comme si elle avait une vie propre, une intention particulière que Jarrosson guide (ou serait-ce elle qui le guide ?) à travers gestuelle et dosage. Ainsi, alors que le procédé paraît au premier abord l’élaboration d’une cartographie déserte, sans humanité, elle transpire finalement d’une présence énigmatique. Nous ressentons sa respiration, son souffle est imprévisible mais sa précision garantit le témoignage de ses contrées immanentes.

(On pense aussi aux squelettes de Daria Surovtseva, qui évoquent des structures architecturales, des délicates et primitives maquettes de cités futuristes. Le corps en formation se fait lieu, paysage ou habitation, affirme son être-au-monde, son être-monde. Une patrie : « la terre des aïeux ». Construire le passé auquel on s’identifiera.)

À l’inverse, chez Philippe Chitarrini, une empreinte digitale (celle de Catherine Millet), agrandie et segmentée par plusieurs cadres (interchangeables ?), devient figure abstraite. Il faut rendre le plus visible possible pour se perdre dans l’éparpillement des formes. La métamorphose se situe là dans la subversion de l’identité, puisque son code immuable, une fois retranscrit à l’encre dans un format inhabituel, se transforme en pur motif, proche du labyrinthe. Ainsi, Chitarrini joue doublement le jeu dialectique entre absence et présence, et le confronte aux origines : celles de l’identité, devenue processus, mais aussi celles de l’image – les imitations d’empreinte remontant jusqu’à la préhistoire.

Le dialogue des œuvres qui forment l’exposition est silencieux. Il faut en suspendre le cours pour comprendre ce qui le meut, ce qui l’émeut. Passer par la capture et l’immobilité pour y déceler la force de propulsion.

Une œuvre seule est en mouvement, finalement. Une installation de Marine Hardeman composée d’une branche de bois réchauffée de l’intérieur par une chaude lumière, pendant qu’une roue posée sur le sol fait tournoyer un rayon lumineux en un cycle continu. Elle berce, veille sur le sommeil réparateur de l’exposition. Quelque chose de latent s’y prépare, protégé par sa peau de bois et de verre, tel un Tabernacle en attente. Son murmure préfigure l’évènement d’une naissance sans fin.

La Galerie Hors-Champs
13 rue de Thorigny — 75003 Paris
« Les métamorphoses - Un sommeil souterrain »

Daria Surovtseva
Marine Hardeman
Philippe Chitarrini
Silvère Jarrosson
Vincent Descotils
Virginie Balabaud (alias Globuline)
Yuhsin U Chang

Commissaire d’exposition : Hannibal Volkoff

Exposition du 3 juillet 2015 au 6 septembre 2015