LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°77


Éditorial

Là où il n’y a pas de dieux règnes les spectres.
*
Qu’est-ce que l’homme ? Un trope parfait de l’esprit.

Novalis

L’homme n’est pas négativité, il est le point de différence entre des répétitions.

Peter Sloterdijk

Pour ce dernier numéro de l’année 2017, TK-21 LaRevue poursuit ses explorations des zones qui contribuent de près comme de loin à l’élaboration d’une vision renouvelée de notre monde.

Avec Le bonheur nouvelle donne, Jean-Louis Poitevin poursuit ses Logiconochronies, et ici l’analyse de la mutation comportementale qui nous affecte et que nous accomplissons, parfois malgré nous. Un siècle au moins pendant lequel, dans les zones d’action culturelle, on a vanté la « désinhibition ». Il semble que le renversement soit acté qui veut que « l’inhibition » puisse avoir plus de vertu que sa sœur. Pas de vertu en soi pour l’inhibition, seulement le constat que les tenants de la libération à n’importe quel prix sont devenus de facto les alliés et les commensaux des puissances de désordre qui envahissent la planète de leurs marchandises explosives. Quelques images amusantes ponctuent ce court voyage.

La directrice du Centre d’art La Maréchalerie, à Versailles, nous a accordé un long entretien dont nous publions le premier volet. Valérie Knochel Abécassis y détaille à la fois les fonctions d’un centre d’art et les spécificités de celui qu’elle dirige depuis sa création. On pourra ainsi mesurer combien, de sa conception à son fonctionnement, ce centre d’art remplit des fonctions aussi diverses que multiples allant de la création à la médiation, de la pédagogie pour tous les publics à la publication de livres importants.

Stéphane Le Mercier est allé cet été, comme tant d’autres, faire ses dévotions dans la Ruhr, à la Documenta de Kassel et au Skulptur Projekte de Münster, ainsi qu’à Venise à la Biennale. Il en a rapporté une réflexion qui, sous la figure tutélaire de Walter Benjamin et de sa mélancolie, interroge les œuvres qu’il y a vues et tente de percevoir dans la grisaille — la Documenta fut à sa façon une suite d’interstices, une succession de gestes affaiblis mêlant générations et cultures, langues et imaginaires, une manifestation peu encline à célébrer les grandes figures du marché et de l’histoire, écrit-il — un peu de « soleil malgré tout ».

Jeune artiste plus que prometteur, Silvère Jarrosson ouvre le bal de 2018 avec une exposition personnelle à la Vanities Gallery à Paris, qui a ouvert ses portes il y a à peine quelques jours. Par une pratique libre de la peinture, il déploie des mondes imaginaires qui s’approchent parfois de ceux que la nature produit dans le secret de ses entrailles. Jean-Louis Poitevin tente une approche du travail de celui qui, destiné à devenir danseur, a vu son destin changer et a su avec une détermination implacable devenir peintre.

Fidèle à TK-21 LaRevue, Jaewook Lee, artiste d’origine coréenne résidant et travaillant à New York, poursuit aujourd’hui dans une discussion avec Chao Jiaxing, curator chinois, sa réflexion sur son propre travail autour des neurones miroirs et la manière dont il intègre cette découverte scientifique dans le déploiement d’une œuvre artistique. « I am interested in the experience of the audience. I want to offer the audience a new kind of experience. This is the reason why I incorporate sculptural elements into my work. More precisely, I make an installation in which, to borrow the phrase from Adorno, “different genres of arts fray their boundaries,” and join together. » Comme toujours une approche d’une grande justesse et d’une réelle tenue intellectuelle.

Laëtitia Bischoff poursuit ses chroniques avec cette fois une présentation des sculptures de Julia Huteau. À partir d’une méditation sur la caresse, elle montre comment Julia Huteau « dessine des horizons soufflés, oublieux du terrestre, perchés au creux d’une épaule ou au fin fond de l’univers ».

Jean Pierre Hamon et Gaëtan Viaris nous présentent Les Actes du Désert, une performance qui a vu le jour les 13 et 14 janvier 2006 dans le désert à la périphérie de Tombouctou, au Mali. « Deux peintres-calligraphes, deux photographes et un chorégraphe ont décidé de jeter leur dévolu par un ensemble ritualisé de signes — appuyés par des paroles en suspens — en un point de convergence entre le zéro et l’infini où cosmos et sacré, présence minérale à ciel ouvert et croyances fétichistes nouent et dénouent encore des rapports très intimes. »

Au Centre d’art Tamaris à La Seyne-sur-Mer, une exposition intitulée Stack permet de voir les œuvres d’Alain Pontarelli et de Pascal Simonet. C’est à présenter les réflexions de ce dernier que nous nous attachons, à travers des extraits d’un entretien qu’il a donné à Robert Bonaccorsi qui est aussi l’auteur du texte de présentation qui évoque de manière précise comment l’artiste reconsidère et met en scène la question, encore essentielle aujourd’hui, du paysage.

Stéphane Mortier et son Quotidien d’atelier nous permet aujourd’hui de pénétrer dans les ateliers des trois artistes, Miller Levy, Jacquie Martin-Horwitz et Radovan Kragulj. On y découvre des gestes à la fois simples, banals presque, mais dont certains restent si imprévisibles qu’ils réveillent en nous notre désir de capter un peu de ce qui est en jeu dans l’art, la rencontre avec le mystère.

Avec Prière pour le poulet et ses œufs, Chan Kai Yuen met en scène de manière absolument drolatique notre relation aux rites, aux rituels, et la manière dont ils nous permettent de faire face aux traumas qui jalonnent notre histoire. Ainsi, un poulet plumé comme toujours joue avec des œufs sur une musique envoûtante pendant qu’en arrière fond on voit, boucle sempiternelle d’un trauma planétaire transmué en marchandise idéologique, des tours s’effondrer.

Pour clore et ce numéro et cette année, nous publions la fin du texte (désormais édité aux Éditions Tipaza) de Werner Lambersy, Départs de feux. La poésie est cette fusée de mots qui nous conduit, en une course folle, à partir si loin qu’on pense ne pas revenir et à nous retrouver là où nous étions, identiques et pourtant changés. Werner Lambersy nous fait faire ici un tel voyage qui se termine par ces mots : « Dans ce chaos / Qu’on désigne ténèbres // Troupeau / Perdu entre adrets ubacs / Sommet // Et l’abîme où personne / Ne règne sans / Un grand cri hurlé seul ».

Partagez les découvertes et les réflexions que TK-21 LaRevue vous inspire.
Nous vous espérons plus nombreux encore pour nous lire en 2018, telle est notre ambition.
Nous vous souhaitons de bonnes fêtes et une excellente année.


Photo de couverture : Gaétan Viaris - Actes du Désert
De nombreux problèmes sont signalés par des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.