LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue n°113


Éditorial

« C’est donc quand je ne suis plus rien que je deviens vraiment un homme. »
Sophocle Œdipe à Colone

TK-21 LaRevue  s’ingénie à durer à travers vents et marées et à éviter les pièges que tendent à la vie et à la pensée des dynamiteurs professionnels en gants blancs qui confondent la loi et l’ordre, le devoir et le pouvoir, l’obéissance et la soumission et s’érigent en roitelets d’un pays qui les abhorre. Dans ses colonnes, donc, un panorama pas tant éclectique qu’ouvert sur des courants visibles ou souterrains qui agitent et nourrissent notre terre dévastée.
Face aux silences et aux cris, faire se lever des voix qui résonnent par-delà les bruits de chasse d’eau et les cliquetis des bennes à ordures, ces bruits qui envahissent nos oreilles jour après jour, sans discontinuer !
La seule force de ce pouvoir déliquescent tient à sa capacité à mobiliser à son service et à flux constant les réseaux de ce qui s’appelait autrefois l’information et qui n’est plus qu’un vaste égout par lequel transite une ignominie devenue loi martiale.
Ici, rien de tout ça ! Justes des images, des voix, des corps qui disent avec vigueur et rigueur comment vivre peut encore être appréhendé comme une chance.

Images d'ici... Images d'ailleurs...

C’est à une nouvelle approche de l’œuvre de ce photographe suédois atypique que nous invite le critique Martin Schibli. Karl Magnus Petersson’s world moves between history, memory and cultural heritage with its impact on the present here and now. The artist captures fragments of events which can now be seen as past memories that may seem uncertain in the interplay between a public official history writing, the collective and the private memory. Cet article fait suite et complète l’analyse du travail de cet artiste parue en 2015, dans le numéro 42 La voix des fantômes qu’avait faite Jean-Louis Poitevin.

TK-21 LaRevue  poursuit sa présentation du travail de Lynne Cohen exposé en ce moment au FOMU, le Fotomuseum d’Anvers, en évoquant cette fois certaines de ses images accompagnées des propres réflexions de l’artiste. Ceci nous permet de découvrir à la fois qu’une image, pour elle, est un mélange d’attention et de réflexion. Si jamais certains doutaient qu’une image peut penser, Lynne Cohen nous démontre ici allègrement le contraire.

Jean-Francis Fernandès nous renouvelle sa confiance en nous offrant une série d’images puissantes et renversantes qu’il présente lui-même. Ces photographies ont été réalisées auprès d’enfants autistes en mai et septembre 1976 puis en mai 1980, lors de rencontres épisodiques de courte durée grâce aux autorisations institutionnelles délivrées parcimonieusement. Comment, après avoir vu ces images, ignorer combien c’est nous qui ressemblons à ces enfants-là, plutôt que le contraire ?

Pha Kim Dien poursuit dans TK-21 LaRevue  son investigation personnelle des maux du monde à travers mots et images. « ILS TIRENT ........... Je RIPOSTE avec les armes à NOTRE disposition : du LANGAGE : avec des mots : POESIE ...... LE VERBE ............. Les IMAGES day per day ou CE CARNET, ce JOURNALIER comme une REACTION ........ aux MAUX du MONDE ».

Dans le cadre de notre partenariat avec la revue Corridor Eléphant, TK-21 LaRevue  présente le travail photographique, sur les îles du Frioul à Marseille, d’Isabelle Scotta qui déclare à ce sujet « Le Frioul fut un lieu de quarantaine où marins et voyageurs venaient faire escale pour s’isoler et protéger le continent des maladies contagieuses. L’archipel est pour moi comme un théâtre, un huis-clos, où je laisse aller mon imagination. »

Martial Verdier est venu, au cœur des Ardennes, durant plusieurs étés photographier et filmer les modèles des Femmes Sauvages « body-paintées » par le peintre Sylvain Paris, lui-même modèle et performeur avec son avatar innuit siniswichi. Nous présentons aujourd’hui l’opus 2 de ce travail particulièrement bienvenu en ces temps de grande privation.

Avec son #10 de Lost in the super market, Aldo Caredda poursuit son « œuvre insensée » en ceci qu’elle est réalisée à la limite même du sens. En déposant une empreinte dans un endroit où elle ne doit pas être vue, il provoque un raccourci puissant conduisant directement de la vanité à la vanité. Entrant de dos dans le champ de l’image, il renonce ainsi au visage. C’est en ombre qu’il s’avance pour aller s’agenouiller en haut d’un escalier, devant un autel improbable « lumineux et serein ». Il révèle ainsi, comme en passant, combien son geste synthétise ce qui constitue peut-être la source la plus profonde qui pousse les hommes à produire des œuvres, à laisser des traces, fussent-elles infimes ou invisibles. Devant cet « autel » se découpant dans la lumière, le geste de l’offrande « mystique » de l’empreinte exhibe en un unique instant l’association glorieuse de l’immensité du néant et de l’imminence d’une révélation.

Expos… Expos…

Pascal Pique présente pour TK-21 LaRevue  ses réflexions sur l’invisible. « La géométrie et l’abstraction sont souvent liées aux cultures de l’Invisible depuis l’apparition des premiers tracés géométriques dans les grottes ornées de la préhistoire, jusqu’aux œuvres les plus contemporaines qui se ressourcent dans des formes d’épure abstraite. À quoi tient ce phénomène ? Quelles réalités et quels enjeux recouvre-t-il ? »
L’exposition Géométries de l’Invisible révèle et explore ce continuum transhistorique. Apparaît alors sous nos yeux un tout autre paysage où l’art redéploie toutes ses énergies. C’est L’Espace de l’art concret à Mouans-Sartoux qui accueille les Géométries de l’Invisible jusqu’au 3 janvier 2021.

Gabrielle Carron, une nouvelle autrice, a pu visiter l’exposition « Comme l’herbe pousse » du groupe Hantu, composé de Pascale Weber et Jean Delsaux. C’est un véritable voyage à travers les strates de notre existence, en particulier celles qui habituellement nous échappent. Installations, photos, performances, la terre et le corps ici s’exhibent laissant paraître une nudité qui révèle que la terre comme la peau sont des surfaces connectées au cosmos. Il faut pour nous lier à nouveau à l’univers accepter d’en passer par des rites, des actes aux apparences singulières et de s’offrir à la durée, celle qui fait que l’herbe pousse, car « Intégrer le végétal c’est admettre notre incapacité à tout contrôler ».

« The exhibition provides an overall sense of chaos, non-sense, and disorder. It feels like watching post-apocalyptic movies and T.V. series that have been popular on Netflix this year, such as Bird Box (2018), Into The Forest (2015), and Train to Busan (2016), among others. However, the general tone of the exhibition does not attempt to scare the audience. It instead shows a sense of humor and absurdity in the age of global pandemic. » Fidèle à TK-21 LaRevue , l’artiste et enseignant, Jaewook Lee rend compte de l’exposition qui se tient à New-York d’une jeune artiste coréenne, Yun Choi, qui montre qu’il est possible de s’inscrire dans ce présent dystopique sans cesser de faire de l’art.

« Cette peinture n’est pas sans mémoire, elle en déborde même, en provenance de multiples mondes...L’artiste reprend des images de cultures hétérogènes et les associe pour promouvoir de nouveaux mondes imaginaires. L’important est dans la distance prise avec les images de l’histoire de l’art occidental, même avec celles du surréalisme. » C’est ainsi que Jean-Claude Le Gouic évoque le travail de l’artiste Hélène Delprat qui expose jusque fin décembre son travail à la galerie Christophe Gaillard.

« À l’origine, Éther est un dieu primordial de la mythologie grecque, personnifiant les parties supérieures du ciel, ainsi que sa brillance ; resté aujourd’hui par la poésie, où l’on parle d’éther pour un ciel pur. » C’est par ces mots, nous rappelant l’Éther hölderlinien, que Véronique Grange-Spahis introduit l’exposition de Catherine Ludeau et Alain Vagh-Weinmann qui se tient jusqu’au 16 janvier à la Galerie Terrain Vagh. À nous d’oser nous approcher de cette région « où l’air y est plus pur et plus chaud / Et qui est celui respiré par les dieux. »

Laetitia Bischoff nous invite à découvrir quelques céramiques de Claire Lindner. « À défaut de pouvoir rencontrer directement les œuvres, l’actualité artistique s’est affranchie de programmation. L’inédit d’aujourd’hui, c’est de faire vivre le ciel et la terre, comme un projet d’éveil de formes en souvenir. » Et elle y parvient au moyen d’un poème qui extrait avec force l’essence du rêve qui nourrit toute invention.

Profitant de l’exposition encore en cours au musée de l’Orangerie à Paris, Giorgio de Chirico, la peinture métaphysique, Laure Jamouillé nous présente quelques réflexions sur l’œuvre de cet artiste si singulier et si étrange. Elle remarque en particulier que si « en philosophie, la « métaphysique » désigne la connaissance du monde, des choses ou des processus en tant qu’ils existent « au-delà » et indépendamment de l’expérience sensible que nous en avons, les peintures de Giorgio de Chirico témoignent de cet au-delà, tandis qu’elles maintiennent une large part de mystère, dans la composition elle-même, mais aussi dans le hors-champ. »

Textes de... Textes sur...

Jean-Louis Poitevin poursuit sa réflexion sur les images aujourd’hui, leurs significations, leur présence dans nos vies. Dans cette Logiconochronie — LII, il évoque le basculement qui va s’opérer au XIXe siècle autour de la naissance de la photographie, naissance portée par les « fantasmes » de certains de ses inventeurs qui inscrivent de facto cette nouvelle technique dans la part chrétienne de l’histoire des images. Il sera en particulier question à partir du livre de François Brunet, La naissance de l’idée de photographie, de l’inventeur anglais, William Henry Fox Talbot.

TK-21 LaRevue  poursuit son ouverture sur des sujets de société en publiant la seconde partie de l’essai du philosophe vénézuélien en exil à Paris, Pedro Alzuru. En janvier 2019, Le Magazine Littéraire a publié un dossier sur les 35 penseurs les plus influents du monde aujourd’hui, les responsables en reconnaissent leur part de subjectivité et d’arbitraire. Une présentation à la fois synthétique et efficace nous permet ici de partir à la découverte de la seconde moitié de ces figures emblématiques de notre temps disruptif.

Grand lecteur, Joël Roussiez produit aussi de courts essais sur des auteurs qu’il estime. Aujourd’hui nous publions la première partie d’une analyse de L’homme sans qualités, l’œuvre majeure de Robert Musil. « Chez R. Musil, l’analogie sensible permet de plonger le lecteur dans ce qui se raconte en le lui faisant palper et sentir, et donc en quelque sorte vivre, si bien que concerné parce que touché, il peut mieux lire les raisonnements et s’intéresser moins froidement à leur progression logique. Il est ainsi rendu sensible à la beauté des enchaînements et de leurs circonvolutions. » Il ne nous reste plus qu’à rouvrir ce livre infini, infini parce que resté inachevé.

Avec ce script intitulé Mélodie pour un jardin clos, Jean-Pierre Brazs nous propose un exercice salutaire, celui de faire littéralement travailler notre imagination, puisque si certes quelques images accompagnent ce texte, c’est à chacun de faire la mise au point sur ce monde échappant à la vue. Il suffit de lire et, yeux grand ouverts de laisser monter en soi les images que les mots appellent : « Une porte vitrée enfin s’entrouvre. Des ombres fugitives suggèrent qu’un personnage pourrait entrer en scène. La porte s’ouvre entièrement, mise en mouvement par un courant d’air. (Le lieu serait inhabité, ou en attente d’être habité). Fondu au noir. »

Avec Le voyage des statues, troisième chapitre de la dernière partie de son roman Images d’aurore, Alain Coelho raconte comment le monde de l’enfance passée à Tunis va basculer juste avant le retour en France de sa famille lorsqu’un « premier sentiment de réel, d’irréversible, de palier net et franchi vint d’un tout autre côté que ces images incertaines et ces visions immenses, et ce fut le mouvement seul, lancé devant nous sans retour et qu’il nous fallait suivre, la sorte de disparition pour ma grand-mère de ses grandes statues colorées, Sainte Rita et Sainte Lucie, leur emballage bientôt, soigneux et solennel, puis leur envoi à jamais vers la France. »

 


Photo de couverture : Isabelle Scotta, Frioul

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