lundi 30 novembre 2020

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Giorgio de Chirico, La Peinture métaphysique

Musée de l’Orangerie

, Laure Jaumouillé

L’exposition Giorgio de Chirico, La Peinture métaphysique, au musée de l’Orangerie retrace la trajectoire de l’artiste de manière fine et juste. Elle nous invite à le suivre, de Munich à Turin, puis à Paris, et enfin à Ferrare.

L’exposition témoigne du faisceau d’influences qui touchent le peintre tout au long de son parcours. A Munich d’abord, il découvre la pensée de Nietzsche, de Schopenhauer ainsi que les œuvres de Böcklin. Par la suite, séjournant à Turin, il est profondément marqué par la figure mythologique d’Ariane qu’il symbolise sur ses toiles par des arcades. En 1911 débute sa période parisienne qui est particulièrement fructueuse et riche de nouvelles relations. Il y reste jusqu’en 1915 ; le contexte guerrier l’incite alors à rejoindre son frère Savinio à Ferrare. Ils y fréquentent les artistes Carlo Carrà et Giorgio Morandi et forment ce qui sera désigné plus tard comme « L’École métaphysique ».

Giorgio De Chirico — La conquête du philosophe

C’est à Paris, à l’automne 1911, que Chirico inaugure une pratique originale. Il entretient alors une relation intime avec Apollinaire qui qualifie sa peinture de « métaphysique », mais aussi avec André Breton, Paul Éluard et Jean Paulhan qui l’estiment et le soutiennent. En outre, l’exposition de l’Orangerie met en lumière la relation étroite qui se développe entre Chirico et Paul Guillaume, son premier marchand. La peinture apparaît alors comme un hommage à l’imagination, un appel à l’émerveillement tout en intégrant l’inquiétante étrangeté des rêves. Selon André Breton, dans son Manifeste du Surréalisme (1924), la pratique artistique consisterait en une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison », et ce, selon un automatisme psychique pur. Chirico s’empare de ces injonctions tout en restant une figure à part, refusant de faire partie d’un mouvement artistique trop bien défini.

Giorgio De Chirico — L’incertitude du poète
@ Tate Gallery

Cependant, il faut souligner le décalage temporel qui existe dans le lien entre Chirico et les surréalistes. Breton, Aragon et les autres membres du mouvement ne considèrent souvent que la première période métaphysique de Chirico et sont assez, voire très critiques, au sujet des œuvres postérieures à 1918. Leurs textes qui datent souvent des années 20 parlent donc à postériori de la peinture métaphysique de Chirico alors que lui-même a déjà effectué un tournant stylistique vers un ailleurs. On observe ici une forme de réception « à rebours ». C’est ce qui va entraîner une lassitude de part et d’autre, puis une rupture entre Chirico et le milieu surréaliste en 1926.

Giorgio De Chirico — Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire

On retrouve dans l’exposition l’idée d’un artiste « visionnaire » au travers d’œuvres telles que La Récompense du devin (Juin-juillet 1913) ou encore Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire (Avril-juin 1914). D’une certaine manière, la peinture de Giorgio de Chirico évoque la pratique de la divination, à savoir une pratique occulte qui permet de mettre en lumière ce qui est caché et donc inconnu. Cette idée rejoint l’art dit « visionnaire », qui cherche bel et bien à transcender le monde physique. Ainsi, il se révèle comme un art fondamentalement « métaphysique ».

Giorgio De Chirico — La mélancolie du départ
@ Tate Gallery

En philosophie, la « métaphysique » désigne la connaissance du monde, des choses ou des processus en tant qu’ils existent « au-delà » et indépendamment de l’expérience sensible que nous en avons. Les peintures de Giorgio de Chirico témoignent de cet au-delà, tandis qu’elles maintiennent une large part de mystère, dans la composition elle-même, mais aussi dans le hors-champ. Au détriment du monde des apparences, Chirico privilégie les associations d’idées et leurs significations éventuelles. L’artiste rêve d’un « éternel présent », d’un temps immobile, suspendu pour l’éternité entre présent et futur. En outre, Giorgio de Chirico pose la question du visible mais aussi celle de « l’énigme » qui selon lui doit rester intacte. En ce sens, il s’oppose au gnosticisme, qui induit – dans la tradition chrétienne - la « connaissance certaine ». Au travers de compositions hautement symboliques, Chirico rejoint la question fondamentale de l’ontologie, à savoir : « Qu’est-ce que l’être ? ».

Giorgio de Chirico, La Peinture métaphysique
Musée de l’Orangerie
Exposition du 16 septembre au 14 décembre 2020
Commissariat général : Paolo Baldacci, président de l’Archivio dell’Arte Metafisica
Commissariat de l’exposition à Paris : Cécile Girardeau, conservatrice au musée de l’Orangerie

Frontispice : Giorgio De Chirico — La Récompense de la devineresse” (1913)