LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°76


Éditorial

« Ce qui m’intéresse, c’est la convertibilité de l’art. L’art gagne en se soustrayant à sa propre définition. Il doit être de passage, en opposition à l’état des choses. Par rapport à l’art, ce sont tout le temps les mêmes questions que je pose. La plus importante que j’ai isolée alors que j’étais à Biron, c’est à peu près : est-ce que la vie est devenue quelque chose dans le temps de paix que l’on ne peut plus échanger ? »
Jochen Gerz
(in La ressemblance dans l’œuvre de Jochen Gerz, Octave Debary, Éditions Créaphis, p. 136).

C’est bien le hasard qui nous a mis entre les mains quatre livres à peu près en même temps, trois livres qui parlent, chacun à sa manière, la langue des images. Tous sont voués à échapper aux relais médiatiques, sauf à celui de TK-21 LaRevue, média réceptif à certains bruissements de fonds ou de surfaces qui agitent « le monde à bascule » sur lequel nous nous balançons.

Connues dans le monde de la photographie et des questions urbaines pour leur inlassable travail, les Éditions Créaphis ont réalisé cette année un livre magistral sur et avec Jochen Gerz, un essai précis, puissant, juste, écrit par Octave Debary et accompagné d’images de Pierre Gaudin. Le livre est à la fois un plaisir et un enseignement, mais aussi une expérience de pensée, une plongée dans les méandres de l’histoire de l’art de la seconde moitié du XXe siècle, mais surtout dans ce qui reste en nous de ce que l’on a cru posséder de toute éternité et qui s’est évanoui dans le clignotement des sunlights, notre conscience historique. Jean-Louis Poitevin rend compte de ce livre et tente de montrer en quoi l’effacement de la conscience historique est peut-être le sujet réel et de ce livre et de l’œuvre de Jochen Gerz.

Les liens de TK-21 LaRevue avec la Corée sont connus. Le livre que publient les Cahiers de Corée est en soi une œuvre rare. Le texte est fait des phrases dites en voix off dans le film de Gina Kim, Faces of Seoul. Il est accompagné d’images extraites du film. Que vous connaissiez Séoul ou non, cette méditation au gré des voyages « retour » que fait la réalisatrice qui vit et enseigne à Los Angeles est à la fois poétique, politique et philosophique. Lire ce « poème » en prose et en image, c’est plonger dans le cœur d’une mégapole et s’offrir la chance d’en saisir un peu de la complexité joyeuse et désaxée. Benjamin Joineau et Jean-Louis Poitevin accompagnent ce livre de réflexions supplémentaires. Ce sont ces deux textes que nous publions ici.

Claude Louis-Combet est un écrivain publiant en particulier chez P.O.L et Corti, mais aussi, et c’est le cas de ce livre, chez Fata Morgana. Avec deux extraits de ce livre, nous publions quelques-unes des photographies d’Elizabeth Prouvost qui accompagnent ce livre. La plasticité mouvementée des corps s’extrayant de la boue qu’elle met en scène confère à ce texte qui est une « genèse », une dimension supplémentaire, celle qui vient à nous lorsque nous comprenons que le monde est cette enveloppe magique dans laquelle nous logeons et qui a la forme du rêve.

Nous publions la troisième des quatre parties d’un texte inédit, désormais édité, de Werner Lambersy intitulé Départs de feux. Il y montre avec son style puissant que réalité et songe sont de la même étoffe lorsqu’il écrit par exemple : « Seule la réalité est un poème / J’écris la réalité ».

Jean-Louis Poitevin revient dans sa Logiconochronie — XXII sur les enjeux que révèle la mésaventure d’Alix Delmas dont la vidéo Bloody sea initialement programmée à Nice a été finalement interdite. C’est la manière dont aujourd’hui on « fait signifier » une œuvre d’art qui interpelle dans cette histoire, et plus encore la manière que nous avons, nous les humains de 2017 de faire avec nos angoisses fondamentales.

TK-21 LaRevue
présente le dernier volet de l’entretien que nous accordé Vincent Debiais, l’un des meilleurs connaisseurs aujourd’hui en Europe des images au Moyen Âge. Dans ce dernier entretien, il évoque en particulier les relations entre images et textes. Il n’oublie pas non plus d’attirer notre attention sur certains aspects de cette relation telle qu’elle se joue aujourd’hui, par exemple sur les écrans des télévisions.

Bernard Perrine revient avec un long développement passionnant et riche de noms peu ou pas connus, sur l’histoire des artistes photographes qui utilisent la lumière pour écrire ou peindre, en retournant aux origines. Pour eux, l’appareil de prise de vue disparaît la plupart du temps. En effet, comme le souligne le britannique Adam Fuss (1961), dans ce cas, « on ne prend pas des photographies, on fait des photographies ». Le résultat devient mystère, mais « le terme “photographie” peut-il encore être employé lorsqu’il remet en cause son essence même comme représentation du monde ? »

Nous accueillons le texte qui accompagne l’exposition qui se tient à Lyon intitulée Architectures intérieures. Le groupe à l’origine de ce projet a déjà derrière lui de remarquables expositions qui toutes tentent, loin du jeu de « l’allégorisation généralisée » qui étreint nombre de pratiques curatoriales actuelles, d’examiner une question avec lucidité et exigence. Cette fois il s’agit d’interroger la métaphore qui associe structures psychologiques et architecturales et qui conduit par jeu de miroir à décrire les soubassements de la personnalité comme ceux d’un édifice ou d’une ville entière, et inversement à lire la structure d’un bâtiment ou d’une cité à travers les modèles de la psychanalyse ou les apports de la psychiatrie. Les commissaires, Norbert Godon et Sophie Pouille, sont aussi des artistes et ils ont convié à participer à ce projet qui se tient à l’Attrape-couleurs à Lyon, Simon Boudvin, Frédéric Dumond, Sara Favriau, Frédéric Khodja, Konrad Loder, Matthieu Pilaud, Hugues Retif, Yann Rocher, Antoine Schmitt, Mengzhi Zheng.

À Lyon toujours, Vahan Soghomonian expose, lui, à l’ENS. Dans son texte, il nous invite à explorer notre relation aux plantes, celles qui vivent sous nos yeux, que nous ne voyons pas dans les rues des villes en particulier, et à nous mettre à leur école. Son texte est une invitation à partager le rêve qu’il porte et les images nous permettent de nous plonger dans le monde coloré nécessaire à la croissance des plantes en milieu fermé.

Cet été, avec l’exposition Heterotopia, Thierry Fournier a investi l’ensemble de la chapelle du Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, avec sept nouvelles pièces. C’est ce projet rare et singulier questionnant notre expérience de l’identité et de l’altérité – au sens large – qui sont profondément redéfinies par notre exposition permanente sur le web et la cohabitation avec des entités aux limites du vivant que Thierry Fournier explore ici par des fictions qui dialoguent entre elles. Le texte publié ici est repris du catalogue. Il est d’Ingrid Luquet-Gad.

Nous voulions dès le premier numéro de leur revue intitulée FemmesPHOTOgraphes rendre un hommage à celles qui se battent pour que leurs images puissent exister dans le flot qui nous submerge. Trois d’entre elles sont présentes ici avec des séries complètes et une vidéo, Isabelle Gressier, Hélène Langlois et Kim lan Nugyen Thi.

Laëtitia Bischoff commence ainsi sa chronique : « Nous sommes bien pauvres pour parler de la forêt aux côtés de nombreux peuples amis et résidents millénaires des forêts, ni occidentaux encore moins naturalistes au sens où Philippe Descola l’entend dans Par-delà nature et culture.  » Yannick Demmerle, photographe, Emily Carr, peintre et Eduardo Kohn, anthropologue, sont convoqués pour nous accompagner dans cette zone inconnue de nous qu’est « la » forêt.

Jae Wook Lee revient avec une nouvelle chronique où il évoque cette fois son propre travail d’artiste qui se situe toujours à un point de croisement entre sciences et art. Ici il évoque comment les neurones miroirs inscrivant la « ressemblance » au cœur de nos pratiques quotidiennes jouent aussi un rôle central dans notre approche de l’art. « Mirror neurons are neurons that are thought to allow us to empathize with the behavior, emotion, intention, and feelings of others. The neurons are activated both when we recognize behavior and emotion in others, and while we are actually performing the same behavior and emotion. »

Ces trois nouvelles vidéos ont, comme toujours, été réalisées par Stéphane Mortier dans le cadre de son projet sans fin Quotidien d’atelier que nous continuons à présenter ici. Nous nous trouvons aujourd’hui dans les ateliers de Roma Napoli, Greemfeld et Pascal Bourgeois Moine. Le rêve s’y révèle être comme une sorte d’instrument de travail, puisqu’il s’agit, toujours, avec l’art, par l’art, de trouver le passage qui conduit de l’autre côté du monde.

Nous terminons ce numéro, où les nouveaux venus et la présentation de textes et d’œuvres inédits dominent, avec la présentation de BARGE qui est l’histoire d’une aventure collective, d’un voyage avec la Seine, portée par l’Association Dans le Sens de Barge. Nous présentons ici, fanal irradiant vers demain, la matière brute des premières réalisations passées et à venir de ce projet fou, ambitieux, ludique, auquel nous allons nous associer.


Photo de couverture : Pierre Gaudin/Créaphis

* * *

De nombreux problèmes sont signalés par des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.