LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue n°118


Éditorial

« La Méditerranée a son tragique solaire qui n’est pas celui des brumes. Certains soirs, sur la mer, au pied des montagnes, la nuit tombe sur la courbe parfaite d’une petite baie et, des eaux silencieuses, monte alors une plénitude angoissée. On peut comprendre en ces lieux que si les Grecs ont touché au désespoir, c’est toujours à travers la beauté, et ce qu’elle a d’oppressant. Dans ce malheur doré, la tragédie culmine. Notre temps au contraire, a nourri son désespoir dans la laideur et dans les convulsions. C’est pourquoi l’Europe serait ignoble, si la douleur pouvait jamais l’être. Nous avons exilé la beauté [...] »
Albert Camus, « L’Exil d’Hélène », in L’Été.


Ouverture

Architecte aux réalisations ambitieuses et populaires, personnage hors norme, Rudy Ricciotti fait l’actualité en ce printemps 2021. L’inauguration à venir de la Manufacture de la mode Chanel à Aubervilliers, le fait revenir sur le devant de la scène. C’est aussi le moment où sort un livre qui lui est consacré, le premier de ce type et de cette envergure, intitulé Enquête sur la pensée Ricciotti, écrit par Jean-Louis Poitevin et publié par les éditions marcel. Comme le montre avec force l’article de Jean-Paul Gavart Perret, l’enjeu n’était pas de produire un énième discours critique sur son travail d’architecte, mais d’éclairer d’un triple point de vue, existentiel, philosophique et esthétique, la manière dont un individu de cette trempe a su inventer et donner corps à sa propre pensée en l’incarnant dans des bâtiments à la présence aussi incontournable que le MUCEM ou le musée de Rivesaltes.

Contemporains et déjà dans l’histoire...

TK-21 LaRevue accueille avec intérêt la présentation du travail de pionnier effectué par Jean-Claude Marquette dès les années 60-70, un travail qui s’inscrit dans la lignée des interrogations de la revue sur les relations entre texte et image. Jean-Claude Marquette a en effet été le premier à transposer, et donc transcoder un texte, un poème de Klebnikov, en une image produite par transmutation des lettres en pixels de couleur. Ce morceau d’histoire de l’art peu ou pas connu est présenté actuellement par la Galerie RCM.

Impossible d’ignorer que 2021 est l’année du centenaire de la naissance du grand artiste que fut Joseph Beuys. Bernard Umbrecht et sa revue transfrontalière Saute-Rhin nous offrent de reprendre la publication de son texte sur Beuys et Müller accompagné d’une vidéo originale d’une performance de l’artiste. Pas de meilleure manière de se glisser dans la cohorte des éloges non pour encenser mais pour offrir une analyse pertinente et un regard généreux sur celui qui sut, cette action le prouve, devenir lui-même une sculpture vivante.

Signes et signatures

Aldo Caredda poursuit son arpentage des musées parisiens. Au centre Pompidou, une nouvelle fois, il se confronte à une situation typique engendrée par les pratiques contemporaines pour venir déposer son offrande. Présent quasi invisible parmi les dons infinis faits à ce dieu absent, elle brille ici, elle aussi, mangée par la lumière, par son absence même.

Laetitia Bischoff, dans un texte court à la limite de l’énigme et de sa révélation, met en scène à travers son écriture incisive et précise quelques aspects du travail de dessin de Gaël Davrinche et Claire Morgan. En jeu ? Rien de moins que le va-et-vient geste-vie-pensée, décliné avec vigueur dans toutes les possibilités contenues dans cette trinité vivace et rebelle à tout calcul.

Quand des connaissances en l’histoire de l’art, en la peinture et à propos de textes importants se conjuguent, alors un regard rivé sur l’absurdité des temps à travers les écrans des télévisions devient le révélateur de strates de pensées qui sans cela resteraient non vues. Guillaume Basquin a « vu » et « lu » les images des violences policières absurdes perpétrées à Bruxelles au bois de la Cambre, il y a peu, sur des promeneurs pour le moins pacifiques, à partir de celles de la série de tableaux de Botticelli Histoire de Nastagio degli Onesti ou « La Chasse infernale » (1482-83, détrempe sur bois, musée du Prado), où l’on voit une Vénus nue poursuivie par un homme à cheval. Et c’est toute la puissance de survivance des images qui se saisit alors, enfin, de nous.

Photo

Sarah Jalabert (quatrains) et Olga Caldas (photographies) préparent un ouvrage où se mêlent de manière inspirée images et texte. « OÙ EST LA ROSE/ LÀ EST L’AILLEURS/ L’AIR SE REPOSE /COURANT PORTEUR » C’est dans un voyage fait des tremblements de la chair, des reflets insaisissables, des instants saisis au moment où ils tentent de chavirer dans l’éternité qu’elles nous entraînent. C’est aussi à nous retenir au bord de ce basculement qu’elles œuvrent.

Nous présentons un enfant exceptionnel, Stéphane Godard, dont la langue parvient à étreindre la puissance salvatrice des images de Jean-Francis Fernandes. Elles nous reviennent réinterprétées par un nouveau regard, portées par une nouvelle voix, de l’intérieur. Les images de ces enfants exceptionnels, photographiés avec toute la force du cœur, sont projetée jusqu’au ciel de l’énigme où elles rayonnent une nouvelle fois.

Martial Verdier poursuit son « voyage » dans les parages du corps féminin avec le volume VII de Femmes sauvages. Body painting et photographie, dans les Ardennes avec Rrose Semoy, en partenariat artistique avec le personnage performer innuit siniswichi, tel est le projet au long-cours dont Martial Verdier nous montre un nouveau chapitre avec une musique d’Hakim Molina.

William Guilmain, avec De sève et de sang « fouilles l’humus et dérange les feuilles mortes », dans une série de photographies en noir et blanc, publiées en partenariat avec Corridor Eléphant.

Écrire, penser

Avec son livre Sans transition - De Roland Barthes à Pasolini, qui paraît aux Éditions Tinbad, Cyril Huot tente de mettre en relation deux figures majeures de la littérature, et pour l’un, du cinéma et de la poésie, que sont Roland Barthes et Pier Paolo Pasolini. Dans sa lecture de ce livre, Jean-Paul Gavart Perret relève certains des points autour desquels s’articule l’ouvrage. Ils ont à voir avec des enjeux essentiels pour la création. « L’italien sut trouver par la fiction un moyen de se détacher de lui-même ce qui était difficile pour un Barthes, au moment où - fait « aggravant » il était de plus en plus hanté par la forme minimaliste. » Cet ouvrage nous permet de remettre un peu les pendules à l’heure à un moment où écrire semble devenu une industrie où les « machines » sont des individus, qui, croyant que raconter des morceaux de leur vie suffit à faire œuvre, enfoncent les lecteurs dans le puits sans fond d’une mauvaise conscience affidée aux droits d’auteur.

Nous publions un autre grand chapitre de l’ouvrage de Pedro Alzuru, L’esthétique et ses bords. Il nous invite aujourd’hui à nous plonger dans un des aspects les plus souvent contestés de l’art contemporain, la relation que certains artistes entretiennent avec des éléments relevant de tout ce qui s’oppose à l’idée de beauté, en un mot au trash. Et c’est bien le titre qu’il donne à ce chapitre Le Trash : l’esthétique des ordures. Mais en convoquant des penseurs majeurs et des œuvres emblématiques, il parvient aussi montrer comment le trash peut être travaillé de l’intérieur par une certaine forme de « poésie ».

Avec Une école en Dordogne, Alain Cœlho poursuit son travail d’anamnèse et après l’enfance en Tunisie, nous conduit dans les lieux de la seconde moitié de l’enfance, à Périgueux. Là le fil de la vie rencontre celui des mots, des lignes tracées, des linéaments de la langue et tout cela se mêle laissant déjà entrevoir ce que les pages écrites aujourd’hui accomplissent : l’unité de la vie et des mots dits.
« L’organisation somptueuse des conjugaisons s’étendait, flottait sur quelque obligation dont le sens m’échappait, .../... et il semblait que les personnes et les verbes, les temps, les prépositions, les adjectifs venaient en réalité de la classe elle-même, en étaient les contours recherchés, parfaits, en demeuraient l’accomplissement rêvé. »

Synthèse de la série de textes « critiques » de Joël Roussiez que nous avons publiés ces derniers mois, ce bref essai qui entend présenter des ouvertures censées permettre de redynamiser un genre, le roman, en proie à une dérive pour le moins mercantile. « C’est pour redonner donc un peu de vitalité à ces questions éthiques que j’ai pour finir analysé quelques enjeux qui sous-tendent la description. Il m’a semblé qu’elle permettait de mieux comprendre ce qu’on pourrait faire pour stimuler le genre roman, lui donner plus de force en lui fournissant une matière plus stable et donc plus durable. »

Avec cette Logiconochronie LVIII, intitulée La vidéo et la fin de la conscience, Jean-Louis Poitevin clôt le grand cycle de l’analyse des images qu’il a proposé depuis plusieurs mois. Avec la vidéo, il voit l’arrivée dans le champ des pratiques artistiques et vernaculaires d’un geste qui secoue l’ensemble des paramètres autour desquels la pensée s’est constituée et déplace quelques lignes essentielles en particulier dans ce « mécanisme » mental et psychique que nous avons nommé conscience. Et seule la compréhension de ce déplacement, associée à bien d’autres paramètres qui seront abordés dans les prochains mois par TK-21 LaRevue , peut nous permettre d’appréhender le monde à venir autrement que comme celui d’une catastrophe inévitable.

 


Photo de couverture : Olga Caldas

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