vendredi 30 septembre 2022

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Twombly : Audaces

Une exposition Cy Twombly au Grosvenor Hill, London

, Jean-Paul Gavard-Perret

Que l’espace redevienne surgissement c’est ce qu’engendre la peinture. Du moins qui nous regarde en nous faisant peur car elle change jusqu’au sens du mot voyeur et voyance.

Les deux ne s’y retrouvent plus : pensons à Giotto, Malevitch, Pollock, Gasiorowski. Ces rares créateurs offrent des fictions qui font jouir pour peu que l’œil se familiarise avec les défis de leur langue plastique comme forme d’apparition d’une différence parmi les formations symboliques disponibles.

La « vraie » peinture ne se soumet pas à ces formulations. Elle les déforme, les travaille par ses moyens de retraiter les impacts visuels. Elle crève l’écran des images consensus. Cela exige une conscience têtue des raisons de refuser ce qui est déjà produit. L’artiste doit donc exprimer l’effet singulier que le monde lui fait.

Ça ne se passe pas principalement dans des figures identifiables mais des formations énergétiques irrationnelles douées d’une puissance de résistance aux figures habituelles et enchâssées. Sinon peindre ce n’est jamais que pisser moins de trois gouttes plus loin que leurs prédécesseurs.

Cy Twombly — Coronation of Sesostris, 2000
pt V, acrylique, crayon à la cire, mine de plomb sur toile, 206,1 x 156,5 cm, Collection Pinault

En ce sens Twombly est un modèle. Plus qu’un autre il est sorti du décoratif par sa trivialité ostentatoire (pâtés, graffitis en errances, emblèmes grotesques) dans l’unité paradoxale d’une matière picturale exaltée alternativement sophistiquée et bouffonne, burlesque et méditative, savante et enfantine. Et en ce sens comme la vie soudain dénudée et sans soumission à la convention de son époque.

Rien d’adéquat chez Twombly à ce qui fut pensé, éprouvé comme art. Il a dénudé la peinture, l’a créé sans des vêtements de décence et d’ornementation mais en état obscène, sans culotte si l’on peut dire.

Son œuvre reste la plus forte des incitations à repenser la (re)présentation sans appeler à son boycott mais sa reprise en main au sein d’espaces voyous.

Il a taillé des panoramas dans le vif et cuisiné un émincé de paysages, un hachis de pensées. D’où une macédoine d’instants contre le flux couramment abruti des temps et des lieux qui chez lui sont déliés dans un mouvement de chutes en amorces et de suspens. Le tout avec virages secs, descentes en roue libre et halètements un peu visuellement sarcastiques.

Sa peinture vit loin de toute doctrine ou petite métaphysique qui comme la religion systématise des comportements exigés par l’imaginaire collectif. L’esprit s’y donne libre jeu pour un surgissement en abîme. Chacun face à ces toiles ne peut estimer être face à quoi que ce soit de fini. Mais nous ne pouvions pas nous contenter de moins.

Cy Twombly — Venus, 1975
Pastel à l’huile, mine de plomb et collage sur papier 150 x 137 cm, Cy Twombly Foundation, © Cy Twombly Foundation, courtesy Archives Nicola Del Roscio

Exposition : Cy Twombly, Grosvenor Hill, London, Du 30 septembre 2021 au 21 décembre 2022.

Frontispice : Cy Twombly, sans titre, 1957.