vendredi 30 septembre 2022

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La rumination irrécusable de Mathias Richard

, Jean-Paul Gavard-Perret

Mathias Richard propose dans son livre-somme une charge contre le monde nourri de ses expériences qu’il offre sur un étal qui pourtant n’a rien d’un étalage.

C’est parce que l’état servile est le lot de l’humain que l’auteur est reste toujours sur la brèche poétique afin de donner à l’animal humain une dignité qui permet de sortir d’état d’esclave dans le monde dit civilisé.

Un tel corpus nous éclaire, même si nous avons vécu des expériences moins violentes que celles de l’auteur. Celles et ceux qui sont « au monde » et qui sont forcés de lui appartenir corps et âmes ont soudain face à eux et elles des « catégories » de langues et de discours qui sont autant de propositions de rotations de nos données immédiates de notre conscience souvent ahurie, hagarde et perdue face à ce qui est.

Contre le verbiage des réseaux d’un narcissisme qui sidère et où les débats politiques touchent à des fonds de bassesse, l’auteur se révolte et déroute le flot de pensées qui même lorsqu’elles s’affirment insoumises le sont si peu tant transpirent la servitude volontaire et le ressentiment tribal.

Mathias Richard fait plus qu’en rire (jaune). Sa poésie dans son énergie dépasse même les parodies méchantes et les soties clownesques. D’où cette suite de signes énergisants et interrogatifs face à tous ceux qui se font leur cinéma de petites extases, de perplexités ahuries et de doutes rigolards.

Et la solitude dont le créateur parle est le destin de l’espèce. Des autres espèces aussi – mais seule en a conscience l’espèce qui parle et voit du coup sa vie, se voit vivre cette vie, se voit se fabriquer, plus radicale à mesure, sa solitude.

De même le savoir et la peur de la mort sont pour lui des banalités – pas moins cruelles pour autant, mais qu’il faut savoir remiser pour vivre et de rebeller. Sa façon de savoir la mort reste moins la peur de l’échéance que la sensation, au jour le jour, de son travail en moi mais de faire comme si, de la mort, on ne savait à la fois rien et tout puisque comme l’écrivait Blanchot « elle nous est donnée ».

De ces hybridations textuelles s’élèvent en un appel à la résistance et la confrontation au présent et à ce qui arrive. Bref Mathias Richard ose une voix où s’entend un « ça pense » à chaque page. Existe donc là une épopée en fragments contre la réification de la langue selon diverses propositions.

A sa manière il espère une Thélème (chère à Rabelais) comme utopie et non-lieu. C’est-à-dire une proposition démonstrative d’écart face au monde tel qu’il est idéologiquement et politiquement organisé, et une invitation non pas à vouloir Thélème comme monde réel mais à penser les misères, les aberrations et les injustices du monde réel à partir de la différence exemplaire dessinée par ce lieu mythique.

Se crée l’affirmation d’une différence, d’une singularité séparée de la horde docile. Face l’idiome commun existe là une exception d’autiste bavard. Par les temps qui courent, vers le néant dans un monde sans autre fondement unanime ni autre sacré que la politique à court terme, la raison passe par ce discours puissant et sans rien que de banal.

Tout ici devient un fait de composition, de montage. Ses moyens produisent un effet sensoriel. Si bien que le narrateur biographe et le grammairien hors de ses gonds se réunissent.

Le réel senti, la particularité d’une vie ne se représente que parasité et fondu par une généralité imprenable à force d’être étoilée et dispersée en savoirs, certes positifs, mais surtout comiquement hétéroclites. D’où cet étoilement des textes, leur variation de focales, trouées saugrenues au rythme des sutures qui suggèrent une difficulté à nommer. Mais affirment en même temps qu’écrire ne répond qu’à la tentation de cette difficulté.

Mathias Richard, A travers tout, coll. Tinbad texte, Tinbad, Paris, 15 septembre 2022, 428 p., 30 €.

Editions Tinbad : https://www.editionstinbad.com