dimanche 31 juillet 2022

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Peinture et non « la » peinture

Gérard Gasiorowski

, Jean-Paul Gavard-Perret

Mystique de peinture - et non de la peinture -, Gasiorowski brille, obscur, de loin dans son travail de destruction et de création.

Il s’agit d’un artiste total, méconnu qui a fait de sa vie une œuvre dans la fulgurance d’une carrière très courte et sa folie de l’art.

Impressionnant et sauvage il dégageait respect et peur - celle qu’on accorde un volcan écrivit un critique. Entre pulsation, colère, calme et silence il s’engagea dans la peinture avec violence avec d’abord des peintures en noir et blanc.

Qu’on se souvienne de son Angelus qui flotte sur le blanc dans un hyperréalisme particulier et étrange. Et ce au moment de son retrait pictural pour se retirer en créant des « croutes » (comme il les intitule avec dérision) ; Mais c’est là où il montre qu’il est vraiment peintre avec par exemple son arc de triomphe en feu et divers « grabouillages » d’un peinture volontairement sale et crasseuse mais que rien ne peut souiller...

Ami de Monory il a vécu la peinture comme une aventure de séries où parfois il se tire des balles dans le pied par exemple en de petites toiles avec juste des « v » symbole d’un vol et signifiant aux galeristes un allez vous faire foutre. Il cherche une frontière que rien ne peut arrêter dans le malaxage du sauvage et de la transgression.

Gérard Gasiorowski

Peu à peu la matière peinture chez lui envahit tout - jusqu’aux livres, pochettes de disques (jazz, classique et bues) et objets. Et l’auteur recrée sa propre histoire de l’art. « Je vis dans l’intimité la plus achevée de peinture », écrit-il. Et ce, dans ce qu’il nomme « orgasme » et mépris des conventions. A la fois il se bat contre la peinture dans une sorte de guerre contre lui-même et le monde en coupant tous les ponts qui le relie au réel comme avec les modèles réduits qu’il achète et dévaste pour les repeindre dans ce qui tient de la performance et des sculptures.

Se joue une guerre à la peinture, un psychodrame, une expérience réelle et brutale conte le « joli ». Ce qui ne l’empêche pas de peindre des fleurs colorées en bouquets (partie la plus connue de ses travaux). Et ce non sans ironie et une platitude volontaire et convenue pour la banalité du sujet d’une « mauvaise » peinture en un jeu critique.

Suit une (fausse) académie qu’il invente et qui devient sa grande œuvre. Il y est à la fois tous les professeurs et tous les étudiants en une telle fiction. Picasso, Cézanne y est refusé et il crée des exercices où il s’agit de représenter le chapeau du professeur « Hammer » par différents « artistes » dans son clin d’œil à son panthéon de l’art.

Gasiorowski s’exclut ainsi du marché de l’art non sans référence à Filliou et Beuys. Mais pour ses élèves il peint aussi des médailles là où la fiction s’immisce de la réalité, là où il joue tous les rôles tout en s’effaçant de la scène artistique. Et ce jusqu’à la disparition et « attentat » de l’autofiction du professeur Hammer en 1989 et mettre fin à son académie…

Le peintre n’a cessé d’opérer par protocoles d’épuisement aussi ludique que sérieux. Le personnage de l’indienne Quiga sorte de déesse « figure même de la peinture » qui va dominer sa création lui permettra d’aller vers la peinture extrême où il peignit entre autres avec le jus de ses excréments mélangés à divers ingrédients et herbes aromatiques mis en forme de toutes des fruits intestinaux. Cette peinture « pure » sent ainsi l’humain. Et dans l’œuvre tout est structuré en repassant du papier vers la toile en une préhistoire et l’immémorial qui devient entre autres avec la série Cérémonies et les fresques de plusieurs dizaines de mètres) la posthistoire de l’art et ce non sans violence et recueillement...

Face à une telle œuvre l’abstraction américaine avait du souci à se faire et ce même si l’histoire de l’art officielle a privilégié la dernière. La collection d’images de Gasiorowski entraîne vers un autre champ de fertilité mystique, religieux et qui prouve que par l’art, l’humain a pu se déployer.

« Gasiorowski, c’est tout » au SHED, site L’Académie (Maromme) du 14 mai au 17 juillet 2022.