samedi 29 octobre 2022

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Les incarnations mystiques de Mariette

, Jean-Paul Gavard-Perret et Mariette

Mariette fait entrer ses poupées dans le flux d’existence par des séries d’empiècements là où les robes deviennent d’étranges linceuls.

Dès lors ces êtres ouverts et de chiffons lancent des coups de dés. Ils font trembler les sphères d’en bas, la terre d’en haut.

C’est un moyen de mettre, par ce capharnaüm, le bon ordre dans les vieilles casseroles de notre civilisation. En conséquence Mariette oblige à chercher où est le corps, le « vrai ». Créer pour elle ce n’est pas produire du flegmon mais de l’œuf. C’est montrer dans l’être ce qui ne peut se dire et encore moins parler. L’artiste figure comment le corps à de quoi exister : ce n’est pas de l’idée mais du gigot. D’où la densité émotionnelle d’une œuvre qui joue des références culturelles, religieuses mais les métamorphose.

L’art devient une activité – qui montre ce dont le corps est plein sans en chasser l’esprit afin que chacun ne vive plus sans exister – par ses récupérations et un travail de fétichisme aussi religieux qu’iconoclaste. L’artiste de Saint Laurent du Pont et fille du graveur Marc Pessin cloue dans chaque ventre des arpents de monde d’où sortent divers personnages. Il n’est pas jusqu’au Christ de tomber dans le concret, son totem ne devenant que patère austère.

Dès lors, ce qui nous revêt Mariette le fend ou l’embaume de linges et de parfums de néant. Le corps des poupées s’y agite dedans avec des esprits aux os musculeux, des chaînes et des médailles issus de tous les archétypes divins que les hommes ont inventés de peur de n’être qu’un souffle provisoire, un courant d’air, et ce, de leur boîte crânienne aux orteils.

La créatrice ne cesse de jouer à la poupée autant de manière ludique que tragique. Elle dope le regard et l’esprit d’images faussement votives. Elle les transforme en gouffre instrumental où les hommes peuvent aller puiser. Ce qui les envoûtait, elle s’en amuse et le brise.

Sa création s’ouvre sur un espace interne. Pour le faire vivre elle lui donne un autre corps. Innocent ? C’est possible. A moins qu’il arrête tout fluide. Des êtres dorment dans ce corps, ils germent dans l’alcool de l’esprit avant de devenir théâtre d’un grand guignol mystique plus sérieux qu’il n’y paraît.

L’artiste fait penser aux femmes Mayas créatrices d’étranges figurines faites de divers morceaux. Néanmoins celles de Mariette sortent des traditions. Elles sont menaçantes et fantaisistes. Elles possèdent un potentiel métaphorique complexe et puissant. Elles soulèvent de nombreuses questions au sujet de la féminité, de la maternité, de l’innocence, de l’enfance, de la religion.

Nul folklore en cet arsenal. Surgissent d’étranges icônes de notre civilisation occidentale. Fondées sur l’insolite chaque pièce permet d’entrer dans le domaine de l’insondable par le ventre ouvert. Composites ces poupées tiennent de l’histoire des Mystères du Moyen Âge comme de l’aventure plastique postmoderne (Annette Messager par exemple).

S’y conjuguent diverses combinaisons et agglomérats de signes, d’objets et de matières pour souligner le mariage de l’innocence et de la violence. Populaires et enfantines, contemporaines et savantes de telles œuvres en leurs mettent au défi les attentes visuelles. S’y mêlent des éléments sombres et menaçants et d’autres plus en clarté et en charme. L’ensemble communique un sens perturbant dans le noir ou le blanc.

L’artiste crée ce qu’elle veut retrouver là où le corps jaillit sous ses bandelettes avec ses morceaux de Lucifer et d’Ange. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser le corps n’est plus supplicié, écorché. L’esprit sort par le ventre car il a besoin d’espace, de rencontre. Il ne se complaît pas en lui-même. Le corps débonde l’esprit avec en hommage collatéral la Vierge, Jésus Christ et les démons qu’on projetait sur lui pour qu’il ne soit pas vivant.

Ajoutons qu’en dépit de ses reliques Mariette ne discute pas avec des spectres : elle les quitte en les accouchant pour que l’être en sorte. Surgissent le silence de l’âme et surtout le bruit de l’inconscient. Celui-ci trouve enfin, plus que ses chuintements, ses propres images.

Mariette, 700 poupées en mal d’enfantement, Edition YMNA, 2022, 12 €. Sélection des œuvres à : La maison de Mariette, Saint Laurent du Pont.