dimanche 27 février 2022

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Fin de l’Histoire — début du Cantos

, Jean-Paul Gavard-Perret

Sur L’histoire splendide, le nouveau livre de Guillaume Basquin paru aux éditions Tinbad

Guillaume Basquin rappelle que la parole — comme une robe — est inséparable de son contexte, du corps qu’elle contient. Mais elle n’habille pas forcément. Elle évacue, fait hygiène. L’impensé y perdure au sein de signe qui ne signale rien. Pas même le signe qui symbolise le rien.

Face à une tradition basée sur une sémiotique de l’être se confondant avec son dire, Basquin montre comment le langage ne fait pas la moindre pression quand il n’est juste qu’un « pour faire en sorte que ».

L’injonction que propose l’auteur semble demander, ni acquiescement ni réfutation. Elle devient « exagération du mal » dans les fragments de celui qui se présente comme « un faiseur de notes invétéré » mais qui par ses marges ouvre de « misérables miracles » comme disait Michaux.

Ses textes suscitent l’énigme. La verbalisation n’y est que pour une part un acte de foi. Car au « j’ai cru et j’ai parlé » de Saint-Paul (Seconde lettre aux Corinthiens), il sait que passé un certain point « il n’y a que la rigolade et le cimetière ». Si bien que l’action de parler si elle semble s’adresser à quelqu’un, demeure une articulation intransitive. 

Chercher à savoir ce que parler fait que le sujet de la littérature reste son écriture. Pour autant beaucoup par peur, politesse, rituel ou autres fonctions relationnelles ou sécurisantes feignent d’enregistrer ce qui est, et ce, dans un but plus ou moins situationnel (à la Sartre si l’on préfère).

Basquin postule à mieux : à la parole dans la parole. Et au besoin le contenu verbal peut se trouver démenti au direct de son énonciation. Il n’est pourtant en rien un de ces prêcheurs qui dans un diner de têtes ou de cons s’éprend tellement de ce qu’il dit et qu’il estime si délicieux, que tandis que les autres mangent son assiette pleine restera intouchée.

Untitled Red — Mark Rothko

A l’inverse Basquin pose ici le problème de l’écriture et du langage en tant que séparation, distance et interruption du monde tel qu’il est donné à lire. Dans leur pivotement ses fragments ont encore à exprimer du nouveau, du plus proche, et du jamais accompli. C’est pourquoi parler est un procès qui se conjugue dans un futur toujours inaccompli (comme le prouve la fin du chapitre 5).

C’est un passage limite entre une impossibilité de parler et en même temps sa pressante nécessité. Face à la parole assoupie dans ce qui n’est pas encore dit, reste une urgence. L’ultime recours est de l’animer et de la déployer dans la souveraineté d’une « parole qu’il faut répéter avant de l’avoir entendue » comme disait Blanchot.

Cela appelle à la veille incessante que l’auteur déploie dans cette masse en fragments. L’avènement est inscrit à même le titre. Car la « splendeur » accueille ce qui échappe à l’attention et reste ouverte sur l’inattendu.

Dès lors la pensée chez Basquin connaît un bouleversement où les concepts reconnus et acceptés se trouvent marqués par leur contraire. La communication jouxte l’incommunicable, la communauté son absence et la parole sa propre négativité. Autrement dit une radicalité se remet en marche pour que l’Histoire trouve un nouveau sens.

Guillaume Basquin, L’Histoire splendide, Tinbad Chant, Editions Tinbad, Paris, 2022, 344 p., 23 E.