LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°92


Éditorial

« S’il fallait caractériser l’atmosphère mentale du début du XXIe siècle, en Occident comme dans le « reste du monde », ce serait forcément : l’imposture est devenue l’esprit du monde. »
Peter Sloterdijk (Ceux qui veulent être trompés, in Réflexes primitifs, Ed Payot & Rivages, Paris 2019, p.42)

Pour ce Numéro 92, TK-21 LaRevue poursuit ses investigations dans les pratiques artistiques diverses et variées mais souvent un peu hors des couloirs de salons et des rues des galeries. Entre figures célèbres et inconnus ou presque, TK-21 LaRevue tente de rendre visible des œuvres qui échapperaient sinon aux radars.

Nous poursuivons ainsi notre présentation de l’œuvre de l’immense Alexander Kluge, à travers un texte puissant de Herbet Holl et Kza Han portant sur « l’enfant ». Au-delà des clichés sur l’enfance et l’infans, ils nous font découvrir à travers plusieurs œuvres de Kluge la figure de l’enfant comme révélateur de la vie complexe et incompréhensible, souvent, des hommes et des choses. C’est dans la magie du monde plus que dans un monde magique qu’ils nous font pénétrer, par l’évocation de textes et de films de cet auteur et cinéaste qu’il nous faut continuer plus que jamais de découvrir et de comprendre si l’on veut tenter de mieux comprendre notre monde.

Jean-Louis Poitevin poursuit avec cette Logiconochronie XXXVI son analyse de l’état des significations actuelles du terme art et de la variabilité des pratiques s’affublant de ce nom, en tentant de comprendre comment des éléments de l’histoire récente ou ancienne continuent de creuser leur galerie à travers l’amas des poussières des siècles pour resurgir, parfois de manière inattendue, dans des corps agissants et pensants vivant aujourd’hui.

Martial Verdier et Virginie Rochetti ont réalisé pour TK-21 LaRevue un entretien avec Solo ma non troppo, maison d’édition hors norme qui publie des livres d’artistes et des livres de dessin. L’art qui est ici défendu n’est pas celui des grandes foires et des galeries mais un art en relation avec les enjeux locaux comme transnationaux et populaires, que ce mot soit rapporté à ses aspects individuels ou collectifs. Cet entretien nous livre des mots qui touchent pour défendre un art qui sauve.

Nous accueillons un texte de Guillaume Basquin qui dirige les éditions Tinbad. Ce texte a déjà été publié dans deux revues en ligne, mais il nous semble important de lui donner encore plus de visibilité, car il concerne le dernier livre de Bernard Stiegler. Qu’appelle-t-on panser ? Ce livre est d’une importance rare et il montre en effet que son auteur est un des rares à « vraiment faire le boulot », qui devrait incomber à tous, celui de rendre possible une version non mortifère de la mutation qui nous emporte en comprenant comment s’emparer des leviers que des fantômes malveillants, qui ont aussi gagné un grand nombre d’entre nous à « leur » cause, manipulent dans notre dos.

Hannibal Volkoff expose du 1 au 30 Avril à La Clef à Saint-Germain-en-Laye. Il y montre un mixte d’images de soirées et de manifestations. (Vernissage samedi 6 avril). On pourra découvrir encore plus précisément à cette occasion le balancement d’équilibriste grâce auquel il parvient à aborder des univers si différents. « Une grande partie de mon travail est focalisée sur une scène de clubbing LGBTQI qui s’est notamment déployée dans les années 2010 à travers les soirées Club Sandwich, Flash Cocotte, Chez lui, Bizzare Love Triangle, etc. Ces rendez-vous étaient le théâtre d’une cour qui se distinguait par ses explorations stylistiques, son extravagance et ses excès, et dont le but était d’être toujours plus étonnant, toujours plus autre. »

TK-21 LaRevue
ouvre ses pages au premier moment d’un travail de longue haleine que Christian Globensky réalise dans les musées du monde autour des questions relatives à la monstration de l’art. En traquant, tel un limier infatigable, les recoins de ces mondes en soi que sont les musées, il nous permet de prendre littéralement conscience de ce qui se joue aussi dans ces marginalia de la monstration, des agencements formels et colorés qui énoncent mais surtout dénoncent ce qui est en jeu dans la démonstration que tentent de mettre en scène ces musées.

Prix Swiss Life 2018, TK-21 LaRevue vous propose de découvrir à travers les mots de Jean-Louis Poitevin l’univers d’Oan Kim et Ruppert Pupkin. Digital After Love. Que restera-t-il de nos amours ? est le titre de cette œuvre exposée au Musée de la Musique-Philarmonie de Paris. « Et le titre dit tout : l’après, le reste, l’impossible du souvenir et le secret de fabrication de la mémoire de demain : un jeu de clignotements entre des 0 et des 1 multipliés par l’infini et rendus vaguement digestes grâce à une sauce caviar luminescente. »

Claire Renier a su prendre à temps la mesure d’une disparition annoncée, programmée, effectuée, celle des cabines téléphoniques. En réalisant Sororal, une vidéo faite à partir d’images de ces boîtes de verre condamnées, elle livre une méditation sur la mémoire et sur la manière dont elle nous trouble, nous trompe, nous enivre et nous fait voyager dans un passé proche et déjà effacé. Cette méditation en images est accompagnée d’un texte inspiré de Virginie Gautier.

Les chroniques

Hiraï Yu nous rejoint dans TK-21 LaRevue grâce à notre partenariat avec la revue Corridor Éléphant. Dans cette série, elle explore la mémoire d’un autre, son mari. Plus généralement, les éléments clés de sa biographie constituent pour elle la source de son œuvre. « À cause de cette histoire de mon père, le thème de la « frontière » est devenu au cœur de ma démarche artistique. Je perçois la frontière comme un univers propre, un espace physique et mental équivoque, un champ d’exploration ambiguë. C’est cette ambiguïté que je m’efforce d’exprimer par la photographie. »

L’épisode 6 de Dans un grain, ensemble d’images que nous propose chaque mois Guillaume dimanche sur le Qatar où il a vécu il y a peu, montre les deux faces de la société, qui comme le sont les corps dans ce pays, sont exposées ou voilées. « Partout, dans ce qui est représentation des corps, l’état et la société expriment fortement, visiblement, ostensiblement les règles et les frontières à ne pas franchir. » Bienvenue dans ce voyage aussi singulier qu’édifiant.

Laetitia Bischoff revient avec une réflexion sur le travail de deux photographes qu’elle accompagne de sa prose précise et d’un poème pointant au-delà de l’énigme. En remarquant que « La photographie n’est pas une zone de confort », elle insiste sur le malaise qui nous hante, « un trouble aux tripes qui expire enfin, une expérience où les angles morts s’étirent en marécages pour les sens. Cet inconfort, on le retrouve de manière très dissemblable chez les photographes Laure Gilquin et Patricia Escriche.  »

Xavier Pinon et Martial Verdier poursuivent leur exploration du bassin de Longwy. Cette fois ils évoquent la situation paradoxale de cette ville au carrefour de trois pays qui « vit aujourd’hui de l’autre coté de la frontière. Alors que pendant des années, on parlait du pauvre duché, il est devenu aujourd’hui le pôle d’attraction, le bassin d’emploi, de la région.
Stations services, parkings de camion, la frontière est un duty free où viennent se fournir français, belges et routiers internationaux. »

Virginie Rochetti poursuit sa chronique animée de nos déséquilibres contemporains en nous plongeant dans un monde dont le silence vaut mille mots.

Pour clore ce Numéro 93, Joël Roussiez, fidèle à TK-21 LaRevue nous livre un nouvel inédit, un texte, une fois n’est pas coutume, avec personnage et histoire, une prose narrative. Mais cette histoire est comme baignée dans une atmosphère onirique que le brouillard qui l’enveloppe rend manifeste. Car « les brouillards médisent des formes et pourtant leur confèrent un peu de mystère, transposant donc leur beauté dans un autre champ où elles décollent du sol et se meuvent un peu. »


Photo de couverture : Yu Hirai

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
Ours