LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°67


Éditorial

« Les philosophes titularisés sauvent leurs âmes en échange de l’interdiction de comprendre ce que leur fonction aurait voulu qu’ils comprennent. Leur situation de conscience est comparable à celle de filles mafiosi cultivées et raffinées dont le bonheur existentiel dépend du fait qu’elles restent enveloppées dans un nuage d’ignorance quant aux origines de la fortune paternelle. » Peter Sloterdijk. (Le palais de cristal)

Après avoir allègrement dépassé les mille articles, TK-21 LaRevue poursuit son inlassable travail de défrichage et d’exploration de territoires peu ou pas connus. Fidèle à sa position d’ouverture la revue lance ses avant-courriers sur les terres défrichées par de jeunes inconnus comme par des figures importantes de l’histoire culturelle de ces dernières décennies.

Ainsi, dans ce N° 67 nous sommes heureux de présenter la seconde partie de l’interview que nous a accordé l’an passé Alexander Kluge, cinéaste, écrivain, penseur et figure majeure de la scène culturelle allemande. Il y parle de Julian Jaynes et surtout des nouvelles formes de subjectivité possibles, pensables, praticables dans le monde désaxé qui est le nôtre. Le premier volume de son ouvrage majeur Chronique des sentiments, paru chez P.O.L en 2016, constitue la grandiose traduction littéraire de cette question.

Nous présentons la seconde partie de l’entretien que nous avons réalisé avec Louis Benech. Le jardin paradis est cette fois déplié et analysé dans ses relations avec la ville. On comprend à son écoute combien et comment le jardin est non seulement un objet de réflexion mais porteur d’une pensée. Les relations entre continu et discontinu dans l’élaboration ou la réception d’un jardin le prouvent et l’évocation de microsphères suffit à montrer comment la pratique d’un jardinier s’inscrit dans les courants de pensée les plus actuels.

Ces deux entretiens ont été réalisés, comme d’habitude, par Hervé Bernard et Jean-Louis Poitevin.

Avec cette Logiconochronie XVI, Jean-Louis Poitevin clôt ses réflexions sur l’œuvre de Guy Debord par une évocation pour le moins d’actualité, de ce que Hannah Arendt appelait le mensonge absolu. Rien de plus nécessaire qu’une telle réflexion en ces jours d’ardeur « démocratique » où l’on voit, miracle permanent, la multiplication des pains de l’espoir, tous cuits au four du mensonge et recouverts du sucre glacé du mépris.

Jean-Yves Cousseau expose quelques œuvres magistrales à la MEP. Fidèle à sa démarche il mêle comme toujours images oxydées et surfaces rouillées. En dépliant phantasmes et réflexions sur le monde, il parvient à un accord puissant souligné par des titres poétiques.

Aldo Caredda a exposé à la « galerie[s]mortier », il y a peu, un ensemble unique d’œuvres au noir, des journaux qu’il recouvre d’une peinture intense, impénétrable, ne laissant ici ou là sur la page qu’une sorte d’ouverture qui est moins celle d’un miroir que d’un point aveugle qui se trouve ainsi « révélé ». L’homme qui sème ses empreintes dans les recoins les plus improbables du monde entier, même si Paris et New York ont surtout été ses terrains préférés, a ainsi montré qu’il se renouvelait par un questionnement enchâssé dans l’extrême contemporain. Un texte de Pascale Geoffroy accompagne la présentation de quelques-unes de ses œuvres.

TK-21 LaRevue
poursuit son défrichage des tendances les plus singulières de l’art coréen avec la présentation, à travers un texte de Jean-Louis Poitevin, d’un travail photographique et sociologique important, celui de Ha Choon Keun. Il réalise des images que chacun pourrait faire, images de lieux que chacun connaît ou peut visiter. Mais, par un travail de superposition et de montage, elles sont transformées au point de devenir à la fois lisibles et floues, vibrantes et signifiantes, incertaines et décisives.

Vivant en France depuis longtemps, fondateur de l’association Sonamou, Kwun Sun-Cheol expose aujourd’hui au centre culturel coréen de Paris. Françoise Monin, rédactrice en chef d’Artension, présente ici sa démarche en un vibrant hommage à cette figure majeure de la peinture coréenne contemporaine.

Fan Xi a résidé et exposé à Paris il y a peu. TK-21 LaRevue a été sensible à son approche « plasticienne » de l’image. Un texte d’une jeune philosophe chinoise, Mao Zhu, accompagne et précise par une réflexion sans ambiguïté, les contours d’une approche renouvelée de l’image photographique : « In spite of switching the medium of her practice, it is remarkable that Fan Xi’s photographs have shown texture since the very beginning, revealing an unhinged aura, one that does not rely on obsessing with photo techniques, but rather came out of Fan Xi’s understanding on the relationship between looking and temporality ».

Julia Borderie, dont nous avions évoqué les aventures et mésaventures dans ses relations avec des institutions trop françaises, revient en France après un séjour au Canada. Elle en a rapporté, œuvre présentée pour son diplôme et fruit d’une expérience pour le moins singulière, une vidéo et une bande son. Jean-Louis Poitevin livre quelques clés de lecture pour aborder ce match de basket dans lequel des objets inopinément installés sur le terrain redessinent l’espace en impliquant les gens qui le suivent dans un moment vécu intense.

Frédéric Atlan revient avec une nouvelle vidéo courte intitulée Les passagers du temps. Rien ne semble se passer de marquant entre les corps filmés. Et pourtant en ce si court laps de temps, il nous fait éprouver cette sensation intense qui nous soulève lorsque nous comprenons combien la vie est un voyage et que l’instant et l’éternité se touchent au bout de notre doigt.

Nous publions la seconde partie du texte qu’Hervé Bernard a consacré au rapprochement entre la conception de l’image chez Jean-Jacques Rousseau et chez Markus Raetz, une conception calviniste qui laisse peu de part à l’émotion mais qui nous contraint à déjouer les pièges du semblant dans l’exhibition du semblable.

Ce numéro 67 se clôt par le chapitre intitulé Iéna, cinquième partie de Voyage à Leipzig, un texte d’Alain Coelho qui y évoque « l’impression particulière dans les lieux que les photographies, si l’on en cherche, ne peuvent pas rendre ».


Photo de couverture : Jean-Yves Cousseau
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