mercredi 1er mars 2017

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D’humanité en harmonie

KWUN Sun-Cheol

, Françoise Monnin et KWUN Sun-Cheol

Soutenir les regards que peint Kwun Sun-Cheol depuis plus de quarante ans n’est pas une mince affaire. Ils sont fixes, graves, pénétrants. Le temps n’y fait rien. Bien au contraire : ils demandent toujours davantage à celui qui les affronte : qui es-tu, d’où viens-tu et où vas-tu ? Ces yeux à la profondeur de puits invitent à l’introspection.

Autour des pupilles noires et des paupières minces, la saillie des pommettes représentées évoque des montagnes, et le front plat, une plaine fertile, bordée par une forêt noire de cheveux. Les oreilles semblent des cratères, le cou, une coulée de lave à peine refroidie. Paysages autant que visages, allégories de la sauvagerie de la planète et de sa fertilité, chacune des têtes portraiturée célèbre la vie primitive, impérieuse et impitoyable.

Multicolore, épaisse et labourée, la matière employée témoigne de batailles dépassées. Tourmenté, anguleux, le dessin évoque la lutte à venir encore. Autoportrait ou portrait, chaque visage tracé, brossé, souvent enfoui et plus souvent encore exhumé, s’impose assurément. Il traduit absolument la rudesse de certaines existences. Inscrit dans l’aventure de l’Expressionnisme, Kwun Sun-Cheol appartient à la famille de Vincent Van Gogh (1853 – 1890), de Jean Fautrier (1898 – 1964) et d’Eugène Leroy (1910 – 2000). Comme eux, il métamorphose les difficultés et les mystères de l’existence en œuvres dynamiques et chatoyantes, aussi bouleversantes que somptueuses.

L’histoire du Monde est cartographiée, tatouée même, sur les toiles et les papiers de Kwun Sun-Cheol. Passerelles inédites, tendues entre une manière moderne, radicalement européenne, et une tradition ancestrale, extrêmement orientale, elles se déploient. Douleur intime, charnelle, et discipline collective, spirituelle, sont simultanément à l’œuvre, charpentant des images finalement universelles et intemporelles. Pétries d’horreurs vécues et de pudeur nécessaire, dénuées d’anecdotes et aspirant à la synthèse, ces portraits sont des emblèmes du courage et de la résistance, des invitations à la dignité.

Parfois, la face représentée échappe à son corps. Elle prend alors une allure d’empreinte, dont le ciel tout entier semble le support. Un masque colossal, comme évadé d’un linceul, semble flotter au devant d’un espace sidéral. Intensément lumineuses, fluorescentes presque, les touches de pinceau qui constituent la forme la métamorphosent alors en nuée cristalline, impressionnante mais libératrice, fondamentalement bienfaisante.

Il en va ainsi, aussi, de chacun des pans de quotidien silencieux parfois représenté par Kwun Sun-Cheol, et présenté dans l’exposition rétrospective du Musée de Daegu. Un nu posant dans un atelier parisien, un outil délaissé par un paysan, une paire de souliers féminins, un vase profond ou une bouteille vide… Chair, métal, soie ou céramique, tout sujet est d’abord une matière, dont il s’agit d’exprimer les vibrations. À cet exercice, au fil des ans, le pinceau a raffermi sa précision encore et encore. Et la palette a démultiplié ses nuances à l’infini.

À travers les reflets des objets, le sujet essentiel de chacun de ces tableaux est en fait l’observation, permanente, de la vitalité du monde et de sa métamorphose en énergie. Les grands paysages de montagne, peints dans l’atelier de Séoul, incarnent cette quête par excellence. À la lisière de l’Abstraction, de part et d’autre d’une ligne d’horizon accidentée par les sommets, les mouvements atmosphériques prennent corps tandis les pans minéraux gagnent en légèreté. En haut comme en bas, animé par l’inlassable danse du pinceau et par la myriade des tons juxtaposés par touches, tout bruisse et dialogue. La rencontre de la terre et du ciel semble possible, tout comme celles de la densité avec l’apesanteur, du corps avec l’esprit, du présent avec le passé.

Kwun Sun-Cheol partage cette quête avec certains grands paysagistes modernes, Paul Cézanne (1839 – 1906) et Claude Monet (1840 – 1926) en particulier, mais aussi Mark Rothko (1903 – 1970), Paul Jenkins (1923 – 2012) ou encore Zao Wou-Ki (1920 – 2013). Comme eux, il rêve un monde à la fois vivant et harmonieux.

Eaux et îles, dans d’autres grands paysages, mènent plus intiment encore de tels conciliabules ; arbres et chemins, dans certaines toiles récentes, également. Rien ne s’oppose en ces lieux car tout s’y complète. Les miroitements lumineux dilatent les contours, diffractent les frontières. En ces territoires exempts de présence humaine et dénués de vide, l’apaisement semble, enfin, possible.

Paris, décembre 2015

22/02/2017 - 15/03/2017
« Visages pluriels »
Exposition de peinture d’Alain Soreil et Kwun Sun-cheol
Centre Culturel Coréen à Paris 2, avenue d’Iéna 75116 Paris, France Tel : 01 47 20 84 15 / 01 47 20 83 86
Horaires d’ouverture du Centre Lundi 9h 30 - 18h Mardi 9h 30 - 18h Mercredi 9h 30 - 18h Jeudi 9h 30 - 20h Vendredi 9h 30 - 18h Samedi 14h - 19h Dimanche fermé Ouverture le samedi de 14h à 19h uniquement pour les expositions