LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue n°105


Éditorial

« De vieux préjugés partout démentis, des précautions devenues inutiles, et jusqu’à des traces de scrupules d’autres temps, entravent encore un peu dans la pensée d’assez nombreux gouvernants cette compréhension, que toute la pratique établit et confirme chaque jour. Non seulement on fait croire aux assujettis qu’ils sont encore pour l’essentiel, dans un monde que l’on a fait disparaître, mais les gouvernants eux-mêmes souffrent parfois de l’inconséquence de s’y croire encore par quelques côtés. .../... On ne doit pas croire que puissent se maintenir durablement, comme un archaïsme, dans les environs du pouvoir réel, ceux qui n’auraient pas assez vite compris toute la plasticité des nouvelles règles de leur jeu, et son espèce de grandeur barbare. Le destin du spectacle n’est certainement pas de finir en despotisme éclairé. »
Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle

TK-21 LaRevue publie en ces temps de sidération planétaire son numéro 105, poursuivant son décryptage de la situation psychique globale à travers le prisme des artistes, des œuvres et des images qu’ils produisent. Notre ambition depuis le début a été de faire, modestement mais avec détermination, des propositions permettant de penser et de voir et surtout de penser et voir autrement à la fois ce que nous sommes et comment nous le sommes. Artistes, écrivains, photographes, chroniqueurs, nous accompagnent dans cette tâche, l’une des rares encore à avoir peut-être une importance aujourd’hui.

Réfléchir sans fléchir

S’il n’y a pas de hasard qui nous conduise plus loin que le résultat du lancé des dés, il faut alors considérer que le choix d’intituler son nouveau séminaire « Faire face au mensonge absolu » a été dicté à Jean-Louis Poitevin par une muse maligne. Dans sa Logiconochronie – XXXXVI, il publie la version « live » du quatrième séminaire tenu à la Galerie Hors-Champs. Ce dernier est le second consacré à l’œuvre de Guy Debord. On y évoque en particulier la question de la forme de subjectivité capable de faire face à cet « ennemi vigilant et funeste » qu’est en effet le temps mais surtout le mensonge généralisé. Nier que nous sommes dans une phase aiguë de sa prise de pouvoir sur nos existences serait accepter une fois de plus de se mentir. Accompagnant la capture du séminaire, est publié le texte préparatoire proposant une entrée plus documentée encore sur l’œuvre, qui se révèle plus actuelle que jamais, de Guy Debord.

Nous poursuivons la publication de l’ouvrage de Pedro Alzuru consacré au derniers livres de Michel Foucault, la spiritualité païenne. Le « connais-toi toi-même » est, ici, examiné à la loupe dans ses prolongements stoïciens et épicuriens.

Christian Globensky revient dans TK-21 LaRevue avec un texte nietzschéen qui vise à nous faire partager « l’une des leçons fondamentales que l’on retrouve dans un petit manuel d’ethnographie de 1926, est que les phénomènes esthétiques forment une des plus grandes parties de l’activité humaine sociale ». En convoquant Marcel Mauss autant que Peter Sloterdijk, il montre qu’il perçoit avec acuité où se situent certains des enjeux qui nous traversent aujourd’hui.

Aldo Caredda nous propose de l’accompagner pendant un certain temps dans un des aspects singuliers de son travail. Des vidéos très courtes viendront ponctuer les numéros de TK-21 LaRevue en nous proposant d’assister à un geste à la fois dérisoire et profondément artistique. En visitant chacun des musées parisiens, il y dépose une de ses empreintes, élément qui est aujourd’hui à la fois le signe et le symbole, le moyen et le motif même de son œuvre. En offrant cet élément insignifiant à un dieu énigmatique et sans visage, celui de la culture peut-être, dont l’emblème est à l’évidence un labyrinthe infini dont nous ignorons autant comment nous y sommes entrés que comment nous en sortirons, il accomplit un geste aussi simple que sauvage dont l’écho en nous est à la fois celui d’une prière et d’un cri. À chaque fois nous le laisserons résonner en nous comme un appel renouvelé à un dévoilement impossible. Cette première vidéo nous conduit au saint des saints de l’art qu’est le Centre Pompidou.

Vivant aux USA, l’artiste enseignant et critique d’art Jaewook Lee nous propose de méditer sur notre condition de confinés à partir de l’exposition « Our World Our Say: Understanding HIV Risk and Resilience Among Adolescents who have been orphaned by HIV/AIDS in Hai Phong, Vietnam ». Il apparaît que l’art, une fois encore, participe aujourd’hui au travail global de compréhension du monde. « Our World Our Say revealed human health is tightly related to other human problems in a meshwork of connectivity. »

Laetitia Bischoff nous présente le travail de deux artistes-géographes, « plus enclins à mettre en boîte qu’à arpenter les arêtes et les milieux d’environnements déterminés. Ces artistes travaillent sur feuilles ou sur écran, bref, sur table. Et le jeu du monde ne s’ébruite plus au dehors de leur fenêtre, mais se confine en surfaces et en flux maîtrisés. » Elles se nomment Armelle Caron et de Pauline Delwaulle.

TK-21 LaRevue accueille avec joie Marguerite Pilven pour sa seconde collaboration. Elle évoque, à l’invitation faite par Alta Volta d’imaginer une exposition en chambre d’hôtel mêlant photographie, art culinaire et littérature, les artistes qu’elle y a présentés. « J’ai tenté la mise in vitro d’une portion d’espace et de temps. L’ambiance de la chambre serait fixée, son espace tapissé, contenu, cerné par quelques solides archétypes que j’emprunterais à un imaginaire moderne. Le trio improbable Maike Freess, Jessica Lajard, Olivier Leroi s’est présenté à moi, formant les pointes d’un triangle propice à un transfert de pensée. »

Hannibal Volkoff, directeur artistique de la Galerie Hors-Champs nous explique comment il en est venu à choisir les artistes de sa dernière exposition. « En vagabondant parmi les archives d’artistes retenus dans mes combinaisons potentielles d’exposition, dans les conversations imaginaires que j’imagine entre eux et les prolongements narratifs que proposent leurs associations, je me suis rendu compte que chacun d’entre eux s’était attardé, à un moment, sur la figure du cerf. » Ceux qu’il a invités sont Damien Comment, Natacha Ivanova, Florence Martin, et Sarah Navasse Miller.

LiFang nous présente ses dernières œuvres, que Marjorie Keters accompagne d’un texte. Elle relève en particulier que « depuis les premières séries exposées en 2005, jusqu’aux fragments du Paris Printemps de 2020, dans le confinement de son atelier parisien, LiFang suit le cours naturel de son inspiration pour proposer une œuvre limpide, d’une profonde cohérence. »

Images pensantes

Guillaume Basquin évoque pour nous dans ce numéro 105, « le dernier opus de Jean-Luc Godard, Le livre d’image, qui a déjà été beaucoup commenté ; pourtant, ajoute-t-il, il me semble que personne encore n’a insisté suffisamment sur sa principale caractéristique formelle : être un tombeau au carré du cinématographe. »

Gaëtan Viaris de Lesegno et Jean-Claude Moineau nous proposent un long texte qui est « une recherche photographique et philosophique de la vision de l’art dans l’œuvre d’Alfred Hitchcock avec l’exemple de Vertigo. » Car si nous ne l’ignorons plus nous faisons tout pour oublier comment avec les images il se peut « que le piège se referme, que la boucle se referme elle-même quelque part, que l’objet de notre regard finisse par nous retourner notre regard ».

Bernard Coste est accueilli ici dans le cadre de notre partenariat avec la revue en ligne Corridor Eléphant. « Voyageur attentif et lucide, conscient des impasses de la photographie de voyage, son regard se porte sur le monde avec une retenue empreinte d’humour et de poésie. Son travail s’ancre dans une culture argentique et une pratique approfondie de la chambre noire. Il cherche à écouter le regard du monde à distance des diktats technologiques. »

Guillaume Dimanche nous propose un ensemble entrepris pendant une session de travail avec un clown, un metteur en scène et Hamlet, sur son cheval, se posant la question la plus célèbre du théâtre : « Être, ou ne pas être ? ». Peut-être est-ce là le texte le plus important de l’histoire de l’art vivant. Acceptons de le suivre à travers ses images dans une réflexion autour de ce paradoxe inspirant.

Guillaume Basquin nous propose un texte sur un travail exceptionnel, les autoportraits de Christian Lebrat qui nous dit ceci de fondamental dans son œuvre : « Tout mon travail photographique et cinématographique est fait dans le noir. Quand je produis mon travail, et même quand il est fini, je suis dans le noir : je n’ai aucune idée de ce que cela va donner. Le tirage seul, décalé dans le temps, m’en donnera une idée. »

Nous ponctuons ce numéro 105 d’une nouvelle vidéo d’Aldo Caredda qui cette fois vient déposer son offrande mystérieuse dans les entrailles du Louvre.

Poésie aujourd’hui

Nous publions le seconde volet de l’entretien que nous accordé l’artiste Christian Jaccard qui nous parle, cette fois, des livres qu’il a réalisés en collaboration avec des poètes. Ce qui se passe sur la toile ou le papier, sous les doigts inflammables de l’artiste, peut en effet entrer en résonance avec l’âme d’un poète et constituer un appel à l’écriture ou une réponse à des mots existants.

Nous publions avec joie et en intégralité Le jour du chien qui boite, un nouvel inédit de Werner Lambersy qui commence ainsi : « Seigneur puisque tu n’existes pas / Je me confie à toi / Je n’ai personne d’autre à qui me / Confier je sais que c’est à moi / Que je parle de moi / Et que ma mort ne répondra pas. » Comment résister à ce voyage intersidéral qui tente de nous faire passer la frontière au-delà de laquelle il n’y a plus de frontière à passer ?

Alain Coelho poursuit la publication de son livre en cours, Images d’aurore. Le chapitre 6 de la seconde partie intitulé « Une fécondation », nous convie à une méditation inspirée sur les arbres. « C’étaient les arbres plus grands qui me frappaient alors, se dressaient, nets et détourés, totems retrouvés, et qui marquaient pour moi la lisière et les pourtours d’une sorte de territoire des enfants, où se croisaient et se retrouvaient les fratries des maisons les plus proches. »

Joël Roussiez clôt ce numéro 105 avec un premier ensemble de textes consacrés à l’évocation poétique des chapiteaux du cloître de la cathédrale St-Etienne de Toulouse, datant de 1120-1140. « Sous le fouet à la rame, nous poussons la barque des anciens... »

 


Photo de couverture : Guillaume Dimanche, Crane 1 - 3

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