mercredi 1er avril 2020

Accueil > Voir, Lire & écrire > Lire & écrire > Le jour du chien qui boite

Le jour du chien qui boite

Pâques 2020

, Werner Lambersy †

Voici, en intégralité, Le jour du chien qui boite, un nouvel inédit de Werner Lambersy.

Écrits du nord Jean le Boël

Seigneur puisque tu n’existes pas
Je me confie à toi
Je n’ai personne d’autre à qui me
Confier je sais que c’est à moi
Que je parle de moi
Et que ma mort ne répondra pas

Seigneur prends pitié des chiens
Et des femmes qu’on abandonne
Et ne me laisse pas seul parmi la
Foule dans la rue où tu mendies

Seigneur je ne lis plus les poètes
Ils s’occupent trop de la beauté
Je ne vois que l’horreur et rien
Ne me console de son opulence

Je n’ose entrer chez un libraire
Ni m’agenouiller avant de lire
Je n’ai pas fréquenté les autels
Seigneur je ne sais plus où j’en
Suis avec les masques de mots
Que j’arrache comme la chair
D’une lèpre intérieure qui pèle

Je rampe je crapahute et roule
Dans les tunnels où circule une
Marée sale de boue et de sang
Que la guerre dépose avec elle

Seigneur je pisse et lâche tout
Lamentablement devant tous
Ne me laisse pas mourir dans
Cette honte et ce déshonneur

La verge des fusées promet un
Paradis de rechange tandis que
Meurent ceux qui ont faim de
Paix et de nourritures propres

Seigneur seigneur je crie mais
Tu ne peux entendre puisque
Tu n’existe pas et je crève tel
Un pou sous l’ongle crasseux

Je tape aux portes des bistros
Après les heures de fermeture
Et je couche sur des paillasses
Qui puent ou dans les métros

Quelques unes ont eu pitié de
Moi mais je n’ai pas eu assez à
Donner ni de colère à rendre à
A cause aussi de ton abandon

Une m’a regardé vivre à cause
De l’amour de l’amour qui nous
Remplace et fait de nous l’azur
Où dansent des anges révoltés

Job gratte les ulcères purulents
Du progrès et je respire à peine
Dans la cohue processionnaire
Des chenilles qui nous dévorent

Seigneur prends pitié du gosse
Et de son assassin des jeteurs
De bombes et du chat de mon
Voisin qui a fui et ne reviendra

Prends en pitié les bateaux qui
Naufragent les barques coulant
Dans la passe et moi qui cueille
Les éponges et le corail cachés

Je suis seul devant la mort et je
N’ai plus de courage le malheur
Est une limace et le bonheur la
Poignée de sels tombée du ciel

Puisque tu n’existe pas fais que
Je sois comme toi et qu’au lieu
De me jeter dans le fleuve bleu
Du silence j’ose chanter joyeux

Le pain d’amertume des signes
Nourrit ma solitude le vinaigre
Blanc de l’écriture me déchire
Les entrailles le vin m’étourdit

Les mots sont des voitures qui
Passent et klaxonnent sur des
Bords d’autoroutes où frôlent
Les hurlements de leur vitesse

Et je marche épuisé, seigneur 
D’une aire anonyme de repos
A l’autre entre de monstrueux
Camions customisé de pin-up

Les villes de béton et de bruit
Que je traverse sont froides ou
Trop chaudes et la nature aux
Eaux libres un conte d’enfant

Une mer balnéaire baguée tels
Des oiseaux de passage criant
Des chants de guerre replie sa
Houle et je m’écroule reculant

Je n’ai pas pu je n’en puis plus
Le poulpe du soleil mange ses
Tentacules la lumière dévore
La cendre assoiffée d’ombres

Dresde Hiroshima le Vietnam
L’Algérie l’Afrique Mossoul et
L’Irak la famine Israël et Gaza
Il pleut sur mes bibliothèques

Je sais qu’on chante en prison
Et que les riches crèvent de la
Soif de l’or je voudrais être un
Végétal qui marche lentement

Seigneur ! Je ne suis pour rien
Dans tout ça mais je suis c’est
Une très grave faute à laquelle
Tu ne peux rien faire non plus

Le prochain train de comètes
Nous emportera et nous irons
Où il n’y a plus de frontières à
Passer ni de planète à polluer

Ici l’aube tend une main fraîche
A qui regarde et lui offre la fleur
Tropicale de ses cauchemars en
Suppliant la grâce d’une beauté

Ici les volcans nous ont livré les
Laves et les îles où sculpter des
Colonnes harmonieuses avant
Les tours et leur ortie de verre

Qu’on me laisse comme toi de
N’être rien issu du néant qui se
Contracte pour des cerises des
Galaxies ou un chant rarissime

Mais pas de la race menteuse
Tueuse et lâche dont je porte
La marque comme on ramasse
Pour la jeter une jolie méduse

La matière est admirable inouï
Ce lumineux « éclaircissement »
Du jour alors pourquoi ce long
Cadavre d’ombre qui me ronge

Personne pour me répondre et
Pour donner la minute de mort
A laquelle je pensais avoir droit
Depuis que règnent les atomes

Nous marchons ensemble dans
La gelée royale des crépuscules
Nous réparons la vieille montre
A gousset des récits héroïques

Je ne sais où aller nos machines
Nos usines nos gares nos avions
Sont beaux comme des cuisines
De restaurants ou des publicités

Nos fleurs en plastique et le corps
Durent plus longtemps les gens
Parlent à leur portable comme
L’araignée raccommode sa toile

Les sommets enneigés les villes
L’océan la voûte du ciel crèvent
Sous les déchets de toute sorte
Les zoos sont nos galeries d’art

Je n’irai plus danser qu’en enfer
Où les filles sont des montagnes
Peintes mais que dire quand on
Se frotte au museau de la chair

Seigneur je suis mal près du feu
Et mal dans l’hiver de la parole
L’eau du canal où passent nos
Péniches rouille de vélos jetés

Que puis-je faire et ne pas faire
Que personne n’attend et que
Dire que n’emporte pas le vent
Comme les feuilles dans l’arbre

Cependant ! Ce monde absurde
Est superbe et s’il gémit autant
De plaisirs que de souffrances il
Me ressemble par sa débauche

C’est le jour du chien qui boite 
Des enfants à naître attendent
Dans la cellule d’Orion verront
Ils les cerisiers du Japon fleurir

Le carburateur usé de l’âme et
Les boulons du cœur trempent
Dans le bac de coca du cosmos
Et je me cache dans un cinéma

De quartier aux fauteuils creux
Où les indiens gagnent souvent
Où les chevaux tombent sans se
Blesser puis relèvent l’encolure

Seigneur puisque tu restes muet
Comme chaque passant croisé en
Rue de quoi suis-je coupable qui
Me vaut de détourner ta pupille

Ce chien qui boite depuis l’aube
Du monde comment empêcher
Qu’il me suive comment ne pas
Lui jeter ce qu’il attend de nous

Qui l’avons laissé sur le bord de
La route attaché par une corde
A l’arbre auquel toujours il s’est
Aussitôt échappé par un amour

Non justifié déraisonnable d’une
Joie intempestive malgré caresse
Et coups lorsqu’il ne restait que
Lui dans les salles des pas perdus

Comment ne pas traîner comme
Un porte-conteneur à quai qu’on
Charge d’une cargaison de désirs
De sexe scellés sous des cadenas

Dont l’entassement monte vers
Le ciel comme les colonnes d’un
Temple où vont souffler le vent
Et le chansonnier des naufrages

Seigneur sur qui je ne peux pas
Compter épargne ma faiblesse
Elle est trop belle cette femme
Qui passe en remorqueur rouge

Les grues mécaniques au-dessus
De moi tendent des bras jaunes
Et balancent des hanches lentes
Comme des étreintes d’en haut

Et c’est brisé que je renonce à
La vouloir comme on détourne
En public les yeux d’une vitrine
Qu’on sait n’être pas pour soi

C’est le jour du chien qui boite
Et il connaît le chemin que suit
Mon habitude et il se roule en
Boule attend que je me calme

Il dort comme on écoute une
Foule qui ne voit personne et
Chantonne dans la rumeur des
Ponts sur les rivières sombres

C’est en pleurs que je tends la
Main aux fantômes et secoue
La sébile de mon sang allume
Une clope et demande du feu

Je suis triste d’une tristesse de
Trempage de feuilles de thé et
D’aloès pour la teinture noire
Des draps de l’office des morts

Comme la farine qui colle aux
Doigts de qui prépare les soles
Fines à la poêle et décortique
Les filets dans un beurre brun

Paris que je traverse mal vêtu
Dans l’hiver rude de mon âme
Laisse gronder le bruit furieux
Des broyeuses à papiers et des

Poubelles poétiques parfois le
Glissement lent de la pierre de
Curling que brossent avec rage
Les frénétiques devant la cible

Dans la rude saison de canicule
De mes sens faisant sonner sur
L’asphalte la canne des poèmes
Je traverse la ville aux dix mille

Jardins aux cent mille ruchers sur
Les toits aux parfums par millions
D’hommes et de femmes dans la
Salle de bain ou l’hôtel de passe

Les grandes gares sont des fleurs
Anthropophages monstrueuses
Dont les pétales s’ouvrent et se
Ferment avec les hauts parleurs

Je suis triste mais je sais toujours
Pourquoi écrit Genet destination
Auschwitz Chatila KGB Cambodge
La place Tien an Men ou l’Afrique

Seigneur tu n’existes plus il n’y a
Plus de jour à ton nom le missel
Le calendrier des Saints font rire
Les enfants à cause des prénoms

Nos femmes et nos filles ne sont
Plus impures on peut leur refaire
L’amour tous les jours avec joie
Les genres ont les tendresses de

Tigres et des douceurs de palme
La lampe de poche de la lune les
Courtes mèches de veilleuse du
Soleil le cosmos la roue de Shiva

Seigneur ! Je ne comprends plus
La vie ça ne fait rien pourvu que
Ça parle de la beauté le jour du
Chien qui boite quand rien ne va

Les nano les hyper le maniement
Electronique et les réseaux dont
La polyphonie encombre inonde
Et rend nulle la question de l’être

La physique quantique et la bio
Ne me rendent pas meilleure la
Fraise que je croque et l’amitié
Au coin du feu d’un bon alcool

Je traîne des regrets des échecs
Des écrits ni tout à fait mauvais
Ni tout à fait aussi utiles qu’une
Jambe de bois ou une médecine

On me parle de vivre comme les
Lianes dans la jungle et je pends
Au balcon de la mansarde entre
Géraniums et pigeon impudique

L’amour est l’échelle de secours
D’en haut où attraper les anges
Par le bout de l’aile et arracher
La plume d’une fumée qui brûle

Et c’est le jour du chien qui boite
Je n’aurai pas de lettre dans ma
Boite à lettres j’irai par la rue et
Ferai peur aux bandeaux à coups

Sirènes de paquebot sur le départ
Avec des bruits de branche lourde
Qui craque sur le boulevard où je
Marche au hasard en vieil homme

Qui ne dort pas la nuit et se lève
Pour regarder dehors loin de son
Corps le monde est un chien qui
Boite il me suit se couche à terre

Somnole m’observe à la dérobée
Pour voir si on reste ou si on part
Si un petit coup de langue sur les
Mains peut faire passer ma peur

Je me souviens du verger dans le
Ventre de ma mère de l’amande
Douce de sa poitrine et de l’olive
De ses baisers puis on me chassa

Des jardins d’Eden et depuis lors
Je cours ne sachant pas ce qu’est
La mort dont on me parle et pas
Grand chose de la vie où je suis !

Le temps paraît-il est un preneur
D’otages dont la rançon jamais n’
Est payée l’âme ne peut tourner
Son cou de crocodile vers le ciel

Le jour du chien qui boite il pleut
Toujours ce qu’on voit qu’on sent
Qu’on touche découvre une robe
En pilou et des bas qui retombent

On ne se souvient qu’à peine des
Magnificences des dahlias et du
Baiser volé aux demoiselles des
Fêtes en l’honneur des papillons

On se rappelle que celle qui dort
Abandonnée et nue sur les draps
De ton lit seule l’hirondelle saura
La hauteur où volent ses rêveries

Et on se sentira détruit de ne pas
Voir la splendeur universelle venir
Saluer les quotidiennes et simples
Beautés dont tu respires les pans

Je gémis le monde gémit le chien
Se lèche une patte une fois par an
Sur les tombes on joue du clairon
On dépose des fleurs et j’ai honte

Seigneur puisque tu n’existe pas je
N’attends rien de toi ni de moi qui
Ne suis pas sûr d’exister mon âme
Est une proie comme le taon repu

Que je viens d’écraser j’ai pitié des
Riches qui sont avares seigneur aie
Pitié des pauvres qui sont honteux
Et rancuniers car je suis tout pareil

Seigneur je glisse et m’accroche aux
Aux vélos rouillés volés et jetés dans
Un canal sale les confessionnaux ne
Tirent que le rideau rance de l’oubli

Cependant je n’ai rien négligé ! J’ai
Acclamé dans l’huître perlière de ma
Chair l’orgie démesurée des extases
Les orgasmes lumineux de mes nerfs

La mousson des femmes et les longs
Alizés de l’amour ! Voici que j’ignore
Où aller ! Les hautes tours des villes
Sont trop hautes les grandes affiches

N’affichent que de visages inconnus
Le peuple a disparu la masse domine
Je ne comprends plus ce qu’on dit en
Français les fleurs arrivent en avions

Les gamines se maquillent trépignent
Et crient comme on se drogue le gars
Des faubourgs ne connaît plus Paris et
Je me dresse en râteaux d’antenne TV

Seigneur mon âme n’a rien mangé de
Ce qu’elle aime la musique d’Annette
Vande Gorne les chants républicains
Des brigades internationales B.Britten

Dans Didon et Wie zal er ons kindeke
Duwen de ma mère le parfum du talc
Sur les seins nus de la première pute
L’odeur du père qui sortait de prison

Ce soir j’aurais besoin de voir sauter
Des chevaux voler des mésanges et
Danser des dauphins comme danse
Pina Bausch pour sortir du désastre

Cette nuit n’est pas une nuit comme
Les autres : c’est le jour du chien qui
Boite et nous boitons avec les astres
Qui clignotent et l’espace qui dérive

Seigneur ! Tu n’existes pas je ne vise
Aucune éternité aucun sursis pas de
Prolongation j’ai juste un fort besoin
D’être écouté par quelqu’un d’autre

Dans tous les pays n’importe quelle
Prostituée te dira la même chose et
Partout où l’on a élevé des temples
Aux colonnes en ruines aujourd’hui

Et je pense aux indiens d’Amérique
Qui trouvaient que c’était un beau
Jour pour mourir et rendre comme
Moi les scalps accrochés à leur selle

Seigneur je suis seul on ne peut pas
Parler avec la mort il est tard j’erre
Encore dans les drèves aux trottoirs
Frottées de lard comme les tombes

A Montmartre dans les carrières on
Peut voir la mer dans de vieux silex
Des péniches de nuages nocturnes
Débarquent les cageots de la marée

Les ponts se promènent sur la Seine
Je suis jeune je suis vieux et j’ai l’âge
De mes pompes qui écrivent encore
Un poème de Cheng Hsie qui affirme

« Des chatons de saule sur mon col
Ivre de silence J’écoute le coucou. »
J’ai faim de poésie qui ne nourrit pas
Son homme la nature n’a pas d’âme

Je traverse la ville déserte comme on
Repasse la pellicule du film d’une vie
Cent mille tableaux dorment dans les
Caves des musées la dernière séance

La nuit sera blanche et noire je hais
Les lampadaires où se pendent les
Poètes je suis heureux que dans la
Bibliothèque de Copernic on trouve

Le Joachim Sterck van Ringelberg né
Comme mol à Anvers auteur bizarre
Du « Lucubrationes » (écrit en 1528)
Et augmenté de poésies amoureuses

D’Erasme on trouve aussi dans mon
bazar Elskamp Guiette Le fou rire de
La Joconde La sandale d’Empédocle
de Germoz et G. Eeckhoud qui risqua

Toujours tout Qu’on me laisse ce soir
Un banc libre où lire dans l’obscurité
Ce que mon cœur connaît par chœur
Orphée que déchirent les bacchantes

Si vous lisez les poètes méfiez-vous
Ils ont sans le vouloir souvent raison
Sans eau vous aurez la guerre ! Sans
Poésie vous aurez la guerre ! Sans la

Lune au bord de l’eau vous aurez la
Guerre et si comblé accablé par tant
De grâces et de laideurs sur terre en
Même temps vous voulez une guerre

Ne lisez plus ! Ulysse toujours au bord
De la beauté et de l’horreur mais seul
Au mat dans la nef dont l’équipage est
Sourd qui écoute les sirènes sur la rive

Pour comprendre ce qu’elles disent ni
Le chant qu’elles chantent : belle est la
Vie l’art périlleux ne lisez pas le poème
Si vous n’êtes pas prêt à tout entendre

Hugo qui bat tambour de chiourme le
Sait Hugo qui bat la chamade du cœur
Le sait Hugo qui rend à la parole ce qu’
Elle a pris à l’océan le sait : on mourra

Solitaire au milieu de la foule et comme
Sur la tombe de Groucho Marx : je vous
L’avais dit je ne vais pas bien et Giordani
A Leopardi je pleure le néant des choses

Seigneur puisque tu n’existes pas console
Ceux qui n’existent pas non plus aie pitié
De la femme qu’on n’aime plus du gosse
Mal né et de celui que la vulgarité enivre

D’habitude c’est l’arbre de ma cour pavée
Qui m’avertit le premier s’il pleut mais ce
Matin sous la neige il s’est tu et médite il
Attend que le soleil se lève quand même

Seigneur ! Je n’ai plus d’abri contre l’âme
Et mon corps est épuisé je n’en peux plus
Je ne sais où me dérober à tant d’absence
Le chien se plaint grogne et frissonne j’ai

Froid moi aussi et la vieille couverture de
La Croix rouge ni mes baskets qui sentent
Fort et sont mouillées pas plus que litron
Ou petite bouteille de rhum ne pourront

Rendre la nuit plus courte ou les matins
Moins brumeux ma pensée est morte et
La Mère Michel n’y changera pas grand
Chose je suis un petit café noir du néant

Mes amis ne lisez pas les livres qui font si
Mal quand ils sont beaux attendez que la
Vie vous ouvre ses merveilles puis si vous
Le voulez allez voir si cela raconte pareil 

Robert Walser mon ami pourquoi ne s’est
On jamais croisé ton grand silence semble
Une Mer morte où s’enfoncer est un acte
Impossible ici les fleuves sont gourmands

P.Celan (et beaucoup d’autres l’ont répété)
Dira que le monde n’a pas besoin de poète
La beauté a cependant besoin qu’on la voit
Même si ce n’est que son ombre emportée

Seigneur me voici de retour chez les miens
Sur cette terre riche en cadavres et couché
Dans un lit où la plupart rêvent et dorment
Sans crainte de ne pas se réveiller le matin

J’ai traversé brisé ce jour du chien qui boite
Comme ces débris dérivant dans un cloaque
De boues et de pensées boueuses auxquels
Les enfants jettent des pierres encombrant

Et s’entassant au pied des piliers de ponts
Jusqu’à la prochaine crue mais la colère et
Ma débâcle ont fait le reste car l’aube aux
Doigts d’épines ouvre ses premières roses

L’hirondelle matinale danse à la corde sur
La ligne d’horizon le bruit enfile ses bottes
On répare les filets déchirés de la lumière
On descend sur la piste les trapèzes rêvés

Le chien qui boite dort au pied du gisant
De marbre dans la crypte de la mémoire
La rosée a le goût des étoiles le soleil va
Reboutonner les heures mal boutonnée

Seigneur puisque tu n’existes pas encore
Accorde la paix à l’estropié dont la patte
Repousse guérie pour qu’il aboie et fasse
La fête à ceux et celles qu’il accompagne

Seigneur me voici seul et j’ignore si je
Parle dans le vide mais il marche et va
De l’avant celui qui chante magnifique
Et serein dans la forêt sans âge de ses

Pensées ne craignant rien des étoiles ni
De la mort prochaine Joie sans mesures
D’être ici et maintenant dans le jeu des
Atomes et de tous les possibles du réel

2019