jeudi 1er décembre 2022

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S’accorder à l’horizon — IV/IV

, Joël Roussiez

En résonance, par assonance souvent, s’est construit ce texte, cette litanie, à l’invitation donc particulièrement de Stimmung, musique de Karlheinz Stockhausen, sous les pensées-concepts de Jakob Von Uexkül et de James J. Gibson, son propos et autour de ma maison, son espace, son récit.

Advient alors un chœur de fleurs qui s’ouvrent doucement jacinthes des bois, bugles et pâquerettes toutes baignées de rosée froide étincelantes sous la lumière encore rase qui les caresse et dont la clarté progresse comme un mystère derrière l’ombre du soir ; elle s’étend doucement, lentement au milieu du champ où les fleurs offrent l’horizon, un espace autour de la maison, une ouverture, un passage qui invite à partir plus avant comme l’étoile au-dessus isolée dans le ciel qui s’estompe, se retire, bleuit faiblement, doucement dans les effluves de luminosités qui l’absorbent. Comme un langage d’étoile, la lumière scintille et recouvre l’azur ébloui, une voix grave ainsi assourdit les petits cris intimes de créatures vivantes qui vivent hors du silence des matières aux voix retenues... Il naît sur les surfaces d’écorce et de pierre sans signification, ni mots, des lueurs de sons, des embryons de rythme, il naît comme une danse de campagne sur des espadrilles légères, chaussons souples de cuir fin qui promènent leurs pas silencieux dans le sans voix, évoluant comme si..., si s’éloignant dans le ciel argenté les robes et les jaquettes flottaient doucement dans une humeur de ouate, un chevreuil sans hâte s’avance sous l’élégance furtive des gris et des bruns, inaudible élégance mêlée au monde des arbres tout autour qui se trouve ainsi atténuée dans ses contours aux fines brillances de fourrure se fondant frissonnant mais sans plainte dans le bois, la terre sous le ciel nu et clair... Bien vivant cependant le chevreuil seul et fier fuyant, fuyait encore et détalait comme toute créature de nuit, sangliers, renards, blaireaux, se cachant au terrier, se couchant au gîte, absorbés silencieux, se dérobant ainsi au jour cruel qui les découvrirait retirés au bosquet comme au maquis... Au bosquet embusquées, les bêtes loin de la maison fermaient les yeux sur l’horizon et déjà parmi les fleurs mouillées s’éloignait la route cachée derrière le champ, le bois, l’étendue devant que traversaient le pinson, la mésange, le corbeau en accord de passage. Le monde derrière, le milieu, mon endroit s’étendait à l’étroit quand, m’éloignant doucement, lentement, sans hâte, je m’éveillais par le champ et les fleurs, jusqu’à l’ornière en lisière « Ou-i-ya ! » où se trouvaient la dame et ses bras, créatures et plantes qui murmurent dans l’herbe, sur la sente, sous les bois...

Voici le charme des étoiles qui appellent dans la nuit, leur lumière s’éteint au matin, dans le champ, le bois, la maison, leur clarté se dilue à l’intérieur du jour..., dans le jour un peu blanc, elles insufflent au soleil et malgré les nuages gris des fragrances de jaune, doré, imperceptibles ; elles chauffent le blanc-gris comme la voix des enfants dans la foule des rues ou bien encore les gémissements des oisillons dans le murmure des êtres sans voix, les glapissements des renardeaux, le coassement des corbeaux, le martèlement des pics, le criaillement des geais dans la rumeur des bois comme..., comme dans la basse-cour aussi où ronronne la pompe d’un puits le gloussement des poules dans l’après-midi chaud autour du chien qui dort et du jeune chat, comme, « com’... », charme sensible, séduction paisible pour l’oreille des anciens, cris qui venaient comme de petits jeux de fond égayer le monde murmurant, s’intégrant, s’accrochant doucement et proposant au loin, venant de loin, le rythme à peine entamé de mouvements plus vifs. Voici les bruits familiers qui se propagent comme joyeusement parmi les multiples sons mêlés dans le champ tout le jour où déclinant lentement les clartés dorées si diluées alors fondent dans la masse bleuté du ciel jusqu’à la nuit... La nuit avançait dans l’ombre qui s’intensifiait pendant que se couchait à l’horizon, tendu comme un incendie, le soleil majestueux dans une sorte de silence qui grésillait, de recueillement des choses quand tombent les humeurs stellaires, des vents de haut en bas qui comme, « comme, com’ », comme des voiles fluides se déplaçaient en remous dans l’air lentement trouble, fluide comme un limon de vase dans lequel ces clartés indécises étincelaient, gouttes-rosée adamantines, capelines au ciel du soir... Lentement, doucement se répandent des ondes vagabondes sans pesanteur avec la lumière qui descend, s’atténue devant les étoiles qui montent, scintillent... ; lentement descendent donc les ombres et la nuit tandis que s’éteignent au fond de l’horizon les lueurs d’incendie qui baignent comme en des laves quelques arbres lointains et des nuages qui passent pendant que l’ombre installe ses voiles de terre mêlée de suie qui tombent sur le champ, furètent au sol par bons et sauts avec les scarabées et les fourmis à leurs affaires dans l’obscurité comme au passage de l’ombre des nuages du jour... Les étoiles brillent alors, éclats de joaillerie, soleils minuscules, et dans la nuit aux voiles épais, dans la nuit puissante qui enveloppe les êtres, des créatures s’éveillent, sans veille ni repos car c’est l’heure qui convient ; elles se déplacent, les sangliers fouissent, les renards chassent, les blaireaux vont à la rivière et le glouglou très doux lentement pénètre dans leurs bouches comme la lumière des étoiles dans leurs yeux... Des oiseaux s’ébrouent, l’inquiétude s’insinue sous leurs ailes à moins que les rêves, les rêves éveillés, remplissent leurs cœurs et secouent tout le corps sous l’émoi soudain vif de leur flux... Les chouettes cependant et les chauves-souris entamaient les chasses de la nuit, vols sans bruit, souffles éphémères dans le brouillard des indications et des obstacles sous le murmure des étoiles, entre elles à l’unisson, indifférentes au ronronnement sans fin, au grésillement électrique de leurs lumières offrant éblouissantes le cristal jaune et doré transmis par l’espace interstellaire d’où, dit-on, naissent les choses. Elles offraient leur lumière sans la répandre aux créatures de la nuit ainsi qu’à celles de jour comme le salut discret d’un bonjour « où vas-tu, que fais-tu ? », que fais-tu sous les étoiles cosmiques et l’espace désert quand errent les forces gigantesques dont le destin sans bruit arrache des catastrophes ?...

Si loin, si loin de la maison, du bois, du champ, de la chouette du soir et des autres encore, des autres nombreux, de nuit, de jour, dans la maelström des mélanges, si loin à hauteur des arbres et bien plus haut encore à distance sidérale, incommensurable, la clarté d’étoile, perdue, lointaine, loin de laquelle, et pourtant à l’intérieur d’elle, soudain le bruissement du chevreuil et du feuillage avec lui passe avec précaution à deux pas et jappe. Avec attention deux voix laconiques et lentes qui descendent, à ses oreilles glissent une crainte furtive ; deux voix mêlées. Parfois on les entend, parfois on ne les entend pas, le bois grince à petits cris, le sol sec pétille, craque légèrement, les ombres comme des bouches engloutissent les sons, se ferment, s’ouvrent lorsque les voix s’accordent en murmure retenu, répondant au chant fluet des crissements, stridences du grillon et douceur de la brise se frottant aux feuilles nouvelles endormies dans la nuit qui s’alourdit... S’avance encore la nuit, s’épaissit le noir de suie, il naît une rumeur sans constance que ces voix arrondissent, la vieille dame, visage rond, et le renard à museau à deux voix émettent de front de petits cris légers assourdis quand le sol craque un peu, tous deux s’affairent à ce qui les occupe pendant que la rumeur qu’on dit des étoiles déverse par intermittence l’étrange scintillement sans mesure, le fluide qui ne s’écoule et pourtant au travers des filaments ténébreux s’insinue, se déverse en se dissolvant, se retire en avançant, se résorbe, et s’éteint dans la suie comme une flaque d’eau dans le sable ou la terre... Alors dans le sans mouvement, sans bruit dans la nuit sous la carapace de chitine mêlée, les mandibules affairées s’endormirent, le scarabée se retira sous la capeline rigide, sous le dôme sphérique, cuticule où brillent peut-être des étoiles comme au royaume des morts brillent encore des rêves ainsi qu’on l’a écrit.

Ce chemin du jour à la nuit naît sur une nappe de fond où il y a, « ou-y-a » un et plusieurs chemins, non pas en directions mêlées, sans direction alors mais disparates directions, de la maison, du bois, à travers l’étendue, sur le champ, qui viennent, s’approchent, d’hier émergent et s’affirment maintenant parfois directement ici et là comme adjacentes frôlant ce qui est déjà route, en route ce chemin moteur-rumeur mène marchant le corps, jambe-appui, ressort après jambe-jetée, appui, mandibule articulant, à son affaire, se déhanchant, invité, allant dans les aurores successives quand la rosée dans les yeux trouble la vue sur le champ, le bois, la maison..., il va, ondoie dans ce milieu, endroit, espace, étendue à l’horizon..., dont l’horizon équilibre les mouvements et donne la mesure, dont perception, humeur, sensation indiquent le contour, il va emporté au milieu de son milieu sous le murmure inaudible, il va toujours un peu dressé, s’accordant du désaccord « Omm’, Omm’, Om’ » et sonnant de la voix tantôt chantant, tantôt à petits cris...