samedi 30 avril 2022

Accueil > Voir, Lire & écrire > Lire & écrire > Proust : Philosophie versus fiction

Proust : Philosophie versus fiction 

, Jean-Paul Gavard-Perret

Marcel Proust, Essais, Édition publiée sous la direction d’Antoine Compagnon, avec la collaboration de Christophe Pradeau et Matthieu Vernet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, avril 2022.

L’éclectisme de Marcel Proust se retrouve dans ses Essais où il se fait « concierge de génie ». Nous le découvrons avertit autant en littérature, art plastique, musique que philosophie. Ces « matières » se retrouvent dans cette suite de textes à travers le temps. Sa culture encyclopédique y est présente mais selon le « tri » que l’auteur a opéré dans cette accumulation de connaissance.

La philosophie est surtout omniprésente. Puisque, à sa manière, La Recherche est un roman philosophique. La fiction permet de quitter son territoire de réflexion pure pour passer à celui de l’émotion et de l’imaginaire.

Les divers essais complètent ainsi La Recherche dès Contre Sainte-Beuve. Dans la première existe un philosophe caché qui pratique des « barbotages » d’après les leçons d’Alphonse Darlut professeur de Proust à Condorcet et qui prenait son chapeau comme exemple et parangon de la réalité. Ces essais fourmillent d’analyses et de « consultations » où l’intellect de Proust tourne à plein dans les examens d’œuvres très diverses.

Passionné par l’art classique il l’est tout autant de l’Art Nouveau, de l’art japonais et de toutes les avant-gardes. Il connaît le cubisme très tôt et son immersion dans l’art contemporain est constante. L’art pour lui est la vie même. Il y perçoit l’enrichissement « en vie » que cela représente.

Se découvre donc un Proust mal connu. Celui qui reconnaît ce qui « détruit la ressemblance » chez Picasso entre autres, il est sensible à de telles superpositions. D’ailleurs Proust l’a connu. Et Picasso lui-même le repérant dans un salon déclare : lorsque « regardez-le il est dans son motif ».

Proust curieux de tout frôle même Dada. Et Breton alors dadaïste (relecteur chez Gallimard de La Recherche et que Proust soupçonne non sans raison de jalousie et de ressentiment) le sollicite. Mais Proust comme il l’écrit à Soupault refusera des pages à la revue Littérature. Cela peut paraître bizarre mais pour lui tout se superpose et son amitié envers Soupault ne se démentira pas. Il y a presque chez lui un acte d’adhésion aux « champs et chants » surréalistes.

A Raymond Roussel lui-même il écrit qu’il porte sans faiblir « un prodigieux outillage poétique » à son travail. Certes il y a là une forme de politesse de classe et une dimension mondaine, mais cela prouve son extraordinaire encyclopédisme qui – qui sait – aurait pu aller jusqu’au ready-made de Duchamp...

En conséquence et à côté de la philosophie l’art visuel possède une place singulière : « par l’art nous pouvons sortir de nous et voir le monde se multiplier » écrit-il. Les « rayons spéciaux » en perdurent écrit-il encore et il les découvrit entre autres chez Rodin et Monet chez lequel il trouva l’idée de son œuvre « cathédrale » d’art.

Et si chez Proust la mémoire est un instrument de référence elle devient dans ce livre pour le lecteur un lieu de découverte. Celui-ci est soumis à « l’éternel présent » que Proust semble faire sécher sur la corde invisible de ses marges qui sont bien plus, malgré son mot, que quelques « hardes ». Elles sont significatives. C’est d’ailleurs avec Contre Sainte-Beuve que s’illustre le mieux la manière dont Proust se joue des genres ou dont les genres se jouent de lui. Preuve que le projet de Proust était fondamentalement ambigu.