lundi 28 janvier 2019

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La poésie

, Laëtitia Bischoff

Une poète se réveille un matin, regarde son fils qui sommeille puis part au travail, celui des bureaux, des papiers virevoltants, des problèmes et des personnes que l’on accueille. Elle s’y réveille sans café avec des cernes et un flot de paroles rude et long, qui claque et claque de nouveau. Des lumières blafardes et des moquettes standards moussent et tapissent cette verrière.

La poésie s’étire en un trait de dessin. Elle parcourt la dent, la lèvre, puis l’œil et les cheveux d’un petit être ensommeillé. Elle longe son bras, le confond avec l’oreiller. Elle s’échappe au loin, contextualise sa position puis reprend les lignes de son dessin sans couper ou préciser ce changement d’axe au flot du monde.

La poésie resserre les sphères de savoirs, court-circuite leurs parois, établit des correspondances de teintes, de formes et d’élans. Elle joue du piano en n’ayant que l’expérience du violon.

Aller au travail en poète, c’est rabougrir les murs des feuilles A4, c’est déchausser les humeurs pour déceler le cours d’une colonne vertébrale, c’est pardonner l’imbibition à la colère.

Aller au travail en poète c’est retirer le complexe des situations et des usages, ces habits même, ces ronces-là qui s’entassent sur et autour de nous. Aller au travail en poète, c’est s’approprier l’imprimante en chef d’orchestre. Apporter de l’air aux portes, de la surprise aux couloirs. Détourner les classements en un bréviaire symbolique. Rendre caduque et obsolète, apporter de la gêne à toute forme d’autorité.

Aller au travail en poète comme la chercheuse devient formatrice, le berger prend les atours de l’éleveur, le philosophe, ceux du professeur de lycée… pas forcément avec le cœur, pas forcément pour très longtemps.

Illustration couverture : Joshua Reynolds, autoportrait détail.