vendredi 29 septembre 2017

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Du fantasme (et) de la présence

Première partie de l’entretien avec Vincent Debiais

, Hervé Bernard , Jean-Louis Poitevin et Vincent Debiais

TK-21 LaRevue a pour ambition d’être un lieu de réflexion sur le statut des images aujourd’hui. Et, en effet, quoi de mieux pour les approcher et les comprendre, ces images d’aujourd’hui, que de faire un retour arrière, aujourd’hui vers le Moyen Âge, surtout lorsqu’il est présenté avec la maestria et la précision d’un de ses meilleurs connaisseurs.

L'image au Moyen-âge, entretien avec Vincent Debiais from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.

Écouter Vincent Debiais est à la fois un plaisir et une nécessité, du moins pour tous ceux qui ont envie de comprendre comment les fils à partir desquels se tissent les images sont encore, souvent, les mêmes aujourd’hui.

Que fait une image ?

En posant très clairement cette question, Vincent Debiais met en scène une relation tripartite entre création, transposition et rencontre. Car une image au Moyen Âge – et par là il faut entendre aussi bien les peintures que les images qui se trouvent dans les livres, certaines tapisseries ou encore les statues – a donc au moins ces trois fonctions qui croisent en nous celles de la donation de sens, celles de la mémoire et celles de l’imagination au sens ici le plus strict de mettre ne image quelque chose qu’on ne connaît pas.

Parler des images, c’est, ici, pénétrer dans la mécanique mentale, psychique, spirituelle et matérielle d’une époque. Au Moyen Âge, non seulement on créait, mais on pensait, ce qui veut dire que l’on faisait fonctionner ensemble les diverses facultés qui sont les nôtres et cela, comme nous le faisons aujourd’hui, sans toujours savoir ce que nous faisons.

Gros plan sur la tête de la statue de Sainte Foy de Conques

Faire une image, c’est faire beaucoup de choses diverses et concomitantes, mais c’est toujours articuler la possibilité d’un sens à des gestes des matériaux et des mots. L’image ne se conçoit pas sans les mots. Le sens n’est pas lié au seuls signes mais à l’interaction entre des contenus et ce ou ceux qui les portent, étant entendu par exemple que dans une image sainte, les matériaux jouent un rôle pour le créateur autant que le saint qui s’y trouve manifesté.

Réalité

Réalité, réel, sont des mots qui aujourd’hui se trouvent à la croisée des affirmations les plus fantaisistes quoique sûres d’elles et des questionnements les plus douloureux, puisque nous sommes entourés d’appareils qui produisent des réalités qui ne sont en un sens « que » des sortes d’images, partiellement d’un nouveau genre.

En affirmant, dans la perspective d’un respect de la création au sens biblique du terme que mot et image cohabitent d’une manière qui est impossible à défaire, le Moyen Âge les fait vibrer ensemble d’une manière puissante.

Et c’est parce qu’elle liée à l’écriture que l’image acquiert une puissance si grande.

Cependant, entre le geste de volonté créatrice du fiat lux, la révélation par monstration de ce qui est dans le monde et par son articulation avec la parole, en particulier à travers le sacrement, l’écriture rayonne d’une puissance qui se trouve augmentée lorsqu’elle se trouve associée à l’image. Il faudrait dire, en fait, parce qu’elle se trouve presque toujours mise en jeu « dans » les images, toutes ou presque toutes les images.

Double présence et double sujet

L’enjeu central de l’image sainte ou de l’icône, c’est celle de la présence « réelle » de ceux que l’image désigne « dans » l’image. Une telle formulation doit vibrer aux oreilles de n’importe quel tenant de cette même croyance relativement aux êtres ou objets « présents » sur ou dans une photographie. Mais l’enjeu est plus complexe. Vincent Debiais monte que l’articulation se fait entre image figure et lettres, celles qui souvent disent le nom du saint qui sans cela ne serait pas connaissable.

Les libri caroli, eux, en opposition à la conception orthodoxe de l’icône, vont établir que l’image montre mais ne contient pas, ouvrant ainsi un nouveau chapitre des relations complexes entre images représentation et texte. On voit que s’ouvre ici la porte qui conduira à une approche de l’image comme signe.

Saint Savin

Mais ce qui importe ici, c’est le fait que contrairement à une idée reçue relativement au Moyen Âge, la relation de l’auteur à ce qu’il fabrique est essentielle. Le fait que nous ne connaissions pas le nom des auteurs, ne change pas le fait que l’on sait aujourd’hui que l’acte créateur au sens contemporain du terme était central. À la relation entre celui qui voit et ce qui est vu ou reçu, il importe d’adjoindre la relation avec celui qui a fait, avec l’artiste dirions nous aujourd’hui. Le sens d’une œuvre se joue donc à trois et plus seulement à deux dans une version somme toute « idéalisée » pour ne pas dire fantasmée d’une relation directe entre le dieu et sa créature et qui retrouvera avec le protestantisme un certain crédit.

Il va de soi que ce que démontre le travail de Vincent Debiais, c’est, évidemment, combien une connaissance des textes chrétiens est essentielle à la compréhension des enjeux relatifs aux images et cela jusqu’à aujourd’hui.

Aucune création d’images, même les plus actuelles, ne peut en effet, qu’on le veuille ou non, se dédouaner d’un geste vague de l’ancrage des discours comme des pratiques liées aux images et aux images photographiques en particulier dans ce terreau chrétien.

La suite de cet entretien nous apportera de nouveaux éléments relatifs à ces relations qui sont encore vivantes pour nous entre les mots et les images.

Cet entretien a été réalisé à l’occasion de la publication de son livre La croisée des signes (L’écriture et les images médiévales (800-1200), Éditions du Cerf, Colllection Patrimoines, 2017.