mercredi 1er mars 2023

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Aldo Caredda #35

Lost in the supermarket #35

, Aldo Caredda et Jean-Louis Poitevin

Aldo à la Sorbonne Gallery

Roulez jeunesse ! Passez carrosses ! Qu’a donc encore à nous dire l’honorable maison du savoir ? Ou plutôt qui a encore quelque chose à nous dire qui parle dans cette honorable maison qu’on nomme université ? Car c’est là que nous entraîne le passant sans vergogne qui hante les couloirs des musées et des lieux divers et variés dans lesquels on présente de l’art contemporain, de l’art d’aujourd’hui, de l’art tout frais sorti de la fabrique et réalisé par un vivant bien vivant. Aujourd’hui, il erre dans les couloirs de la vieille sorbonne où, désormais, par une de ces extensions incidentes de l’histoire, de temps à autre, on expose des oeuvres d’art contemporain dans ses couloirs.
Certes, ce n’est pas nouveau, l’art dans la cathédrale du savoir, mais ce qui est d’ailleurs ici ou là au détour d’un couloir ou d’un escalier encore visible, ce sont des oeuvres pérennes. Là, rien de tout ça ! Des cadres aveuglés par la lumière blanche nous indiquent seulement le "il y a" mais ne nous montrent pas le "ce qu’il y a". Car ce n’est pas ce qui importe, le sens de l’oeuvre, quand une époque s’enferre dans le labyrinthe qu’elle s’invente jour après jour. Ce qui compte, c’est l’immensité du couloir, la visibilité des cadres, apparaissant comme vides et la plénitude de baleine échouée des bancs sur lesquels plus personne ou presque ne pense même à s’asseoir.
On connaît désormais la gestuelle de la déposition de l’empreinte. C’est la première fois qu’elle a lieu dans le temple du savoir. Et ce qui se produit sous nos yeux ne ressortit en rien de l’acte déférent et solennel. Bien au contraire. Il s’est agi de glisser, en passant, sous un banc de parade la minuscule grenade qu’est l’empreinte, sans même chercher à attendre pour voir à quel moment elle pourra exploser. C’est qu’il n’y a plus grand chose à faire exploser là où règne la mascarade de la pensée. Quant au fait d’y exposer, il ne faut pas s’attendre à ce que cela produise autre chose qu’une jouissance de souris affamée de fromage ranci pour l’artiste et les organisateurs.
Alors, oui, le mieux est de passer, sans se retourner, conférant ainsi au geste de la déposition sa fonction sans doute originaire-critique non tant de dénonciation que d’énonciation. Quand ce qu’on appelle si pompeusement le sens n’est plus que le nom du "perdu" dans le psychisme des affidés à la pensée dominante, il ne reste, lorsqu’on le croise dans les parages de son lieu de détention perpétuelle, qu’à le nettoyer de toutes ses prétentions d’un geste discret et efficace dont la seule puissance "symboliquement nulle" rend l’effectuation effective.
Non qu’il faille se priver de toute connaissance ! Loin de là ! Mais quand sonnent les cloches d’une médiocrité devenue sanguinaire, il n’est guère d’autre geste que l’accomplissement du rien dans le silence et des gestes qui le rendent possible, ce rien. Emporter les nuages-de-mots chers aux "penseurs" de ces temps noircis au charbon de la bêtise d’un geste unique, voilà ce qu’il y a : la désignation du non lieu où loge ce "Dieu qui est une sphère infinie, dont le centre est partout et la circonférence nulle part".
Au moins, ici, aura-t-on entre-aperçu, désigné par le geste dont nous ne savons rien d’autre que ce qu’on nous en dit, le recoin ou se loge, cette fois, cet insaisissable "centre".