samedi 1er octobre 2016

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Voyage à Leipzig — I / VII

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, Alain Coelho

J’ai longtemps ignoré, c’était un grand bonheur, que la jeunesse m’exemptait de bien des complexités.

Et j’ai fait de la poussée même de la vie une complexité centrale. Cependant, avec les années, l’âge émet maints et répétés signaux. Il est devenu urgent de les regarder, de comprendre, pour infléchir si l’on peut les raidissements du squelette, de l’esprit et du corps, l’existence tout entière qui échoue en de muets rivages. C’est ainsi que je fis le voyage à Leipzig.

L’âge ! Oh, terrible irréalité. De tout ce qui arrive dans une vie, on le sait, l’âge est ce qu’il y a de plus incompréhensible, de plus étrangement irréel. J’ai senti cela lors de ce voyage en Allemagne, j’ai senti que l’âge m’éloignait plus encore des êtres que la distance ou la difficulté de parler dans une langue étrangère. Ou, plus exactement, ce fut comme si ne pouvant jouer ni sur la proximité pour me faire comprendre, ni sur la langue ici en usage, il ne me restait face aux êtres pour m’exprimer que l’étrange écorce de mon être et mon âge apparent. Certes il y a aussi l’être des vêtements, et les Allemands globalement ne sont pas « habillés », pas plus que les touristes ni les sportifs. Je n’avais pas non plus les petits signes émetteurs — ou pas assez — une couleur de chemise, une coupe de la veste, les cheveux, à me faire ranger hors du temps mais toujours en accord avec le temps présent, tel un cinéaste, un journaliste, un architecte pour n’évoquer ici que des types généraux qui demeurent dans l’habitude obligée de paraître actuels. Il ne me resta que l’apparence involontaire et surannée d’être âgé, d’être à l’ancienne mode ainsi que le confieront avec surprise et gentillesse, à mon fils, ses amis allemands rencontrés avec lui à Iena. Cependant, même sous ce mode dérisoire, l’idée de l’âge est venue, et il n’y avait nulle raison de ne pas la regarder se déployer, s’étirer tout entière. Elle devint une part du voyage en Allemagne.

Certes, la pulsion du récit — la faculté chez les hommes d’aborder toute impression comme un morceau dans un récit — a dû être si importante, sans doute vitale, qu’elle demeure comme établie d’avance et guide toutes les impressions elles-mêmes, les gauchissant, ajoutant une légende aux légendes ; et il me faut la déjouer pour exprimer à présent ce que je souhaitais dire, et plus encore écrire.

Ce fut en réalité comme le bruit amical et paisible de l’eau d’un ruisseau, de l’eau vive et claire passant sur les cailloux beiges et argentés du fond. C’est cela, c’est cette impression fraternelle d’être à nouveau chez soi, cette impression de sève, de vie immense renouée, de durée infinie et coulant, que j’ai éprouvée un instant arrivant à Erfurt, au-dessus du ruisseau, à la petite écluse fraîche du Moulin Neuf, juste avant le pont Krämer, et qui recouvre à présent de sa vie pure, de sa sorte de leçon, l’étendue fine et sereine de l’ensemble de mon voyage en Allemagne. Ce sont ces impressions aussi, par paresse, par conformité à quelque grand et flou réconfort des connaissances, que l’on croit celles de Rilke, d’Hofmannsthal, de Proust, de Jünger, inspirées grandement, déjà écrites, et non les siennes propres.
Les noms, en ce mois de juin, avant le ruisseau, avant l’écluse fraîche du Moulin Neuf médiéval, avant Erfurt, chantaient pour moi et murmuraient des promesses de sons, de senteurs, d’arbres, de voix, de maisons d’Allemagne, …Thuringe, Saxe, Iena, Dresde, Weimar, Leipzig.

Nous entretenons certes avec les lieux de très étranges relations, comme s’ils avaient la faculté de nous changer et de changer chaque instant. Et c’est ce qui se passe en réalité. Bien entendu, cela se présente de façon inversée ; il semble tout d’abord que nous demeurons des êtres fixes et stables dans le cours fluide et changeant du voyage, des points constitués et qui se dirigent avec science, ou hasard, mais avec profit toujours au travers d’univers inconnus, ou imaginés, ou rêvés, ou inondés parfois de langage et d’images, d’indications à vérifier et trouver. Nous nous frayons des chemins incessants au milieu d’une telle profusion, demeurant cependant comme intacts et augmentés des lieux traversés, et dans lesquels nous progressons avec surprise un peu, avec aisance bientôt, avec délectation aussi, avec attente et ennui comme il apparaît que cela peut arriver parfois. Et nous nous croyons de curieux et heureux réservoirs. Nous avons engrangé tant de choses ! Images, repères, connaissances, vues, précieuses indications étrangères, tout semble à conserver pour notre propre accroissement. En réalité — nous le sentons confusément et ce n’était pas le but du voyage, but que nous n’avons pas oublié s’il était assez net mais que nous pouvons alors situer en quelque étrange et surprenant second plan — c’est notre durée propre qui s’est défaite. Elle a changé comme les minutes et comme les lieux eux-mêmes. C’est comme un ensemble qui s’est mu tout entier ; nous savons, le désordre aussi s’ordonne quand il se meut ; les incertitudes, les repères, les attentes, les contraintes, les heures, les bonheurs, et notre propre corps, et l’air lui-même et le langage ont continué d’être mouvants, mais dans un tout autre plan, et nous y vivons aussi. Nous tentons de nous y retrouver, et de classer notre être même dans ces si simples dimensions nouvelles. Nous avions une autre fois – tant un voyage renoue de prime abord une sorte de chaîne de tous les autres voyages, alors qu’en réalité il nous rappelle une sorte d’écart dont nous sommes la « dernière fois » revenus — nous avions une autre fois laissé Tamino et Pamina à Vienne, ou Salzburg, et ils sont entrés dans les récits et dans l’ennui heureux et poli de la culture, des personnes et des âges tandis que nous en parlions au retour ; mais nous sommes ici à nouveau dehors sur la terre, comme dans notre propre corps ; les vêtements sèchent à l’hôtel, nos os sont recrus de fatigue, nous sommes étrangement heureux et loin de nos centres anciens, avec un peu l’inquiétude que confère cette conscience des distances, et nous tâtonnons au travers des cités et des siècles qui font sur nous bientôt une somme nouvelle : de la vie et de l’air, une fine pellicule comme la douceur du soir et les voix étrangères, et qui ont changé déjà les saveurs, comme le cours de notre esprit ; et brusquement nous voyons que ce sont les lieux qui nous regardent, après avoir regardé aussi tant d’autres vies dans l’étrange éternité murmurante des formes.

Lorsque j’imaginais à distance mon voyage en Thuringe et en Saxe, les lieux avaient une forme précise quoique flottante, ils avaient une texture, celle incernable et mêlée de noms, d’idées et d’images, les formes — si enfantin cela soit-il malgré leur apparente portée intellectuelle — de pages imprimées et de l’histoire de la vie de Gutenberg, du mythe de Faust, du classicisme allemand, des romantiques pour la Thuringe, de la musique et de Bach pour Leipzig. Et ce sont ces impressions d’avance, naïves au fond, indifférenciées entre elles, générales, qui ont déclenché la nécessité du voyage en Allemagne, horizon frais et vivant accumulé depuis l’enfance et des dizaines d’années. Bien sûr nous savons que ces formes que nous cherchons n’existent pas vraiment, sont situées dans le tissu que fait notre vie avec le temps, et qu’elles ne résident pas dans les lieux qui leur ont donné naissance. Cependant c’est le seul lien qui existe, physique, animal, avec le réel tapi qui rêve dans la coquille de notre corps.

Quant aux mythes eux-mêmes dans lesquels j’ai vécu, que j’ai jalousement préservés, c’est une grande autre histoire, comme l’hygiène d’un prisonnier, des pans de la vie qui nécessiteraient d’infinis développements, des errances plus longues que celles de ce voyage à Leipzig. Textes, poésies, musiques, idées ! Instants de grâce dont les noms chez les hommes furent parfois comme d’improbables et simples écriteaux à l’entrée de contrées familières et magiques, Novalis, Dürer, Hölderlin, Bach, et l’étrangeté heureuse de me promener enfin à Ithaque dans la maison d’Ulysse.

Outre Bach et Mozart, de leurs bords quotidiens et toujours retrouvés, je me suis nourri au plus simple et au plus familier d’auteurs Allemands ou de langue germanique, mais leur origine commune, si elle existe, n’avait aucune importance, pas plus que celle de Mishima, de Faulkner ou de Fernando Pessoa. A telle enseigne qu’il m’a toujours semblé en faire un commerce immédiat tandis que les soubassements d’une étrange culture continuaient d’être les auteurs du temple, en français, en italien parfois, en grec ancien. Ainsi, avec l’impression que j’ai eue longtemps de ne pouvoir lire un texte autrement qu’en sa langue propre, ne lisant pas l’allemand, ma lecture de Mallarmé, de Valéry, de Racine, de Baudelaire ou de Proust semblait avoir chaque fois un bien-fondé naturel, une portée éminente, quand cependant en voyage, limitant pour les bagages le nombre des livres, je prenais au contraire chaque fois, dans une sorte de conversation intime et ininterrompue, le petit volume des Elégies de Duino, un recueil de textes brefs d’Hofmannsthal ou de Hesse, des Journaux de Jünger.

Je m’attendais bien entendu, mais sans vouloir m’y appesantir, à trouver aussi en Allemagne les aéroports, les arbres, les voitures, les banques pour les retraits d’argent, les trains, les personnes d’aujourd’hui, les vêtements d’aujourd’hui, mais au travers du théâtre de Weimar avec le Faust de Goethe, l’orchestre de Mendelssohn, les derniers lieder de Richard Strauss, les archives de Nietzsche, les passages et les chemins constellés des vies et des œuvres de Hegel, de Stirner, de Fichte, de Hölderlin, de Jean-Sébastien Bach enfin, et leur faisant à peine l’écran confortable d’une vie d’aujourd’hui et pratique.

Pourquoi cette mythique Allemagne fut-elle pour moi encore si présente, en ces années qui n’ont plus aucun rapport avec elle, la fixant dans ces sortes de petits bas-reliefs en bois sculpté bariolés de lettrines gothiques, d’écriture et de décorations, si pleine, si chargée de pensées, d’idées de la Nature et de musique d’orgue ? Aujourd’hui encore je ne peux détacher de moi la sensation d’un sourire amical d’antique nature et d’antique Allemagne si j’ouvre quelques pages du Narcisse et Goldmund de Hesse, où s’animent immédiatement des arbres, des montagnes, des forêts et d’anciens monastères.

Cependant, à supposer que je sois exactement quelque chose et que cela existe sur la terre, je suis un pur Latin, goûtant les surfaces irisées et les voix intonées de soleil, la sensualité et les parfums musqués des fruits, les clameurs, les paroles et les pensées belles comme des répliques écrites et récitées sans fin, les costumes et l’orient, les couleurs chaudes et vives, les femmes passant chaque jour sur la terre comme devant une assemblée de beautés et de dieux, si heureux depuis l’enfance des tours et des détours d’Ulysse ! Mais je ne trouve à présent, dans l’air clair, au détour des détours d’Ulysse, du charme merveilleux des ruelles de Lisbonne, des places infinies et de la lagune de Venise, qu’un beau poème de Rilke, qu’un paragraphe méditatif et chantant de Hesse, qu’une idée suspendue d’Hölderlin dans un mot fugitif et traduit, comme de hauts interstices dans le monde et les pierres, une étrange levée dans le langage me comblant sur la terre. En face un instant la vie même.

Pour Bach, raison motrice en réalité et maçonnique de l’ensemble de mon voyage, j’ai vécu avec l’évidence maintes fois remise à plus tard de venir un jour à Leipzig, entrer dans l’église Saint-Thomas pour laquelle Bach composa et où il passa la partie majeure de son existence. C’est une sorte d’appel des formes. N’avais-je pas déjà cédé à cette même tendance quand, mêlant Osiris, le Christ et Atys, j’avais fini un jour par faire un long, il fut long cette fois — une année — le voyage en Egypte et passé une journée dans l’Osireion d’Abydos comme dans les détails d’un cerveau et de toutes les croyances ? Ou enfin n’étais-je pas descendu de cette même façon quelques années plus tôt dans la grotte de Lascaux, avec deux heureux amis, pour voir toutes les formes s’animer comme une pensée dans la voûte d’un crâne ?

Pour le reste, Goethe, Schiller, ainsi que dans un dépliant d’un voyage « culturel » où toute substance irradie et se perd, Dürer, Novalis, Hölderlin, n’ont pas été si dérisoires comme aiguilles d’aimantation de quelque pôle de profondeur rêvée. Mais il se passa en réalité, dans ce voyage à Leipzig, autre chose, et qui fut l’existence. Elle renvoya ces confréries majeures, ces fraternités toujours présentes en moi — à la manière étrange et intime dont Bergson souligne que le passé d’un être se prolonge dans chaque instant de son moment présent — à un autre univers, qui ne les excluait pas mais leur donnait une autre place, telles ces statues escortant un passage, les statues du Pont Charles de Prague, torsades merveilleuses suspendues, qui étaient d’abord l’objet de notre avancée curieuse vers elles et s’en trouvaient alors au-dessus de notre marche et de nos rêveries, et qui prennent bientôt une place apaisée, fixe et belle autour de nos vies, contre le mouvement vivant, qui continue de bruire sous elles, de nos jours et de nos pensées.

C’est dans l’enchevêtrement peu simple de toutes ces impressions que j’ai entrepris sur le tard le voyage attendu, et à l’invitation de mon fils cadet qui vivait à Iena. Alors je me suis enfoncé plus encore dans des cercles enchevêtrés, au lieu d’un simple et divertissant voyage.

Cependant j’allais trouver aussi là-bas la joie.

Avais-je 13 ou 14 ans ? C’était l’époque des disques, les 33 tours, que l’on commençait à trouver partout, jusque dans les bureaux de tabac, avec des fascicules sur « les grands musiciens ». Le rituel fut partie intégrante bientôt des conditions de la musique : je me retirais dans ma chambre tandis que je sentais le reste de la maison vivre de sa vie fixe et ininterrompue. Je fermais soigneusement ma porte et aussi les volets, faisant une pénombre silencieuse qui m’isolait autant du jour dehors que des heures familières, des voix et des sonorités vivantes et précieuses de la vie de la famille. Gemütlich ! certes, avec Bach et la musique j’étais sans doute gemütlich, selon l’expression aujourd’hui en Allemagne telle que je la comprends : « être dans son propre intérieur, comme une sorte de foyer confortable, être soi comme l’intérieur d’une maison bienheureuse » ? Je m’étendais sur mon lit avec tout près l’électrophone sur lequel j’avais mis le disque fin et noir de la collection La Guilde internationale du disque, qui portait en bas de la pochette cartonnée le petit dessin de deux mains dans un ovale, et dont l’une tenait une baguette de direction d’orchestre. Le saphir sur le disque, et qui désignait ainsi l’aiguille, on parlera peu après de « diamant », avait grésillé un instant puis j’écoutais, allongé, extatique, l’orgue se déployer dans le haut-parleur comme la création du monde. C’était la Toccata et fugue en ré mineur, très courante alors et au code maçonnique associé à jamais pour moi à Bach de BWV 545.

Hors le langage parfois, ce furent là mes sentiments premiers de saisir l’univers tout entier dans une forme et un art. L’esprit des hommes, ivre de territoires, me conduirait ainsi des années plus tard à entendre l’orgue de Bach résonner dans la petite église Saint-Thomas de Leipzig, où Bach lui-même dirigea sa musique et joua. Et n’y eut-il pas un point merveilleux, un instant, dans le vaste cercle des années à la semblance du cercle infini de la musique de Bach, dans l’assemblée nombreuse, dans l’église Saint-Thomas où je me retrouvai enfin pour ce concert d’orgue quand, à l’acmé d’une fugue – ce n’était pas la BWV 545 cette fois – je perçus au plus haut de la nef blanche de Saint-Thomas, dans la texture sans matière de la musique, la candeur et l’intensité de la vie du petit garçon que j’étais, si inapte, si infime, se fondre et entrer dans la forme des sons et de l’orgue triomphant ? Mais ce fut un point, une lueur, un sourire, tant le voyage à Leipzig allait aussi m’enseigner d’autres choses.

Il y a en Allemagne pour moi encore aujourd’hui toute une modernité, à laquelle je n’ai jamais été sensible, et que j’ai simplement enjambée. Je n’ignore pas cependant sa charge, ni l’attrait sans doute qu’elle exerça et que j’ai senti souvent au fil du temps. Seulement il y a là quelque chose qui n’est rien pour moi, à moins que je n’eusse le goût de me « tenir au courant ». Je suis conscient bien sûr du malentendu, et d’être cantonné à des connaissances « classiques », quand au contraire cela n’a jamais existé ; je n’ai fait qu’aller de façon assez instinctive où le monde scintillait pour moi de ses intensités.

Ce devait être en ce sens que mon fils avait pensé que Berlin m’intéresserait peu, et l’avait écartée. J’ai traversé en effet la ville immense, en autobus, sans grande curiosité, avec l’impression çà et là de voir certains quartiers de Paris. En réalité, les lieux à Berlin sont liés aux personnes, et non l’inverse. C’est une ville-ruche aux centres incertains et flottants, active et très large, ou les strates des vies semblent n’avoir pas eu le temps de se fixer dans les édifices ni les façades, ni dans les pierres ni sur les places. Impossible alors pour moi de m’y retrouver, à la façon dont on lirait l’histoire et la vie d’une cité, comme le remarquait Hermann Broch, sur les façades de ses immeubles. Car Berlin est encore dans les personnes, et dans une sorte de jeune âge.

Oh, le soir à Weimar ! et les bonheurs du matin dans la vieille cité comme s’ouvrant sans cesse en un immense jardin dont elle serait l’étrange et diffus noyau. Leipzig, avec le sourire de Bach dans la voûte blanche de l’église Saint-Thomas tandis que tonnait l’orgue ! et la place du Vieux Marché, avec les fraises de Thuringe qui m’ont fait penser à celles de France, au Portugal et à la Place du Rossio, et Dresde et l’infinie douceur des formes des statues noircies des terrasses et de l’Elbe ! Erfurt et le ruisseau, et la belle place du Dom avec l’escalier improbable, une maquette d’Eden vertical et gothique dans l’esprit avec en dessous, sur la place, la statue d’Athéna qui veille comme sur la mémoire et sur d’étranges, très anciennes et repues connaissances. Iena et les montagnes au loin, derrière le clocher fin de pierres claires qui se dresse contre la tour des années soviétiques avec ses allures d’une Corée moderne des années 2010, et la petite maison de Fichte où allaient Novalis, Hölderlin et les autres, avec la vieille université mesurant en totalité moins que la petite galerie marchande et moderne aujourd’hui du vieux centre, avec sa porte cochère voûtée et si petite sous laquelle passaient les étudiants de jadis qui allaient aux cours de Hegel ou Fichte, la petite fontaine dans la cour et les petites salles médiévales, comme d’accueillantes et préservées petites granges de la vie et de l’esprit.

C’est ainsi qu’arrivant à Weimar le premier jour, reconnaissant de loin mon fils à la sortie de la gare, le monde eut d’emblée pour moi ses couleurs chatoyantes. Dans la douceur de fin d’après-midi, après avoir déposé mes bagages, nous partîmes découvrir le vieux centre de Weimar, comme de s’en aller à nouveau parcourir le plus vaste des mondes. Bonheur ! Marcher sur la terre comme dans un monde futur, comme dans un monde qui éternellement commence. C’est qu’un rayon espiègle avait éclairé la naïveté de tous mes élans premiers, me laissant sur la terre dans le monde d’aujourd’hui, prêt à voir aussi bien autre chose que ce qu’il y avait.