LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue n°95


Éditorial

« Sous le calcaire pesant de l’ogive crânienne, Karl remua ses minables et lentes cellules.
Il déplissa une membrane : il s’éveillait.
Il portait depuis des milliers de lunes son occiput comme un couvercle et en sentait encore, parvenu à l’approche de la mort, la froide pesanteur.
Il plongea la patte et arrachant sans cri des plaques de boue hérissées de poils ferreux, il fourragea entre ses deux phallus. Il immobilisa l’œil sur le bas-ventre d’Adrien son fils : celui-ci n’en avait qu’un. La race décadait. »
Claude Klotz, Les innommables, Incipit.

Pour ce numéro 95, TK-21 LaRevue vous embarque dans un voyage riche et diversifié puisqu’il y sera question d’art, de peinture, de sculpture, d’art électronique, de cinéma, de photographie et comme toujours aussi de littérature. On y retrouve des gens qui nous font le plaisir et l’honneur de nous offrir, comme pour tout ce qui a trait à cette revue, il importe de le rappeler, gratuitement leurs textes, leurs images, leur travail, leur énergie. Cet engagement discret mais bien réel est ce qui fait vivre cette revue en ligne qui depuis 8 ans maintenant s’ingénie à vous proposer moins des informations que des points de vue, des rencontres, des découvertes, des voyages de pensée.

Avec sa Logiconochronie XXXIX, Jean-Louis Poitevin poursuit ses investigations sur la fonction de l’art aujourd’hui et sur les modalités de son évolution au cours du siècle passé. « Pour cela, il nous faut changer l’angle de notre regard et accepter de prendre en compte ce qui nous arrive non plus à partir de notre ancienne conception historique des choses mais à partir de cette nouvelle forme de pensée en train de s’emparer du monde et que Flusser appelle la post-histoire. » Nous qui nous croyons pétris de raison et d’histoire nous révélons des animistes actifs pris dans les filets des nouvelles formes de magie qui dominent le monde et dont l’art est le meilleur héraut.

Dominique Moulon nous offre un voyage et une réflexion de fond sur une question majeure, celle relative aux relations que l’art entretient avec la société. « Il est plus que jamais essentiel, à l’ère où tout est dit en ligne et quand le monde se fissure au gré des replis identitaires, de continuer à rencontrer les autres ailleurs et autrement dans la vraie vie. Rendons-nous donc au Royaume de Danemark pour y découvrir les œuvres d’artistes aux approches résolument sociétales. »

Fidèle à TK-21, Jae Wook Lee, récemment nommé « assistant professor at Northern Arizona University », nous offre aujourd’hui un texte comme toujours brillant et informé dans lequel l’art est appréhendé à partir du cerveau. « Each range of frequencies indicates a different state of the human mind. Delta waves are associated with deep relaxation and sleep. Theta waves indicate a trance-like state such as daydreaming. Alpha waves lie between the conscious state and the subconscious state of mind, such as being in deep meditation or nature. Also, Beta and Gamma waves are found in awake humans with higher cognitive activities. » À nous de plonger dans le rêve !

Éric Rondepierre, photographe de qualité mais aussi écrivain, vient de publier aux éditions Tinbad un nouvel opus. Pour évoquer cet artiste, nous choisissons de publier un texte ancien de son éditeur, Guillaume Basquin, qui évoque le parcours complexe de cet artiste hors norme.

Nicolas Sanhes vient d’installer une œuvre pérenne dans sa ville natale, Rodez et expose à Saint-Paul de Vence à la galerie Podgorny Robinson des dessins et peintures liés à cette oeuvre. Jean-Louis Poitevin, qui accompagne son travail depuis de nombreuses années, prolonge ici ses réflexions sur cet artiste novateur en évoquant ces oeuvres récentes sur papier.

Soizic Stokvis expose régulièrement dans des institutions respectables, l’an passé ce fut à La Vigie à Nîmes. Aujourd’hui, elle expose à la galerie La Ferronnerie à Paris des oeuvres récentes qui renouvellent son vocabulaire plastique de manière efficace. Jean-Louis Poitevin a vu cette exposition et en rend compte pour tenter de démêler les relations singulières entre lumière et signes qui la constituent et la traversent. Il se joint à François Michaud qui a écrit, lui, un texte rapportant un entretien avec l’artiste.

Reconnu pour son style si unique, exposé de par le monde, acquis par de prestigieuses collections privées et publiques et objet de nombreuses publications à succès, le travail de Renato D’Agostin s’est fait une place prépondérante dans le paysage photographique. Avec Harmony of Chaos, l’artiste change d’échelle et explore de nouveaux territoires. Une série qui marque un tournant dans sa carrière. Dans un beau texte, Théo-Mario Coppola évoque ce travail qui est actuellement présenté à la Galerie Thierry Bigaignon.
Christophe Galatry nous fait découvrir le travail photographique d’Eva Alonso. « D’emblée, ses photographies s’expriment par leurs regards sur une ville, Buenos-Aires, que la photographe parcourt chaque jour. Ce qui caractérise son travail n’est pas tant une approche formelle et plastique de l’image qu’une recherche sur le sens profond de son sujet photographique, le questionnement de l’espace public et des objets qui le composent. »

Dans le cadre de nos échanges avec la revue en ligne Corridor Elephant, nous vous faisons découvrir le travail de Cendrine Genin à propos duquel elle-même remarque : « Je cherche à m’approcher du geste. Donc de l’ordre autant que du désordre. » Mais ces images sont aussi une plongée dans les matières qui accompagnent nos vies au quotidien.

Thomas Paquet, qui travaille avec la Galerie Thierry Bigaignon, nous offre ses propres notes sur son travail énigmatique. « En brouillant les frontières entre science et poésie, matérialité et abstraction, objectivité et subjectivité, mes œuvres sont une invitation à dépasser notre représentation de la réalité : mon travail photographique est un jeu de construction pour peindre une expérience sensible du monde. »

Martial Verdier et Xavier Pinon poursuivent leur travail d’arpenteurs à Longwy et dans ses environs. Aujourd’hui ils célèbrent un lieu emblématique de cette ville plongée dans une crise sans fin après la fermeture des hauts-fourneaux et des usines. Il s’agit d’un de ces hypermarchés comme seule la province française en propose, mélange de vacuité morose et de grandeur vaine.

William Radet, notre grand floulosophe, revient avec des questions et des propositions. Il nous invite en particulier à nous demander : « Comment traverser le raisonnable qui stagne impuissant aux frontières de l’imaginaire pour survoler l’indéfini et rencontrer un possible perdu ou caché ? »

Alain Coelho revient avec un texte inédit, évocation singulière de moments uniques dans sa vie dont une visite dans la grotte de Lascaux, la vraie, au début des années 80, un moment qui fut pour lui fondateur. « J’éprouvais un sentiment inexplicable de bonheur et de pitié mêlés. De lassitude et de liberté, de vacuité et de solitude vaste que rien semblait ne pouvoir endiguer ni combler. Il semblait que tout geste, toute pensée, tout acte hors savoir, hors prendre ma place dans les activités des hommes, ne fût que s’éloigner de quelque centre atteint. Comme si je n’avais plus à chercher. »

Pour clore ce N° 95, Joël Roussiez, qui revient avec trois textes courts inédits, nous enivre toujours de sa prose limpide et mystérieuse, aussi mystérieuse que les courtes histoires qu’il nous narre et qui toutes portent non tant des messages que des indications relatives à notre situation d’exilés sur cette terre. Ainsi se clôt la troisième de ces histoires, « Et tous deux contemplant les lointains dont l’incertitude s’estompait poursuivaient la promenade dans le jour finissant. Ils ne s’embrassaient guère et vivaient sans malheur mais comme détachés parmi les joies discrètes et les plaisirs légers… »


Photo de couverture : Eva Alonso

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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