vendredi 28 juin 2019

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Corridor Elephant

Les Intimes

Cendrine Genin

, Cendrine Genin et Corridor Eléphant

Je cherche à m’approcher du geste. Donc de l’ordre autant que du désordre.

Tout est matière humaine, du fil du tissu à la couleur de l’objet, à la combinaison l’alchimie ou l’antinomie des matières les unes dans les autres : je prends ce qui est.

Je ne cherche pas l’origine du geste, mais son existence, son être là.
Mes images existent car il y a désir, besoin d’acter une temporalité. Elles sont profondément inscrites dans le temps.

La matière est passé présent futur, elle seule peut prétendre à la notion d’infini. Le geste, lui, s’inscrit dans la finitude.

Il inscrit une proximité géographique à la matière qui a touché et été touchée.
Le propre de l’intimité est sa valeur intrinsèque, et la construction qu’un intime devient celui de l’autre, car l’un est dans l’autre, construction visuelle de « l’un plus un égal un » .

Je m’approche et la distance face à la matière est souvent identique. Celle d’un filtre photographique y ressemblerait.

Il n’y a pas objet il y a matière, il n’y a pas spectateur, il y a acteur.

Les Intimes erre d’une matière à une autre matière, il ne s’agit que de densité et de filtre émotionnel.

Je suis libérée de toute affectivité et le temps de prise de vue est souvent court, il est calé sur le geste non prémédité, premier.
Alias du punctum.

Je cherche les failles et seules les failles de la matière m’attirent dans l’espace qu’elles donnent à voir.

Je ne cherche pas l’histoire, ni même à raconter d’histoires, cela ne m’appartient pas et ne s’est pas déposé dans cette écriture.

Seulement matérialiser la matière intime.
Faite de trames, fils, de vides de failles de silence.

Ces portraits dépassent la matérialité physique du corps, la matière photographiée étant elle-même corps physique et objet d’attachement.

Une veste, une tasse, un cintre ne peuvent t-ils signifier un regard, un punctum qui traverse le cœur et l’esprit sans pour autant être présence humaine ?

Je n’entre que sur les lieux habités d’une présence ou d’une absence, et chaque image est un après, un silence de la présence.

Il s’agit de la vie de la matière au delà et en deçà de nous.

Je n’interviens sur aucun choix d’objet, je me contente d’attester de notre composition organique.

Eau, bois, fer, porcelaine, laine, fil plastique...
Le geste est notre être au monde, notre identité, le détail, l’unique et le un. Le geste dormant, improvisé, est ce qui rayonne dans le bruit du monde. Rayonnement caché mais force d’éclat.
Le geste est phrase et présence.
Le geste est résonance de ce qui me traverse et qui à travers moi me transperce.
Le geste est paradoxe, il me trahit et dit au delà de ce que je suis et ne saurais dévoiler.
Le geste est transmission.
Les Intimes ne s’inscrit pas dans un temps du devenir, il marque notre finitude tout à la fois dans la condition humaine et l’infini de la matière.
Fil entre le visible et l’invisible.

« Gestes
gestes de la vie ignorée
de la vie
de la vie impulsive
et heureuse à se dilapider de la vie saccadée
...
de la vie n’importe comment ...
Gestes du dépassement surtout du dépassement »
 
Henri Michaux.

Juillet 2018

Voir en ligne : http://www.cendrinegenin.com/