LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°68


Éditorial

La désinhibition est à la porte des isoloirs et c’est dans le secret fatal de ce carré de toile ouvert à tout vent, que chacun prétend pouvoir exercer sa liberté, lors même que, plus que jamais, c’est elle le bouc émissaire, qui, par ce geste individuel réédité collectivement des millions de fois, sera abattue. On entendra alors les cris de joie que pousse chacun de ceux qui mettent en action de la rage collective. De ce moment tragique, on dira qu’il donne à voir une « image » de la France. Les aruspices se pressent déjà autour du cadavre. Ce sont les mêmes, qui bien avant, en tant que picadors médiatiques, excitaient la bête et la fatiguaient. Inattendu peut-être sur ce terrain, le poète W.H. Auden a pu écrire dans de courts aphorismes poétiques intitulés SHORTS, ceci :

« La devise du tyran :
Tout ce qui Est Possible
Est nécessaire. »

Ou encore :

« Les petits tyrans, menacés par les grands,
croient sincèrement
qu’ils aiment la Liberté. »

Engagée avec exigence dans la réalisation de projets, TK-21 LaRevue propose le 13 Avril un colloque Data Meta Data intitulé Face au déferlement des images. En collaboration avec la SAIF, il aura lieu à l’INHA.
Ce colloque propose un ensemble de réflexions autour de la réaction d’artistes face aux images qui nous envahissent, étant entendu que ces images sont d’abord conçues comme des metadata et non simplement des images. Fidèle à son histoire, TK-21 LaRevue a inscrit cette réflexion dans un partage entre Asie et Europe en invitant aussi des penseurs coréens et taïwanais.

Jean-Louis Poitevin poursuit ses Logiconochronies en interrogeant le personnage si singulier de la Bible qu’est Jonas. Il reprend ici un texte écrit il y a vingt ans. Ce personnage est d’une dimension et d’une actualité brûlante, lui qui est à la fois le premier et le dernier homme, car le seul, dans la Bible à s’être opposé à la voix qui le domine et le gouverne, celle de son dieu, et à préférer contredire celui-ci plutôt que de lui obéir sans répondre et qui le fait jusqu’à choisir finalement le silence et l’effacement.

Artiste très présente sur la scène internationale, Jeanne Susplugas expose à la Maréchalerie, à l’école des beaux-arts de Versailles et à la Galerie Vivo Equidem à Paris, pour plusieurs mois. Elle s’est livrée avec générosité aux questions de Jean-Louis Poitevin et à la caméra d’Hervé Bernard pour ce qui, sur quatre chapitres, s’impose comme une sorte de confession d’une enfant du siècle.

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poursuit sa présentation de l’œuvre cinématographique intégrale du tout autant grand photographe Jean-Francis Fernandès avec la mise en ligne de son film de 1978 intitulé, et c’est d’actualité, Un français parle aux français. Jean-Louis Poitevin relève comment l’interview d’un homme dont le pavillon était voisin d’un centre d’accueil pour enfants en difficultés à Vitry, peut être apprécié aujourd’hui comme une borne permettant de mesurer en quoi et comment la parole a muté. En effet, il apparaît en particulier comment de vecteur de partage, la parole est devenue aujourd’hui hystérique et orientée vers le passage à l’acte.

Artiste vénézuélien de première importance, Luis Alberto Hernandez expose jusqu’au 8 mai au farinier des moines, à Cluny. Jean-Louis Poitevin explore ses œuvres qui, à travers le recours à une écriture sacrée inventée et des formes tirées de l’univers du livre et de l’espace infini des symboles, sont portées par une mélancolie d’une puissance poétique rare.

Qui n’a lu Le loup des steppes, Le jeu des perles de verre ou Siddhartha ? Mais qui sait que le prix Nobel de littérature Hermann Hesse était aussi un dessinateur et un peintre ? Georges Bloess nous offre une plongée sans concessions dans l’univers inconnu de l’œuvre plastique du grand écrivain. « Sa vie fut-elle donc un enfer ? Bien des pages de ses confidences nous donnent des raisons de le croire. Et bien des fois, il a eu la tentation d’y mettre fin, n’étaient les quelques éclaircies qui lui ont rendu courage. Parmi ces éclaircies, il faut compter son œuvre peinte, des milliers d’aquarelles, dont certaines admirables, qu’il laisse à la postérité. »

Artiste déjà reconnu, Sylvère Jarosson expose à la Galerie Hors-Champs. Il y est présenté cette fois par Alisa Phommahaxay. Ses nouvelles recherches picturales sont des formes abstraites, minérales et reptiliennes, célestes et granuleuses qui poursuivent leur évolution par une multitude de variations, de nuances et qui se révèlent comme un prolongement de ses dernières séries, comme un même corps en devenir. Un texte de Pauline Zimer montre comment une technique hors pair permet à cet ancien danseur de l’Opéra de faire de chaque toile une chorégraphie à la fois chtonienne et aérienne.

Alain Nahum présente deux séries d’images prises dans la rue ou dans le métro. La première est le fruit d’un hasard renouvelé que Jean-Louis Poitevin tente de décrypter, dans la mesure où ce hasard, sous l’œil acéré du photographe, est devenu le vecteur d’une mise à l’épreuve de l’inconscient et son messager au cœur même des images. Un second volet sera ouvert le mois prochain sur les photographies prises dans le métro.

Éric Atlan revient dans ce numéro avec une vidéo qui cette fois, en suivant les lignes de vie de la terre et de la volonté humaine de construire, nous conduit à l’éblouissement final dans lequel tout se perd, un éblouissement dont la nature est moins lumineuse que rythmique.

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qui présentera une exposition de Fan Xi ainsi que d’une autre artiste chinoise, Jing WANG, à la Ville a des Arts fin avril, présente la seconde partie du texte que la jeune philosophe chinoise Mao Zhu a consacré à son travail, une interrogation entre autres choses sur la dimension potentiellement narrative des images. « Here, it’s apparent that Fan Xi began to avoid a narrative based on personal emotions, and shifts toward an expression that’s more abstract. »

Jae Wook Lee revient dans ce numéro avec deux articles passionnants consacrés à des expositions new-yorkaises.
« The Solomon R. Guggenheim Museum presents an ambitious group exhibition of contemporary Chinese art curated by Xiaoyu Weng and Hou Hanru. The curators seem not to present what contemporary Chinese art is, but to lay out what contemporary Chinese art can be : the exhibition is not an answer to “What is contemporary Chinese art ? ” but rather to pose the question “Where can contemporary Chinese art go ?" »

Le second texte porte sur une exposition de Min Oh qui a lieu à la galerie Doosan. Comme toujours avec Jae Wook Lee, les œuvres sont rapprochées des enjeux les plus contemporains dans les sciences, cognitives en particulier. Ainsi, « According to the recent scientific discoveries, the human brain is designed to seek patterns : we seek order, structure, and coherence. Our mind synthesizes the random array of sensual impressions of every waking moment into a conceptually unified and recognized order. »

Laetitia Bischoff, fidèle à son projet, met en relation œuvres et questionnements. « Certains artistes ouvrent le monde par ses pans. Ils en creusent d’autres, dans le nôtre. Un fabriquant de creux s’incarne notamment dans la figure de Lewis Carroll qui a fait tomber Alice aux pays des merveilles. Adrien Mondot, Guillaume Amat et Douglas Gordon, quant à eux, ne créent pas des sas vers de nouveaux mondes, mais bien des gouffres dans l’image et le temps. »

Germaniste, traducteur et surtout écrivain, Marc Petit nous fait le plaisir de nous proposer Reine de la nuit, une longue nouvelle dont nous publions aujourd’hui la première partie. On y retrouve l’ombre de Frenhofer et les contours des jeunes filles qu’affectionnait Balthus dans une histoire qui nous conduit au coeur du mystère de la création. Les œuvres qui accompagnent le texte sont de Bernadette Kelly.

Alain Coelho, quant à lui, poursuit son voyage en Allemagne en nous conduisant aujourd’hui à Erfurt. Au-delà de la visite qu’il fait à son fils et de la déambulation dans les rues des villes autour de Iena, « pour peu que le démon de l’analogie vive en nous, impétueux toujours et parfois trompeur, mais qu’on y projette et vive tous nos mythes, ce sont les formes et les pierres qui relient brusquement pour nous à Erfurt d’un seul rai de lumière l’ancienne Allemagne, les humanistes et les Grecs, le Moyen âge et la Renaissance, Erasme et Maître Eckhart, Augustin, les Stoïciens, ceux que l’on dira les Mystiques rhénans, dans un ensemble soudainement entrevu. »



Photo de couverture : Fan Xi - « Nothing »,(70*105cm,2013)

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