samedi 5 novembre 2016

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Rubans blancs sur tapis vert

Nicolas Sanhes

, Benoît Decron et Nicolas Sanhes

Benoît Decron, Conservateur en chef du musée Soulages de Rodez, Directeur des musées du Grand-Rodez, nous fait l’honneur d’accepter de publier un extrait d’un texte qu’il a consacré au sculpteur Nicolas Sanhes lors de son exposition à Rodez cet été. En ce moment Nicolas Sanhes expose dessins et sculptures à la galerie Pierre-Alain Challier.

En souvenir affectueux de François Morellet

Nicolas Sanhes a pénétré l’espace urbain avec d’ambitieuses commandes publiques. Il expose dans les espaces naturels, parcs et jardins, au cœur des villes. Avec l’ouvrage de Jean-Louis Poitevin paru en 2015 enfin, le sculpteur bénéficiait en fin d’un outil qui détaillant l’œuvre domaine après domaine en croisant la biographie – ses interrogations – et les réalisations matérielles [1]. Il parlait alors de géométrie incidente pour définir la sculpture de l’artiste. Dans cette dénomination se logent le goût de la construction – disons l’œil du géomètre – et le côté élégamment accidentel et joueur de la production. Esprit de Morellet, es-tu là ? Esprit de feu François Morellet, homme subtil et facétieux, qui nous indiquait dans un livre « Comment faire taire mes commentaires » : les doubles trames, les répartitions aléatoires de carrés, le tirets, et bien entendu les geometrees… Génie de la série, de la ligne qui se tire, hasard de bottins téléphoniques… Il y a belle lurette que la géométrie s’est emparé de l’espace.

N’en restons pas là. Poursuivons nos commentaires.

Je connais Nicolas Sanhes depuis bientôt sept années et peux mesurer la qualité de sa démarche. Très régulièrement, au fil des projets, j’ai vu se développer de grandes sculptures in situ qui sont d’étranges signes blancs posés sur le vert cru des prairies et des pelouses, des lignes contrariées d’angles qui rappellent des sinusoïdales fracturées. Des rubans de möbius hachés, comme des sections brisées. Le début et la fin se confondent dans ces conceptions de métal soudé : le début et la fin soigneusement intriqués donnent du reste une idée de l’éternité, de l’au-delà : l’ouroboros, le serpent primordial et ancestral, tel que pratiqué par le génial surréaliste Victor Brauner. C’est un tout fractalisé, du temps recyclé, en équilibre extrêmement subtil, solidement arrimé au sol, presque une structure à habiter.

L’histoire de la sculpture moderne est dans l’œuvre de Sanhes qui a compris les leçons à la fois de Calder pour les fils de fer de son Cirque, de Brancusi pour la recherche du ciel, de Gargallo et Picasso pour les lignes soulagées par les plans. L’école anglaise n’est jamais oubliée. Antony Caro en particulier. Mais l’œuvre de Sanhes a su trouver sa singularité. Tout dans cette production respire d’une part l’appel de la terre, des origines : en ce sens, au tournant du millénaire, ses premières sculptures ovoïdes, en cloche, sont des témoignages qui ramènent à des formes organiques, hors du temps. Il utilise alors le bois pour retrouver la chaleur des cabanes. Plus tard, ce sera le triomphe de l’IPN, fer brisé fer soudé, pour découper dans l’espace des volumes qui se cherchent entre les arêtes vives bordurant le vide. Le temps, c’est de l’espace et il suffit de voir les badauds où sont posés ces sculptures, rubans blancs sur tapis vert, pour voir comment ils sondent la profondeur et la perspective d’une pièce à l’autre : le jardin du foirail, génétiquement anglais, prend cet été l’apparence d’un jardin indien de type astronomique (le Yantra Mandir, le plus célèbre…) avec des instruments de mesure mystérieux. Le caractère physique de la conception et l’âpre mise en place des sculptures trouvent un épanouissement sur le sol. Echappant à son horizontalité, elles tiennent en équilibre, posées, légères malgré leur poids, sur quelques pointes, tirant vers le haut, grattant l’azur.

En 1920, Gabo et Pevsner rédigeaient le Manifeste réaliste qui allait donner naissance à de nombreuses sculptures. Il s’agissait de promouvoir un monde nouveau : « Sur les places et dans les rues, nous proclamons aujourd’hui notre Parole » [2]. Les sculptures d’Antoine Pevsner sont fort heureusement encore exposées dans les musées, avec une valeur d’exemplarité et de novation intacte : liaison à l’espace, transparence, enroulements, corporéité… Gabo et Pevsner affirment que « Le contour est l’élément des arts graphiques de l’illustration, de la décoration. Nous affirmons que la LIGNE n’est que la DIRECTION des forces statiques dans le corps et dans leurs rythmes ». Il suffit de tourner autour d’une sculpture de Sanhes pour éprouver la tension de ces lignes brisées, avec de forces étudiées par la réalisation préalable de modelo, des petites maquettes, par l’assistance d’un ordinateur. Plus loin « Il est impossible de mesurer l’espace avec des volumes, comme il est impossible de mesurer un liquide avec une aune. Regardez notre espace réel : qu’est-il sinon profondeur totale et uniquement cela ? ». La ligne est souveraine, mais le volume reste roi que le spectateur soupèse du regard dans les grandes carcasses métalliques de l’artiste aveyronnais. Avec des traversées, des projections dans l’espace. Car il s’agit bien d’ériger avec la légèreté, avec du vide.

L'exposition de Nicolas Sanhes "Une géométrie incidente" à découvrir à la galerie Pierre-Alain Challier Paris 3 from Nicolas Sanhes on Vimeo.

Notes

[1Jean-Louis Poitevin, Nicolas Sanhes. Une géométrie incidente, éditions Archibooks, Paris, 2015.

[2Le Manifeste réaliste de Naum Gabo et Antoine Pevsner est traduit par Jean-Claude Marcadé, dans le Catalogue raisonné de l’œuvre sculpté, 2002, pp. 21-25.

Nicolas Sanhes
Sculptures et œuvres sur papier
du 8 octobre au 19 novembre

GALERIE PIERRE-ALAIN CHALLIER
8, rue Debelleyme
75003 Paris
Tel : 33 (0) 1 49 96 63 00 – Fax : 33 (0) 1 49 96 63 01
galerie@pacea.fr