samedi 29 octobre 2022

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Propos en liberté

Extraits du nouveau livre d’Alexis Denuy qui paraît aux éditions Unicité

, Alexis Denuy

Et d’ailleurs, ces gens peuvent-ils nous comprendre ?

Préambule

Tout cassera, se brisera, ça tombera dans un grand bruit. Vu les passages qui sont faits dans la foule, entendu le battage, ils s’imaginent grands, sont-ils si puissants ? On est tous habillés pareil, on descend la rue c’est quelque chose, les gens sortent sur le pas des portes, on les a sortis de leurs coquilles et même s’ils sont très frileux, qu’il faudrait toujours les placer près du feu – là, ils s’intéressent un peu.

Il faut que ce soit comme on vient, ça passe ! On laisse passer un peu de lumière, entrez ! La dernière fois, je me suis dit, il faut que je trouve une bonne idée ! Mettez-vous en place, musiciens, cœurs dans les poitrines, battez la mesure, passez par-dessus tous les genres de peurs, c’est ce que je tente d’expliquer : le miracle d’instant en instant, une démarche de courage, l’exigence d’une vie, est-ce un groupe, un individu – une existence – est-ce agréable ? Demande quelqu’un, quelqu’une.

Parce qu’ils n’ont que leurs lois, bouts de papier derrière lesquels ils s’abritent, camouflage d’hommes sans fierté, je suis comme je suis, nous sommes comme nous sommes : pour le prodige ! Pour la politique de la liberté ! Leurs gouttes de salive étaient de l’acide qui trouaient nos cœurs trop tendres comme des buvards, ils ruinaient toutes nos qualités, tout est maintenant devenu insensible à la racine, tout est propre à l’intérieur mais tout est mort, donc à refaire. S’il vous plaît, demandes-tu, ramène-moi aux jours anciens !

Les jours anciens : Quoi, on nous a fait revenir ? Il y a un espace dites-vous ? Vous avez laissé passer du temps, on a attendu longtemps avant que vous nous disiez ça ne nous convient pas, il aura fallu que vous soyez énervés pour enfin en arriver là !

Passage

Les manifestations s’enchaînent, c’est un grand pas de plus pour le mouvement ! Vous êtes là comme tout le monde ? On m’a demandé. Est-ce qu’on est assez « comme tout le monde » ?

J’ai essayé de courir après les bêtes, de les mimer mais on n’est pas des plantes ! On se dessine dans un autre paysage, on se complète par un autre animal, on apporte tout à la lumière. Ce jour d’aujourd’hui nous sommes partis nous chercher dans un autre quartier, pas très loin mais déjà à la limite du nôtre, malgré toutes les traductions possibles, forcément il n’y a plus de traductions. Suivre une énigme, pouvoir tout se dire, on est seul au monde, qu’est-ce qu’on risque ? La crainte des moqueries a été chassée loin derrière depuis si longtemps, tu m’entends ? Je te parle comme je me parlerais, à l’intérieur et doucement. Tu comprends ? Moi je n’étais pas grand-chose et je continue cette aventure en glissant dans l’éternité.

Départ

Au cabaret du paradis

Bienvenue à ceux qui veulent nous écouter ! C’est un peu chez toi et vous y êtes tous les bienvenus, si vous n’êtes pas bégueules vous y trouverez votre compte et même au-delà, vous serez réveillés dans votre être profond ! Suivez la charade et donnez au chapeau ce qu’on mérite pour notre programme. Ça commente l’actualité, les choses simples qui en disent long, il y a toute une logique. Tu me poursuis, je te poursuis mais qui poursuit qui ? Dis-moi par quoi est-on poursuivi ? Je suis, tu es, nous sommes poursuivis par nos semblables, et notre ombre pousse le long des trottoirs comme un pendu silencieux, comme une bouteille renversée vers le ciel, agite tes fleurs, clown, le long des rires des enfants, palissades de vie. Hurler maintenant !

S’esclaffer à en mourir juste avant la fin tous ensemble, bourgeois, complices, pauvres, miteux, costaux, coquettes, animaux, vous ricanerez tous à vos dépens ! Mais entre, Ange, par un couloir dans l’histoire au fond du château de notre mémoire. L’histoire tourne autour des rangées du temps comme un chiffon qui frotte un marbre, une table impassible, éternellement lustrée comme une addition, recomptée continuellement, astiquée sans cesse jusqu’à ce qu’un enfant tombe dedans. Au cabaret du paradis, chez moi, ici, personne ne part tant qu’on n’a pas fait les comptes. Une addition suivie d’une multiplication, un flux qui tourne sans fin, un cycle Mais tourne autour des tables, magicien, pendant qu’on entre par ici, on peut observer le public qui montre ses dents et mord dans la chair de la vie.
Ne faire qu’un avec la vérité, tous constitués d’une seule chair, le monde entier doit se parler, se remplir, être rempli, se toucher, se comprendre, simplement en se regardant : le monde doit tourner d’un seul œil. Je déchire le rêve officiel qui est un cercueil de papier, venez voir la vérité s’exprimer par une seule bouche, voyez ce que je vois, passez par ce que j’ai vu, qu’on entende le son de ma voix, le son du berger qui commande au troupeau que ce livre soit un livre, que ce livre soit lu, qu’on l’entende.

Qu’il soit celui qu’on entende, qu’on puisse alors l’écouter, entendre tout d’une seule voix, que ce soit évident comme une cuillère tourne dans son pot. J’ai l’occasion de me présenter, ils ne vont pas réussir, et j’explique pourquoi, venez voir ce que je vois, nous vivons en un temps que personne ne connaît, où la voix du maître passe par celle de son valet, où chaque brebis se prend pour un berger, en ces temps que personne ne commande, le troupeau part en direction des falaises ; c’est la fin du temps du troupeau, tout sera éparpillé, les hommes partiront dans tous les coins, de la fin des temps jusqu’aux recommencements. En ce temps de la fin du troupeau, en ces temps derniers quelqu’un viendra, qui parlera, qui dira le dernier mot. Qui l’entendra ?

Nous avons tout en main, pourtant tout est connu, que faire de cette « philosophie » ? Tous les acteurs sont en place et les faits se sont déroulés. La pièce se remplit à ras bord jusqu’aux plafonds, pourtant nous savons tous. Et le monde se remplit comme un tiroir sans fin, sa doublure se retourne mais qui jouera le monde tel qu’il est ? Les faits sont déboussolés ! Dans un couloir rebondit entre deux ombres une question qui s’amplifie, va s’amplifiant jusqu’à sa chute, se ramifiant comme un ruissellement. Que va-t-on faire de notre monde, toute cette comédie ? Que tout finisse en tragédie ? Il y a pourtant des indices et il faudrait juste apprendre à lire ? On saura tout après-demain ? Acceptez que ce n’est pas si facile de participer à ces funérailles en portant le corps d’un régime qui veut qu’on s’enterre avec ! Rentrez par mes méandres, trompettes, flûtes, comédiens, suivez la sarabande jusqu’au cœur de mes intestins et de mes limites. J’ai l’instinct de cabaret, je suis le cirque, le rendez-vous, c’est ici que s’échange la gaité, les larmes, que le drame se change en joie, c’est ici qu’on accepte de changer, ici, dans ces coulisses, que nous nous changeons avant que ne tombe le solde de tout compte. Au cabaret du paradis, dit l’Ange, nous sommes tous des misérables si nous ne craignons que la justice des hommes.

Ouverture

Tiens, il y a du passage ce soir, les gens rentrent, on s’amuse, on rit, on renverse les tables, on danse et c’est très vite le matin ! Dans la fenêtre le ciel s’ouvre et le soleil monte comme un regard. Dehors, ils commencent à être plus nombreux, plus sévères que nous quand on était seul au monde mais eux, pensaient être le monde et on voit qu’ils se sont trompés. Durant la journée, je marche libre et heureux pendant que dans les bureaux les voilà prisonniers, pendant que les bourreaux deviennent leurs propres prisonniers. Chaque jour on assassine de nouveaux jours, il faudrait planter de nouveaux dieux, arroser, renaître par le feu. Vous bloquez l’entrée, non, ailleurs, si vous voulez bien vous approchez, vous verrez qu’il y a deux entrées ! Pour l’histoire, pour l’historien de l’avenir, qui voudra bien observer cette société bizarre, je vois que je suis en train de penser que j’avais tracé jadis le canevas d’une pièce de monnaie qui, s’étirant à l’infini, représenterait vu d’en haut le circuit des veines du monde, rose passé, rose moins clair, rose moins chair, parmi les ex-hommes de la civilisation, on ferme son dictionnaire, pas besoin d’aller ailleurs pour comprendre ce qu’il se passe, je repasse par la sortie à travers les vitraux on voit déjà le jour se lever, chaque jour on en assassine de nouveaux, et je me gueule : Renaissez !

Ce que je cherche en ouvrant la porte ? La beauté de nouveau ! Un pas vers le monde, deux vers un nouveau, allons-y et bon débarras du lit ! Bon débarras de tout le reste, sortons-en, allons-y en marchant, comme des animaux avec leur instinct, par le début et par la fin, commençons par un refrain. On change, on veut changer, crever tous les faux-plafonds du mensonge qui nous cachèrent la vérité avec un grand V.

On ne veut plus contourner l’objectif, ne rien occulter, ne pas s’empêcher de ressentir ou de penser. Au loin retombent les lois comme des seaux pleins et les dauphins des nuages passent à travers le ciel en sautant. On lève le camp ! Au loin s’élèvent les nuées, je sens protester des anges que nous avions oubliés, si ça ne te fatigue pas d’accomplir un effort pour monter, il y a mille marches à escalader ! Si l’œil fixe ceux qui, jadis, ont tenu tête aux mitraillettes, je fusille pour ma part du regard ceux qui, jadis, ont enfermé mes frères dans une cage.

Unité, tiens, plus de barrières, et parti tout seul quand j’ouvre la bouche, quand j’articule, quand je prononce au maximum. Depuis longtemps, à certains endroits comme tu peux le voir, on prend simplement le frais ou on attend l’hiver en espérant qu’il fasse toujours plus sombre. Depuis longtemps, c’est qu’on avait plus d’espoir, puis voilà, il tient dans les mains un ouvrage du destin, celui qui coupe le « débat » quand ça ne l’intéresse pas. Sourire aux êtres humains, passer trottoirs, viandes, hommes politiques. Traversant tous ces rejets de vies brisées qui étaient malgré tout parties d’une bonne intention, où tout est caché et tout se cache, quand tout s’enfuit. Quand tout était parti d’une bonne symétrie, quand pour moi la fin d’un monde, c’est le début d’un nouveau. (…)

Les usurpateurs

Il faut qu’on fasse semblant d’y croire. C’est amusant de voir ces petits cerveaux qui s’agitent avec leurs doigts pleins de lois mauvaises, je ne vais pas me fatiguer en explications sur des ombres qui demain n’existeront plus. Qui sont juste des meubles qui craquent. Ne t’inquiète pas disent-ils, tais-toi, tu auras, bientôt la parole. C’est vrai, eux, ils ne paraissent pas si réels, ils jouent des rôles, ils poussent les dés. Cependant, en ce qui me concerne, je comprends les maladies, les démences, la fortification de leur folie, je suis prêt à tout. La nuit me réveille, je n’aurai pas le temps d’arriver à l’ennui, je suis un objet de réaction, une chance pour les autres si on sait multiplier. Un bord naturel pris en tenaille des deux flancs. Le bleu, le blanc, quelque chose. L’univers sombre.

On peut y être resté des heures et ne pas avoir vu le temps passer, à travers tout ce que tu as toujours pu souhaiter, tu m’as fait signe un peu fatigué. Pourtant j’accepte. Je n’étais pas fixe dans un endroit, tout était hermétiquement clos mais je pense sauver la situation, il doit y avoir des contre-exemples, quelques-uns, qui méritent de croire. Qu’ils en soient remerciés.

Je suis à la recherche d’autres lieux. Je professe pour l’instant dans ta rue en bas, je progresse dans la diminution de mon ex-attachement aux biens matériels que nous avons pu voir dans toutes les vitrines de leurs magasins. Chez moi, j’aurai envie de protéger des lumières, des espaces, il y aura de la peinture fraîche ! Je te croise dans les ruines, je regarde tes murs et je pense, on est des gens qui sont ensemble, je veux réapprendre à rêver. Quand on est content d’avoir des yeux, dans le cadre, on tente d’arrêter des objets qui nous échappent. Ce qu’il y a entre un dessin et mon regard est très important. Il faudrait que je me mette à ça, parfois, j’y crois. C’est une drôle d’aventure.

Mr. le directeur

Ils forment un plan au-dessus de nos têtes, ils nous attrapent par les cheveux. On est trop chauds pour eux, peut-être, trop bruyants ? C’est pour ça qu’on prend l’affaire en main, pour que ça change ! L’autorité usurpée, cette petite chipie agressive, cette petite chiotte aboyeuse, a des volontés surprenantes, très exagérées, elle exige de nous qu’on disparaisse, alors, animal à quatre pattes, peuple, sors du cercle du clan du grand calme, maintenant, juste avant le grand bruit nerveux ! J’en ai fait des modèles, avant d’arriver au patron, tu montes ? Imaginez les peintures comme déjà réalisées, il faut vivre dans l’éternité ! En plus demain c’est dimanche, on s’en rappelle encore un petit peu, j’ai ma présence dans l’appartement, vivement qu’on avance vitement, je compte que ça s’éclaire, s’enchaîne, au mieux par rapport à un certain nombre de facteurs et que ça crée du développement. Là, je nous vois dans un couloir comme continuant : le concept c’est toi plus toi. Même arrivé d’où je suis, c’est simple, la loi a retrouvé son étoile, on a récupéré presque tout ce qu’on avait pu perdre, personne n’est plus à même de se rappeler l’origine de la chute, vous devriez venir voir.

Ici s’arrête

J’ai essayé tous les lits, il suffisait d’être curieux ! Tu donnes des coups dans les affaires, tu tires violemment les habits, déjà le printemps depuis hier, dès le réveil, ça pète ! Les femmes s’accouchent, les hommes se tendent, bienvenue sur toute la ligne ! J’ai fait un songe, de nouveau : redirection, marcher vers le bord opposé, chuchotement à l’oreille d’un enfant, photographie d’adieu en ces temps derniers, en ces temps de dangers, nous devons nous démultiplier, être à la fois prêtres et guerriers. Prière silencieuse : Il n’est pas étranger celui qui sait comprendre. Poésie française contre l’humanité de l’obéissance, nous avons essayé, abrégeons ! Il me souvient d’une parole donnée, elle était gravée au front d’un édifice. On attend autre chose, ce n’est pas rien, c’est beaucoup, nous aimerions nous débarrasser de certaines anciennes anomalies car cela ne finira peut-être jamais. Poésie française, j’ai peur. Et je dépasse ma peur. Pouvons-nous comprendre ces gens ? Pourrons-nous les comprendre un jour ?

Et d’ailleurs, ces gens peuvent-ils nous comprendre ? À tous selon son caractère ! La douleur menace de nous engloutir, mais nous rechargeons nos cœurs ! Rions en pensant à la mort, car elle viendra pour nous tous. Je sais évidemment que beaucoup se lèveront pour le peuple qu’ils aiment avant la fin. Est-ce le son que j’entends ? Et tu sais que l’heure approche ! Leur temps est compté, la souffrance bientôt va se libérer. Ce furent les jours, les années, du contrôle de la pensée, mais maintenant ne contrôle plus rien ! Il n’y a plus de temps pour les rêves vides des jours passés, le monde devient fou, nous devons survivre ! Nos vies sont faibles et démoralisées mais sois sans crainte, l’horloge tourne en notre faveur, le ciel sur la ville s’assombrit, laisse ma volonté, mon cœur, t’envahir, je t’en prie, mon cœur, donne-moi le pouvoir ! Il n’y a pas de liberté au bout de leur route, il n’y a de liberté que dans ta parole et si tu te mets de leur côté, tu combattras contre tes frères. Ils ne te donneront pas plus que la monnaie qu’on tend aux traîtres. Une pause. Le temps s’écroule, il a reculé. Leur cruauté est sans fin, ils sèmeront la peur, des champs de morts sont leur récolte, ils établissent leur royaume sur la terre. (…)

Dessin à l’encre de chine sur papier par Alexis Denuy ©2022
© Copyright éditions unicité / 4e trimestre 2022 / ISBN 978-2-37355-798-5