jeudi 1er décembre 2022

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Le village humain

Un ensemble de 6 textes et de 6 peintures d’Alexis Denuy

, Alexis Denuy

Ces textes et les dessins qui les accompagnent sont des mises en scènes, en mots et en images.

Quelques paroles comme introduction : Ce sont des mises en scènes, en mots et en images, qui nous apparaissent. On ne peut les situer ni géographiquement ni dans une époque précise, elles sont d’un univers en dehors du cadre quotidien de la vie. Cela donne la sensation d’une sorte d’Eden, un paradis perdu au milieu duquel vivrait une communauté dans l’harmonie avec ses propres codes et secrets.

C’est en réalité une critique de la société actuelle et des rapports humains. Lorsqu’on écoute attentivement, lorsqu’on observe ces mots et ces images, on y sent les traces de drames et de catastrophes. L’être humain bien qu’il soit en groupe n’est plus dans la symbiose, dans la communication mais sous l’emprise d’une solitude écrasante qui le condamne au silence, le jardin de l’Eden ressemble à une prison.

La question de la place de l’individu dans le groupe est posée, placée sous un angle critique, à tout le moins de questionnement. C’est l’impression globale d’une société sous influence, sous l’emprise d’une hypnose collective, empêchée de réaliser sa nature et d’œuvrer à son bien commun. C’est l’achèvement d’un espace-temps. On se retrouve en haut d’une falaise, au bord d’un monde en mutation.

Alexis Denuy — Descendance

Bien

De même que l’eau qui coule toujours au même endroit peut creuser un trou dans la pierre, continuer l’effort est nécessaire.

Souvent l’esprit et le corps sont paresseux et on s’arrête rapidement. Autrefois pour faire du feu, on frottait deux morceaux de bois. Si on s’arrête, jamais la flamme ne peut jaillir.

Pratiquez à même le corps. Quand se coucher, quand manger ? L’heure, le temps, sont importants.

Je vous ai expliqué, chacun inclut tous les autres. Nous ne sommes qu’un moment de l’éternité. L’infini est la vraie sagesse. Dans le monde, les existences sont mobiles. A la fin de la crise de l’être humain, sûrement certaines paroles seront nécessaires, certaines choses ne prennent pas fin mais le futur sera dangereux. Passé comme une ombre, votre temps précieux. Si vous faites le mal, même dans le plus grand palais jamais ne serez satisfait, recevoir un corps, être humain, est aussi chose difficile.

Ce n’est pas parce qu’on fait beaucoup de bruit qu’on en boit beaucoup - séparons-nous du problème de la vie.

Merci.

Alexis Denuy — Souterrains

Ce printemps

Chers tous,Voici cet épais buisson, glissons-nous au milieu, grâce au ciel c’est un beau chêne, j’espère qu’ils s’efforceront de trouver leur chemin, je me demande où ils sont maintenant, si le brouillard s’éclaircit ils pourront s’orienter, nous sommes morts de fatigue.

L’inquiétude nous avait saisi, il est arrivé quelque chose, allons chercher du secours, tu veux bien n’est-ce pas ? Viens - bien, ce brouillard est plus épais que jamais, regarde c’est la fin de la pluie, c’est facile de perdre le sens de l’orientation, après l’espace vide, on est froid, on est fatigué, on attend d’être motivé, jusqu’au jour !

En attendant, on peut toujours s’abriter dans une grotte, c’est tombé si brusquement, dit-on en se promenant. J’ai, on a cru qu’on, que j’avais rêvé tout à coup, on a couru dans cette direction !

On nous a frappé sur la tête, nos idées, nos positions, on s’en foutait, on n’était pas mort mais c’est comme si nous aurions dû, on devait fermer nos gueules pour écouter seulement la voix qui nous disait de fermer. On avait disparu à nos yeux - les chiens nous encadrant hurlaient jusqu’à ce qu’on les ai assommé.

On n’aurait pas pu rester chez nous en pensant - c’est ce qu’on aurait dû - on n’obéit pas, viens ici, on a mordu les mollets. Comme si on traînait un lourd passé, on s’en défait. On n’aurait pas dû penser ? Eh bien, on le fait.

On a saisi nos têtes par l’arrière, une voix criait « vous n’aurez pas le droit de parler, n’essayez pas ». Ils ont brandi le poing, agitant un épais rideau de brouillard. Furieux de ne rien pouvoir dire, furieux de ne rien comprendre, on s’est débattus.

Qui y a-t-il encore ? Que nous avez-vous fait ? On nous a frappé sur la tête, nous ne sommes pas morts, on bougera d’ici un moment, je vous le rendrais, vous n’êtes pas raisonnables.
Ils se débattent à coups de pieds, ce fut en vain.

Alexis Denuy — Le déluge

Demi - Drôle

J’aère un peu. Nous avons des tas d’animaux, nom d’un petit bonhomme on est tout content. On se sent aussi fort qu’un éléphant, on a le dos écorché, un bout de laisse au poignet, cornes et sabots. Il se passe quelque chose de si terrible, on court déjà vers l’après-midi. Les oiseaux chantent, le soleil brille comme un bouton d’or, jamais journée n’avait parue si facile, un jour comme un jour, porc et marcassin, demain matin sans faute, soyons de bons animaux.

On regarde par-dessus la clôture, comment allons-nous nous appeler ? J’aimerais tellement que l’on fasse un peu attention à moi - qui donc songe à regarder un petit chien ? On a dormi dans un bon lit, c’est une très jolie maison, on a goûté un peu de tout, venez avec moi et je vous montrerai.

Il plonge, il nage, il flotte, il est formidable ! Regardez, il a un bec de canard, quatre pattes de rhinocéros et il est sorti de l’œuf d’une poule.

Regardez tous les animaux qui volent, qui rampent et qui marchent nous les avons tous dans notre arche, faites les vœux que vous voulez.

On boit son lait au biberon, on s’intéresse aux animaux, c’est un livre d’histoire qui serait vivant. Des centaines de singes font toutes sortes de tours, ils ne sont pas méchants, ils veulent juste en avoir l’air. La girafe a sa tête perchée au bout d’un long cou, à travers l’étendue d’eau, nos habits noirs luisent au soleil. Les ours polaires ont l’air de boules de neige, ils dégringolent le long des rochers derrière leurs mères. Les tigres marchent de long en large, ils ont le pas léger comme des danseurs. Les lions sont doux, ils ont sommeil, on aimerait tant les caresser, nous savons qu’ils dorment fort et qu’ils font de bons rêves.

Est-ce que ça fait tort aux vœux si on les redit ? Bientôt on va fermer les grilles de fer, il va faire nuit comme dormir, on sort ! As-tu vu les monstres ? Oui, et ils m’ont souri.
On a lu sur une pancarte « interdit aux grandes personnes » alors tout tremblant, on y entre seul.

Après une grande journée de jeux, rien n’est plus agréable que d’aller se coucher. Au lit, c’est là que nous rêvons aux amusements que nous aurons demain. Quand les lumières s’éteignent dans la petite maison rose, nous savons que nous aurons encore de hauts jours de chasses solitaires pour toutes les saisons à venir. A l’opposé, restent des terres qui projettent nos ombres et recentrent nos pas. Menés dans le pas des arbres, nous sommes dans le temple de la forêt au pied des grands sages. Pendant la longue nuit, tout le long des arbres, on fait une chevauchée.

Alexis Denuy — La ville

Jour vermeil

C’est de la peur, c’est du respect, c’est de la superstition ! Qu’en sais-tu ?

Que dis-je, c’est le diable ou les saints - êtes-vous sourds à la voix de l’honneur ? On a besoin de votre nom. Vous êtes peut-être morts, que dis-je “vous”, n’êtes peut-être pas nés ?

Et ça s’est terminé.

Pas encore ! Donnez-moi des livres, beaucoup de livres françaises, plutôt des livres en langue française, tous ceux où on en parle - de quoi ? De la résurrection des temps.

Me revoici à la maison, on a donné des nouvelles, ami, tu peux, toi aussi, braver ta condition ! On fait une balle - on se plie, on rebondit, tour à tour comme un ressort.

On écoute le beau combat consigné dans les pages des anciens écrits, entre nos dents on se dit, si j’avais été là - l’invasion, le drapeau blanc, les dieux de la cavalerie, les fantassins, les partisans, les régiments, les hommes de passion jetés dans des excès de rage, manger, être mangé, changer d’héritier, de royaume, éventrer la vie, combattre la mort…rideau tombé sur les théâtres ! Parce que le drame est mort ?

C’est bien, montrez-moi la carte du pays ! Et on feuillette un atlas, des résumés, on regarde les couronnes des rois, les blés d’or des campagnes, épis de feu, le sang couler entre les flammes, les lignes de foules hébétées d’arriérés, une dague plongée dans un thorax, la gorge nouée on mord la chair, pardonne-moi de t’avoir insulté, c’est ce qu’ils ont dit le dos au mur après avoir donné toute leur bile, quand on les a rossés, nos « sauveurs », ces « bienfaiteurs » mystérieux. Ils avaient profité de notre sommeil pour renier nos frontières mentales, les temples de nos sentiments qui ont leurs autels dans nos âmes, nos bras leurs ont appartenu, ils nous ont toujours trouvé pour verser notre sang - moins une goutte - qu’on a gardée précieusement.

Des chocs terribles et répétés frappaient de tous côtés sur l’esprit, on est fier d’avoir ceci, on ne sait pas se briser, comme un sabre bien lustré et effilé et s’arrêter de vivre en tremblant. Il y a-t-il encore une éternité ? C’est ce que je me suis décidé à aller vérifier.

Alexis Denuy — Les camarades

L’arbre viril

Soit un homme fort, utilise toutes tes énergies, développe ton intelligence en vivant. Renonce à croire que le bien est le mal, renonce aux jugements mesquins, à cette classification ridicule de tes élans en qualités ou en défauts, ranime tout de ton souffle. Les seuls hommes vraiment dangereux sont les sots, c’est par eux que se transmet la souffrance, ils nous imposent leur imperfection qui ne veut rien tenter. Et souvent ils prétendent interdire le succès qui leur a échappé.

La liberté individuelle ? Sans conditions. Il n’y a pas à en débattre, je sais à quel prix certains tentent de conserver intacte l’illusion. Mais comment nier nos chaînes ? Et pas question de renoncer à notre rêve d’indépendance. Certains ne veulent plus croire à la possibilité d’une autonomie complète mais leurs raisonnements alambiqués ne vont pas réussir à nous convaincre. Je sais à quel prix certains vendent leur singularité, ils l’estiment si peu, se pensant sans valeur aucune

La solution est si près de nous ! Un homme m’a dit un jour il ne faudra pas se mettre en colère si c’est un peu doucement dans un premier temps ! Mais pourquoi traîner encore ce fardeau ? dans sa tragique simplicité ? Tendre la main, faire un geste, nous ne comprenons pas, personne n’a pu encore trouver le remède, dans quel sens ? La colère est montée en l’homme, a-t-il ajouté, le torrent des souffrances humaines gronde, peux-tu me dire pourquoi le mal ? L’injure faite à la justice, peux-tu comprendre un dieu froid, lointain, présentant son hideux spectacle déchaîné, laissant ses créatures dans le noir, dans la neige et sans couverture, isolées d’une fête où elles ne sont pas invitées, il y a un besoin forcené de bonheur, des aspirations illimitées, de l’affection, de la passion, de l’amitié, de la tendresse, de la douceur, donnez-moi une raison de vivre, rendez à mon âme le calme ! Connais-tu le secret de l’intelligence du sage ? Dites-moi les mots définitifs ! L’indispensable patience ? Apaiser la température, arrêter le geste, quelquefois un mot suffit ! … Mais je retourne au salon où le café est déjà servi !

L’arbre était vigoureux, il vivait pleinement, en toute puissance. Que le fleuve de l’inspiration nous anime, le chuchotement des nuages et la respiration des vagues- faiblement d’abord puis plus intensément, rejeter l’état de mort ! La vie se révèle en nous, pourquoi pisser plus avant l’étude des théories, l’existence se suffit à elle-même, il faut la découvrir avec joie. Au fin fond d’un beau jardin on ne reçoit que des bons amis, il était une fois tous les regards qui ressemblent à des sourires, tous les mouvements à des caresses, c’est pourquoi j’en parle au passé. Le cerveau bien meublé, tous les choix sont ainsi faits, groupés au milieu des malles, je suis une réunion importante comme je suis innocent. On se réveille pendant que d’autres dorment, viens vers moi plus près encore une fois, ma tristesse sera partie, je te remplirais d’amour dans ton contenu, mon cœur.

Alexis Denuy — L’accueil

Moins une

T’as vu le petit coup d’œil ? On s’engage, quel retour triomphal ce sera, quelle clameur et quels bravos éclateront de toutes parts lorsqu’on revient au village. Laissons passer les saisons nous disent les gens bornés, mais nous sommes sans limites, on est allé où on voulait, on a fait ce qui nous plaisait, on est sorti par la fenêtre, on a défoncé les portes, on s’est mis à réfléchir profondément, et alors ? On s’est mis des chapeaux de paille, on s’est cru en été, quand on fût tout à fait prêt, on est sorti de l’enclos.

Est-ce qu’on n’a rien oublié ? Et on disparut de nouveau, maintenant ça va mieux, on a suffisamment d’essence dans le réservoir, on a de l’eau, de la paille, des sucres, mettez le contact. Et on commença à tourner la manivelle, a-t-on une liste ? Et on fouille dans toutes nos poches.

Est-ce que ça vaut mieux que de marcher ? On a fait oui de la tête. Nous voici à la foire, on a fait le tour des étalages, pris tout ce qui nous passait par la tête, deux grands paniers pleins de bonnes choses.

La vie on dirait qu’elle est à l’intérieur mais en fait elle est dessinée dessus. Oh ma chère, j’ai encore très faim. On entend sonner la dernière église, ma parole il faut se dépêcher, et aussitôt dit aussitôt fait, ne sommes-nous pas les plus intelligent du pays ?

J’allais dire du monde entier.

Frontispice : Alexis Denuy — La cérémonie