mercredi 1er mars 2023

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La prison

Patrick Dekeyser

, Jean-Louis Poitevin et Patrick Dekeyser

Patrick Dekeyser poursuit son décryptage de notre psyché qui semble être devenue notre prison.

Sans l’ombre d’un doute, il aurait sans doute pu y avoir autre chose. Et pourtant, non ! Comment alors pouvoir affirmer qu’il aurait pu y avoir autre chose, que cela ait pu se passer autrement ? Oui, comment faire pour le savoir ? Cela voudrait dire qu’il aurait pu y avoir non pas un seul labyrinthe mais plusieurs ? Ou que l’autre manière de voyager aurait même pu être autre chose qu’errer dans un labyrinthe ?

À l’évidence, on bute ici sur le mur qu’une certaine logique impose à qui s’empresse de tenter de dire une chose et son contraire. Ce qui pourtant est le plus douloureux est de se demander d’où peut venir l’idée que le labyrinthe pourrait être différent voire même ne serait pas un labyrinthe ? À moins que cela ne sorte que de déductions platement obéissantes à la logique de la logique. On suppose qu’il pourrait y avoir autre chose puisqu’il y a quelque chose. Tout simplement. Autre chose que la logique de la logique de la logique qui constitue le labyrinthe ?

Et si la réponse était : non !

Mais non à quoi ? Au fait qu’il n’y aurait qu’une "chose" "en nous" qui pense et pas deux, ou plus ? Ou au fait qu’il ne peut pas y en avoir deux, ou plus, et que l’hypothèse du deux, source du plus, est en soi impossible parce qu’impensable ? Et pourtant elle existe ! Du moins on affecte de le penser et de le croire !
Alors qu’en fait, c’est non ! Il n’y a pas d’autre labyrinthe que "le" labyrinthe. Et ce labyrinthe, il est "facile" de le montrer puisque c’est ainsi qu’ "il" se montre, est la seule et unique dimension de la pensée, celle dans laquelle ce qui s’appelle pensée peut circuler apparemment sans fin.

Est-ce que nous l’avons inventé ou est-ce lui qui nous a inventé pour peupler sa si abstraite solitude ? Ce que l’on peut prétendre savoir, c’est qu’il serait là de toute éternité à attendre qu’un peu de vent produit par le brouhaha des sons qui se trouvent, pour certains, être des mots, et qui ne sont de toute façon rien d’autre que le bruit de la respiration de ceux qui errent en vain dans la prison de leur crâne, autant dire de leur vie, autant ajouter de toute vie et pire encore, dans la prison qu’est toute vie, vienne animer son obscurité native.

Rauques ou gras, lascifs ou proches du murmure, ces souffles enflent jusqu’à devenir des sons dont la fonction unique est de décrire ce qui "est" : le labyrinthe, autrement dit la forme pure de l’espace de la pensée, cette prison intégrale dont aucune sortie n’est possible. Et au sujet de laquelle il n’est pas possible de demander comment on y est entré. On croit exister, on croit qu’on est seul. Et, en effet, on existe et on est seul, absolument seul.

Parfois, peut-être, ici ou là, bruisse un autre vent qui semble parler une langue inconnue, une autre langue qui sait, et qui éveille... mais quoi ? Peut-être le souvenir " de l’inflexion des voix chères qui se sont tues" ! Celles qui ont échappé à la prison ? Ah non ! Il n’y a qu’une prison, celle dans laquelle je suis seul ! Le reste n’est que conjecture et de telles conjectures fatiguent trop l’esprit pour qu’on s’y adonne plus que quelques millisecondes par siècle ! Voilà, c’était maintenant ! C’est déjà passé ! C’est déjà fini !