mercredi 1er mars 2023

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Interstices, traces et fantômes

Note sur quelques images de Jan Kricke et Jean-Guy Lathuilière

, Jan Kricke , Jean-Guy Lathuilière et Jean-Louis Poitevin

C’est sans doute par une respiration un instant suspendue que se module le rythme de l’insécable prolifération des choses vues.

Car rien n’empêche le vent de souffler dans les arbres et le souffle de refluer entre les branches, le ciel de se couvrir de nuages et la lune de couler vers son quotidien anéantissement.

Pourtant rien ne permet d’affirmer que cela a lieu, pas plus que rien ne permet de trancher et de dire que rien n’a eu lieu. Encore faudrait-il savoir de quoi l’on parle ? C’est dans cet interstice que les images de Jan Kricke et Jean-Guy Lathuilière se glissent et insèrent leur transparence fantomale qui inquiète jusqu’au silence quand il s’étiole entre deux inspirations. De cela on peut être aussi certain que l’est un rêve d’avoir été rêvé. Entendons, juste avant que le réveil ne sonne la charge.

Après, il en va comme pour les souvenirs dans la chambre d’écho des vibrations du désir, on les reconnaît aux tremblements qui persistent dans le nerf optique entre œil et neurones et qui déclenchent les prises de vue. Ce qui alors se perfectionne dans cette hésitation involontaire entre un toujours trop tôt tentant d’accaparer les semailles d’une angoisse infantile et solaire et un toujours trop tard creusant le ciel jusqu’à la déchirure, celle par quoi la lumière vibre, mourante et renaissante, c’est le grand théâtre du monde renouant avec ses origines, celles d’avant l’histoire, celles que précisément il ne cesse d’oublier pour pouvoir continuer d’exister.

© Jan Kricke, Endless Homecoming #19

Chez Jan Kricke, la griffure est première, entendons qu’elle signe de sa trace les champs de la déploration d’un bonheur qui se fuit. Bien sûr, elle se cherche dans des plages de lumière pâle et espère n’avoir pas à paraître sur le devant de la scène. Mais elle ne peut s’abolir totalement et, fente dans la nuit d’une demeure ou ligne d’horizon, sente reliant deux voyages dans la mémoire des sols ou chemin s’inventant sur les vagues, elle insiste et persiste jusqu’à ce que la nuit et le jour ne puissent plus être distingués. La puissance de la raison s’étiole et la vision déclenche en l’être tout entier le tempo d’un nouveau respir.

Jean-Guy Lathuilière — From the unfull moon series

Chez Jean-Guy Lathuilière, la lune exaspère le ciel de son œil sans paupières, à moins qu’elles ne soient, ces paupières, égales à l’infini du ciel. Sous son regard aveugle tout redevient théâtre et la cavalcade des nuages absorbe jusqu’à la définition de ce qui pourrait être considéré comme durable. La nuit de cette lune pleine transforme le théâtre du monde en un décor que pourraient envahir des incantations baroques, et les éclats jaunis des lampadaires et des fenêtres de l’attente trahissent l’ivresse qui fait tanguer les corps absents jusqu’à les dissoudre, fantômes enfin devenus, dans la nuit, abandonnant à d’autres l’espoir de les rêver.

Jean-Guy Lathuilière — From the unfull moon series
Jean-Guy Lathuilière — From the de nebulis series
Jean-Guy Lathuilière — From the unfull moon series
Jean-Guy Lathuilière — From the apertura candida 4 series palladium print
© Jan Kricke, Endless Homecoming #43
© Jan Kricke, Endless Homecoming #45
© Jan Kricke, Endless Homecoming #94

Frontispice : From the nebulis series