mercredi 30 septembre 2020

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Est-ce qu’une image peut guérir ? 

, Christian Globensky

J’ai depuis plusieurs années une pratique de l’image prise au smartphone dans les stations du métro parisien.

Dans ces lieux de passage, de transit, je tente de saisir sur le vif, le détail qui révèle que l’image est une construction du regard. De ce rapport à l’image et dans cette construction du regard, c’est notre être-au-monde qui est affecté, déstabilisé et éprouvé. 

Et c’est ainsi que les affiches de métro offrent un large registre de représentations où un vocabulaire presqu’extensible à l’infini s’élabore sous mon objectif, mais le sens usuel, lui, disjoncte rapidement dans cet univers en apparence lisse, telle une défaillance pointée par le système même de production des ces images, et révèle une syntaxe de faux raccords, de dérapages, de décalage comme autant de glissements de sens vers une somatisation post-traumatique imminente. Et il en va de même pour les hirondelles de coupe qui apparaissent comme autant des cibles muettes, repères cartographiques d’une typologie discrète mais envahissante, criblée d’instants en suspens. 

Répondant à l’invitation de ma galerie parisienne, la Galerie Stéphane Mortier — qui était à cette époque itinérante — de créer un affichage hors les murs, j’ai conçu cette série de Duo-recto-verso, qui a été présenté pour la première fois à galerie Modulab, à Metz — voir le visuel ci-dessus. Affiches recto-verso donc, conçues pour être présentées au mur et déposées au sol, à disposition des visiteurs, ou encore, reproduites au format des affiches de métro, 4x3m. L’enjeu de cette démarche en est un de résilience, à partir de qui construit une image et notre identité, l’image de notre corps dans le monde, avec ces failles, ces traumatismes, sa résilience. 

Cet exercice de soi, cette construction du regard sur un point précis de l’image où l’on tente de revivre l’instant précédant l’inévitable, ce traumatique « c’est arrivé », est en réalité une extension du domaine de l’esthétique du désir, où se trame en une succession d’impressions toujours repoussées un peu plus loin, jusqu’à la reconstruction de soi. D’où cette question initiatique : Est-ce que l’image peut guérir ? Et plus largement, est-ce qu’une pratique artistique peut avoir des vertus curatives ?

Certes, certaines maladies sont moins nocives que d’autres, mais on risque peu de tromper en affirmant que la vertu de l’art est de tendre sans cesse vers une nouvelle santé.

Enfin, et pour conclure, une nouvelle rédigée, il y quelque temps sur cette série d’images — et dont j’ai simplement changé un mot « canicule » pour « confinement » ...

« Il n’y a pas de trame narrative. Du moins pas à l’échelle de leurs existences. Les images se suivent et dessinent des ellipses extensibles à l’infini. Ces moments, d’une rare intensité, sont de loin ceux qu’ils préfèrent. Comme s’entendre dire des confessions informulées à la limite d’un désir toujours repoussé un peu plus loin. Pourtant, dans cet enchevêtrement d’images survivent des destins entremêlés, une impression de déjà-vu, que le simple hasard nimbe d’un voile d’oubli, parfois salvateur, parfois machiavélique. Où en sont-ils ? Avant ou après la catastrophe ? L’image d’une catastrophe philosophiquement consumée mille et une fois qui pourtant, nous interpellent encore et toujours sur nos bouleversements contemporains.

—  Feignons-nous l’appréhension de la catastrophe ou oublions-nous tout simplement qu’elle a déjà eu lieu ?
—  Reproduite à l’infini… comme la photographie qui répète mécaniquement ce qui ne pourra jamais se répéter existentiellement.
—  Tu penses à Barthes ? Le
 punctum d’un événement, d’une photo qui, au hasard, pointe, blesse, meurtrit…
—  Je n’ai pas dormi cette nuit, ce confinement va nous tuer, lentement mais sûrement… (silence).
—  N’y a-t-il pas dans l’accumulation de ces catastrophes en chaîne la possibilité d’une extension du désir ?
—  Un « en deçà » du « ça été »… hum… ça me plaît.
—  Ou encore : la chute n’est-elle pas ce mouvement sublimé par lequel se met en jeu le ressort dynamique propre à tout désir esthétique ?
—  On ne mourra donc jamais… Tu sais qu’une hirondelle pouvait parcourir 10 000 kilomètres avec seulement quelques grammes de graisse comme carburant ?
—  C’est tout simplement magique
 darling …