dimanche 31 octobre 2021

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Des cristaux et des masques

Sur la photographie cristalline et fabulatoire de Marc Lathuillière 

, Fares Chalabi et Marc Lathuillière

« Décrire c’est observer des mutations » et les mutations que Lathuillière décrit sont celles du devenir digital et global de notre monde.

L’image dans les choses

Le vigneron – Seppi Landmann, grand cru Zinnkoepflé, Soultzmatt (Haut-Rhin)
Tirage lambda 70x100 cm, série Musée national (2004-2020), courtesy Galerie Binome

« Décrire c’est observer des mutations » [1], et les mutations que Lathuillière décrit sont celles du devenir digital et global de notre monde. Ce monde en mutation repose sur une fracture centrale, la fracture Nord-Sud, où du centre et de la périphérie du capitalisme [2]. Le rapport entre le centre et la périphérie est dialectique dans la mesure où la réalisation du capital requiert la création d’un marché sous développé à la périphérie, c’est-à-dire un dehors [3]. Avec la logique corporatiste qui ne correspond plus aux frontières nationales, ce dehors s’est multiplié dans les pays développés, créant des poches de pauvretés et d’exclus, un tiers-monde dans le centre lui-même [4]. La causalité économique de l’échange inégal qui caractérise le capitalisme s’accompagne d’une décodification généralisée : décodification de la propriété despotique par la constitution de la propriété privée, décodification des corps de métier par l’apparition du travail abstrait et des travailleurs interchangeables, décodification des croyances, des traditions et des valeurs [5]. La décodification se caractérise par la quantification, et la quantification sociale par la monétisation : monétisation des marchandises, des services, de la culture [6], etc. Avec le capitalisme de surveillance la décodification et la monétisation s’intensifient et envahissent des sphères tenues jusque-là en dehors de la circulation – monétisation des rapports sociaux avec Facebook, de la masturbation avec Chaturbate, de l’information personnelle avec Google, des rapports parents enfants avec les poupées intelligentes Mattel, ou des émotions avec Realeyes [7], etc. Si la décodification a une dimension libératrice et schizoïde – libération des traditions, des codes sociaux, des coutumes, des cadres de pensée, etc. – il reste que le capitalisme reterritorialise la décodification et la libération des flux sur la propriété privée : la liberté pour le profit [8]. Ce double mouvement économique se redouble d’une décodification et recodification aux niveaux des codes eux-mêmes. Au fond le cynisme du capital c’est de toujours reproduire des codes artificiels en place des codes qu’il a détruit : joueurs de boule, anciens combattants, réserves d’Indiens, bandes de quartiers, régionalisme, nationalisme, fascisme, parti socialiste, patrimoine bourgeois, etc [9]. Ces codes sont artificiels dans la mesure où la production sociale ne passe plus par une interception de code – comme, par exemple, le potlatch qui donnait un statut permettant un privilège économique dans les sociétés primitives [10] – mais par les alliances et les mouvements des capitaux. De plus, la reproduction sociale ne repose plus sur la reproduction familiale, qu’elle soit tribale, impériale, ou patriarcale, mais sur la reproduction du capital lui-même. En cela un individu n’acquiert plus son rôle social grâce à son appartenance familiale, nationale ou autre, mais bien en tant que personnification d’un des flux du capital : soit il personnifiera le flux de l’argent, devenant par là un capitaliste, soit le flux du travail abstrait, devenant par là un ouvrier. L’humain n’est plus en cela qu’un matériau, un support pour les images de premiers ordres que sont les images du luxe-capitaliste et de la misère-ouvrière. Ces images de premier ordre sont relayées par des images de second ordre, où des images d’images : le père, la mère, l’enfant, mais aussi le Français, le Vigneron, l’Arabe, l’Indien, le Menuisier, etc. Dans le contexte de la décodification généralisée et de l’interchangeabilité des individus, les rôles sociaux et les rôles familiaux ne sont plus en cela que des images de second ordre, des images sur lesquelles s’appliquent les images de premier ordre : le père-capitaliste ou le père-ouvrier [11], le Français-capitaliste ou le Français-gauchiste, etc. [12] Au fond, l’anecdote de ce village où la mairie payait des retraités pour qu’ils jouent à la pétanque à des horaires adaptés aux visites touristiques, n’est qu’une concentration en une historiette de cette dynamique de l’image et du capital : si les retraités étaient maintenant payés pour jouer leurs propres rôle c’est bien parce qu’ils le jouaient déjà, la déshumanisation étant déjà à l’œuvre et non une conséquence de cette transaction [13]. Ce qui interpelle dans cette anecdote c’est la possibilité même de pouvoir jouer son propre rôle, la condition de possibilité d’un tel jeu étant le fait que le fond, où l’être de ces personnalités sociales, n’est que le flux abstrait et sans visage du capital, contre lequel tout rôle ou tout visage n’est qu’une image, un masque. Et si quelqu’un en venait à « lacérer ce masque indifférencié du marché », il découvrira ce qui est encore pire « l’homme sans visage » [14].

La partie de pétanque
Théodore Dallari, président, club Chez Théo, Marseille (Bouches-du-Rhône) Tirage lambda 70x100 cm, série Musée national (2004-2020), courtesy Galerie Binome

C’est dans ce sens qu’il nous faut voir que, pour reprendre l’expression bergsonienne, « si photographie il y a [elle] est déjà prise, déjà tirée, dans l’intérieur même des choses » [15]. L’image flotte ainsi sur les fluctuations de plus en plus accélérées de la techno-économie. En cela l’image peut se présenter comme un refuge [16] contre ces processus d’indifférenciation ou devenir un support pour renforcer ces mêmes processus. Comme le note Lathuillière, c’est dans ce sens que la mémoire elle-même devient une réaction, non plus le travail patient et lent d’une collectivité en devenir, mais une crispation face à la décodification du monde : « Au fond, si les Français investissent de mémoire le moindre muret, c’est bien qu’aujourd’hui tout se ruine et s’écroule plus vite. » [17] La « muséification du monde » [18] serait ainsi la conséquence la plus visible d’une telle réaction, une manière de se recroqueviller sur son terroir [19], de faire territoire, même au prix de la réduction de ce territoire à une série de cartes postales [20]. La discontinuité des paysages et leurs différences bien typées, nationales et régionales, ne seraient ainsi que le symptôme de la continuité capitaliste globale [21]. « Ce processus de muséification, sorte de transformation du réel en patrimoine » [22] serait donc une réaction contre l’indifférenciation du marché, mais cette réaction tourne bien vite en un point d’application pour de nouvelles transactions, le patrimoine devenant lui-même marchandise touristique, appellation contrôlée, ou atout commercial [23]. On peut même dire que les prérogatives économiques et publicitaires finissent par modeler l’image de la tradition et de l’authenticité [24]. Mais derrière ce jeu de masques et de rôles, se creuse quelque chose de plus inquiétant [25], la crispation se tournant en violence et le jeu de rôle finissant par « figer notre identité dans des archétypes ouvrant la voie à la xénophobie » [26]. Telle serait la situation impossible dans laquelle sont capturés les citoyens du Nord : soit ils jouent des rôles identitaires et sociaux auxquels plus personnes ne croit, soit ils se rigidifient dans des fascismes pour avoir une identité à tout prix, soit, et ce serait peut-être là le plus inquiétant, ils plongent dans l’indifférencié et s’identifient aux flux capitalistes, tirant leur différence et leurs identités des multinationales qui les exploitent [27], devenant par-là l’homme sans visage.

Star #74
Série Studio Tang Daw, support et format variable, 2016

Il reste que cette situation qui sature le centre du capital se réfléchit dans une impossibilité complémentaire et inverse à la périphérie du capital. Si le Sud n’est pas lui-même le moteur de la mutation techno-capitaliste il doit par contre en être le récepteur, faire sienne la modernité et la technologie, et par suite vivre une mutation et une décodification de ses propres traditions comme lui venant du dehors. En cela, même si le mode de production n’est pas le même au Nord et au Sud – pays développés, industrialisés et pleinement dans l’ère digitale, contre des pays à économie agraire ou de service, sous-développés et partiellement digitalisés –, il reste que les rapports de production, la forme de l’exploitation, est la même que ce soit au centre ou à la périphérie. Si le Nord est libre et démocratique alors que le Sud est aux prises avec des régimes totalitaires et oppressifs il n’y a là non pas une opposition mais bien une complémentarité [28], les intérêts du Nord ne pouvant se réaliser dans le Sud que par des alliances avec des castes, familles, ou groupes privilégiés. Ces alliances entre les grandes démocraties et les tyrannies rendent possible l’exploitation capitaliste, et en cela « les pays sous-développés, ne constituent pas un monde à part, mais une pièce essentielle de la machine capitaliste mondiale. » [29] A cette logique du capitalisme polymorphe de la périphérie répond une autre sorte d’images, le stéréotype qui se décline en deux figures principales, le sauvage et le colonisé. Comme le montre Bhabha, le stéréotype sert à réduire les individus des pays colonisés à une série de traits visibles et reconnaissables. Le stéréotype permet ainsi de voir le différent, ce qui est vu pour la première fois, comme une chose bien familière, et par suite comme toujours étant un déjà vu pour une seconde fois. Ce besoin de familiarité vient d’une crainte face à l’inconnu, une crainte qui reste néanmoins mélangée à de l’attrayant [30]. Cette simplification de l’autre sous le stéréotype permet ainsi de réconforter l’homme du Nord en lui ouvrant un monde familier, mais de plus il permet de justifier les interventions coloniales et impériales par la rhétorique du bien et du mal – sauver les femmes des fondamentalistes, les innocents des tyrans, la société civile des miliciens, etc. [31] Le colonisé est ainsi toujours pris dans une dualité, étrange familiarité, qui oscille entre le bon-colonisé-civilisé et le mauvais-colonisé-barbare [32]. Le stéréotype gomme ainsi toute complexité politique et historique pour asseoir l’hégémonie du Nord, il produit une fiction, une image stéréotypée du Sud, à force de couvertures médiatiques, de photojournalisme, de diffusion en direct et de grande production cinématographique. Si par contre l’ethnologie se targue de véracité, d’authenticité dans l’étude des us et coutumes des sauvages, il reste qu’elle a contribué, malgré elle, au stéréotype du sauvage. Ce stéréotype est celui du bon-sauvage, un sauvage exempt de dualité, monolithique, ancré dans une tradition, image d’un paradis perdu. Si le colonisé doit se conformer aux diktats et aux valeurs en cours de la communauté internationale sous peine d’en être exclut [33], le sauvage, lui, doit se conformer à son propre être, il doit rester figé dans le temps, sous peine d’échoir à son rôle de gardien d’un monde perdu.

La falsification du monde

Hôtel de Toyland
Exposition performée, projet Toyland, Galerie Georges Bessières, Noirmoutier, 2008

Le capitalisme mondial produit ainsi des images à mêmes les choses. Une certaine photographie va tirer ces images et en cela contribuer au statu quo. Cette photographie est celle dont Lathuillière fait la critique et elle se décline dans les grands genres que sont le photojournalisme, la photographie documentaire contemporaine, la photographie ethnique, et la photographie formaliste. Comme le souligne Lathuillière, le photojournalisme ne fait que renforcer les clichés identitaires, ceux du Nord aussi bien que ceux du Sud, et en cela elles contribuent à la « grande falsification du monde » [34], voire à la réification des stéréotypes nationaux et racistes [35]. La photographie documentaire contemporaine se targue par contre de véracité, elle sera objective et neutre. Mais là aussi Lathuillière diagnostique une fixité, voir un glissement vers un regard administratif porté sur le monde, comme dans la photographie des banlieues désertes d’un Depardon [36]. La photographie ethnique aussi souffre de ce genre de fixité, au nom d’une soi-disant véracité, mais cette fois le vrai lui-même se paye d’une falsification dans la mesure où elle a « tendance à représenter ces peuples ‘exotiques’ comme s’ils étaient cloués dans un passé indéfini » [37]. Si le photojournalisme, la photographie documentaire, et la photographie ethnique traitent les images générées par le flux décodé du capital, on peut dire que le photoformalisme sera une tentative de faire une photographie qui sera elle-même décodée, une photographie qui ne porte sur rien, une photographie consistant en une pure variation de forme et de couleur, une photographie film-surface [38]. Le problème avec cette photographie est alors, justement, de ne porter sur rien, de rester cloîtré dans la chambre noire et par cela ne plus atteindre le monde alors qu’elle prétend exprimer le réel. Ni le photojournalisme qui capture l’évidence du monde, ni l’objectivité neutre du documentariste, ni les archétypes ethniques et encore moins le réalisme formel, n’arrivent donc à atteindre le vrai, ou ce qui est.

Studio performatif
Vernissage de Auvergne revue, Le Collombier, Cunlhat, 2008 © Yoann Loubier

Au fond ces différentes pratiques ont toutes en commun l’acte de figer le monde, et en cela elles falsifient le monde, le monde étant pour Lathuillière essentiellement un monde en devenir et en mutation. Or, pour pouvoir capturer ce monde en mutation il faut développer d’abord une attitude envers le monde, une position, devenir soi-même mutant, homme hybride ou homme frontière, pour pouvoir en décrire les mutations [39]. Ne pas faire territoire est en cela une éthique, une manière d’habiter le monde et de développer des habitus, figure du photographe dansant sur la frontière, apparaissant là où on l’attend le moins [40]. En d’autres termes le danseur est celui qui maintient la différence entre soi et l’autre, habite l’interstice [41], mais aussi manie le regard différentiel, voyager ailleurs pour voir l’ici ou être ici comme dans un ailleurs [42]. Seul un tel danseur pourrait alors avoir l’œil clair pour « voir simplement le monde, en excluant tout accommodement, en excluant aussi toute perspective ou projet d’amélioration » [43]. Cet œil, couplé au cerveau, sera le meilleur appareil photographique [44], photographie sans caméra, photographie d’avant la photographie. Avant donc de tirer l’image, Lathuillière montre qu’il faut déligner une position en rapport au monde [45], le danseur, pour ensuite se construire un corps, l’œil-cerveau, qui alors ouvre sur la vision du monde tel qu’il est. Si la photographie noue des liens étroits avec la performance – pose, geste, photographie d’exploits, événements, spectacle, etc. –, c’est bien parce que le photographe, de par sa posture-monde, établit un rapport physique, presque performatif, à ce qui l’entoure [46]. Tel serait le travail pré-photographique [47] qui permettra de conjurer les clichés, les diagrammes des photographes – si on entend par diagramme ce qui brise le cliché [48] – seront alors les inventions de ces différentes postures-monde, ou rapports-au-monde. L’objet privilégié de la photographie serait ainsi le monde [49], non pas le réel, la partie du monde, mais bien le monde lui-même, le monde comme tout… en une photo [50], photo qui reste elle-même ouverte au monde [51]. La photo-monde, le tout dans le fragment, est la poétique de la photographie, et on voit comment cette poétique résulte, en amont, d’une politique [52], celle des postures-mondes, et en aval génère elle-même une puissance politique qui dénonce les clichés et avec eux les postures-monde des politiques adverses [53]. Cette photo-monde ne sera plus alors une fixité, une fermeture du monde, mais bien ce qui permet de maintenir ouverte l’ouverture du monde [54].

L’heure du coucher – Stéphanie Augusseau, rédactrice mode, Noirmoutier (Vendée)
Tirage lambda 60x85 cm, série Musée national (2004-2020), courtesy Galerie Binome

Lathuillière assigne donc au photographe la tâche d’être le gardien de l’ouverture du monde et non du patrimoine national ou mondial. Cette exigence déplace la fonction d’archivage de la photographie vers celle d’une ouverture sur les possibles : « tenter de faire passer la photographie du fameux ‘ça a été’ de Barthes au ‘ça pourrait être’. » [55] Le problème plastique de Lathuillière devient alors celui d’introduire du possible, d’introduire une ouverture dans la saturation des clichés, des documents et des stéréotypes. Sa solution, concernant les images sécrétées par le centre du capital, consistera à rompre des frontières et à créer des failles, fêler le monde pour pouvoir voir loin à travers [56]. Cette pratique de la fêlure fait écho au procédé langagier de Roussel : « comme si la fonction de ce langage redoublé était de se glisser dans le minuscule intervalle qui sépare une imitation de ce qu’elle imite, d’en faire surgir un accroc et de la dédoubler dans toute son épaisseur. Langage, lame mince qui fend l’identité des choses, les montre irrémédiablement doubles et séparées d’elles-mêmes. » [57] On peut dire que la pratique photographique de Lathuillière consiste à introduire le plus petit intervalle, la plus petite différence, qui permettra de fendre le cliché en deux [58].

L’acte poético-politique de la photographie

Fabrique nationale, Le Creux de l’enfer, Thiers
Biennale de Lyon, 2017

Dans Musée National (2004-2019) Lathuillière introduit un masque en plastique qui recouvre le visage de ses modèles. Masque couleur chair, quasiment indistinct de la peau, mais aussi un masque qui a la texture du papier photographique [59], peau sur peau, photographie dans la photographie. Les interprétations du masque se multiplient, c’est à la fois le double asiatique, le double virtuel ou ersatz de l’humain [60], la doublure de soi comme rôle social [61], le double touristique [62], la même humanité abolie en nous et l’interchangeabilité des individus et des sexes [63], notre double enfantin ou mortuaire [64], le masque indifférencié du marché [65], un émoticône [66], signe d’un danger possible de ce que nous pourrions devenir [67]. Ces interprétations témoignent de la force de la photographie de Lathuillière, une photographie qui provoque la pensée et l’incite à faire sens d’une puissance qu’on ressent à même l’image. Il reste que la fonction du masque dans Musée National est d’introduire la plus petite différence dans le stéréotype pour révéler le truquage et montrer qu’on est pris dans un vaste musée du réel. Ce qui se donne à voir alors c’est le « hors visage » [68] – le paysage, les gestes, posture, vêtement, outils, etc. – que le stéréotype plein, non fêlé, nous empêchait de voir. Ainsi l’accroc dans le stéréotype nous permet de nous mettre à nouveau en contact avec le monde [69] mais un monde qui cette fois baigne dans une étrange lumière [70]. Il reste que ce monde qui se révèle de par la rature du visage est un nouveau monde, nouveau par son surgissement, comme si, grâce à ce dispositif, on arrivait à voir, à nouveau, comme pour la première fois ce monde qui nous entoure, étrange familiarité. Nous noterons que ce monde avec ses couleurs vibrantes, ce block-monde, se fait en faisant circuler l’indifférencié du masque – le même masque sur tous les visages. Dans le contexte des différences toutes faites que sont les stéréotypes, et des fluctuations indifférenciées du capitalisme, une des manières de faire la différence consisterait en une injection de l’indifférencié dans le monde. Si la photographie de Lathuillière fait monde, si elle est une photo-monde c’est parce qu’elle arrive à faire monter le fond à la surface : non plus des stéréotypes différenciés qui masquent la fluctuation indifférente du capital mais l’indifférent lui-même comme masque. Alors que les stéréotypes patrimoniaux ne font que conjurer l’indifférencié – être Français et non pas Chinois même si tous deux on est capitaliste –, Lathuillière montre que la véritable différence se fait en tournant l’indifférencié des rôles interchangeables et anonymes du marché contre la fausse différence des stéréotypes. Contre les différences toutes faites et l’indifférencié Lathuillière montre donc que la différence, l’événement, le nouveau, le surgissement de quelque chose d’autre, sont toujours à faire. Si Musée National se reconnaît comme une critique des clichés nationaux, on peut aussi dire qu’il se pose comme une critique des dialogues des cultures, du brassage des identités, de la célébration des différences, puisqu’il montre qu’une telle célébration n’est faite que d’un brassage de masques et donc repose sur la falsification du monde.

Les cheminées
Tirage transparent sur miroir, 50x75 cm, série Fractal Spaces, 2018

Fractal Spaces (2013-2019), introduit un autre genre de plus petite différence. Cette série, consacrée aux zones industrielles et périurbaines, capture ces espaces délaissés de la vallée du Rhône à travers la végétation hivernale ou printanière. Les photographies sont ensuite effectuées sur tirage transparent et contrecollées sur miroir. Le tirage transparent sur miroir dédouble ainsi la photographie en la projetant sur deux plans décalés de l’épaisseur du verre qui porte le tirage. A la décalcomanie [71] qui introduisait la plus petite différence entre le Moi et son double dans Musée National, suit une décalomanie, une manie du décalage du même sur deux plans. C’est par ce dédoublement des plans que Lathuillière arrive à briser les clichés de la photographie documentaire pour saisir le monde en mutation [72]. Mais, pour pouvoir saisir cette mutation, la posture-monde de Lathuillière consistait ici non plus à être simplement entre deux mondes, l’Asie et la France comme dans Musée National, mais de se placer à la frontière du monde humain et du monde du vivant, animal ou végétal, devenir plante ou écureuil, pour pouvoir voir [73]. Photographie dans la photographie, avec cette peau similaire au papier photographique dans Musée National, photographie qui se décompose par son propre reflet dans le miroir dans Fractal Spaces, en d’autres termes la réflexion sur soi pour briser le cliché, briser ce qui est figé : « Seul l’artiste, par ses ruses optiques, peut selon lui affronter Méduse : Persée, le premier d’entre eux, en lui renvoyant son regard dans un bouclier miroir. Il me plaît donc d’imaginer Persée comme l’inventeur de la photographie. Il dédouble – c’est à dire masque – le réel afin de le figer pour mieux trancher dedans. » [74] On peut bien sûre donner de multiples interprétations à ce rideau végétal qui envahit les zones abandonnées d’une industrie d’un autre temps, fractal du réseau mondial de l’ère cybernétique, ou brouillage entre l’homme et la nature à l’ère anthropocène [75], il reste que ces lectures elles-mêmes se soutiennent de l’opération photographique : c’est bien la lecture spéculaire, la réflexion de l’image sur soi, qui devrait trancher dans le cliché documentaire et devenir l’image de la mutation cybernétique globale actuelle sur fond de désuétude industrielle.

Table Fractale #1 / V3 (On Housing)
images, textes et miroirs sur table de dessin industriel, détail, 2018

La question qui se pose alors est celle de savoir pourquoi le dédoublement, dans la forme de la réflexion spéculaire, permettrait de figer la Méduse pour trancher dedans. Si le bouclier miroir est l’arme du photographe danseur, il faut voir que le monstre que confronte ce Persée est le Temps. Le Temps est la Méduse qui a une puissance à figer le monde dans un cristal. Dans Musée National il semblerait que nous sommes dans « un monde comme sorti du Routard, où chaque village dans lequel « temps s’est arrêté » mérite trois pictogrammes et une visite. » [76] Plus profond que le cliché, et comme formant sa condition de possibilité, c’est le Temps, qui, d’abord, en fixant les choses, les apprête à n’être réduites qu’à deux ou trois pictogrammes. Le Temps en lui-même est d’autre part une puissance de dédoublement, muni d’une pointe cristalline qui double chaque présent avec son propre souvenir [77]. Ce dédoublement, explique Bergson est la condition du passage du temps, le souvenir d’un présent passé venant à s’ajouter au nouveau présent [78] : si le deuxième son de cloche est justement deuxième c’est bien parce qu’on y ajoute le souvenir du premier, or ce souvenir n’aurait pu se constituer qu’en même temps et durant la perception du premier – dédoublement et déroulement du temps. Par suite, il y a une « puissante Vie non-organique qui enserre le monde. Le visionnaire, le voyant, c’est celui qui voit dans le cristal, et, ce qu’il voit c’est le jaillissement du temps comme dédoublement, comme scission. » [79] Lathuillière voyant [80], lisant dans le Toy faisant office d’une boule de cristal, comme dans l’une de ses premières performances dans son projet Toyland (2007). Si le capitalisme peut se penser comme une pathologie cosmique c’est bien parce qu’il détruit tous les doubles et en cela transforme la Vie inorganique du Temps en une puissance mortifère. Les fluctuations capitalistes sont pures répétitions, pures transactions, va et vient dont on ne peut extraire aucune différence, la répétition mécanique du même. En cela le capitalisme est le sans-visage, pure variation quantitative qui ne vise que la différence quantitative des capitaux, pure décodification, dont toute différence qualitative ne serait qu’un masque. Ces masques du capital, ou images primaires et secondaires, ne visent qu’à relancer les transactions capitalistes – exploitation du patrimoine, dépenses militaires sous couvert de fascismes nationaux ou culturels, conquête coloniale et impériale soutenues par une proliférations des stéréotypes. Le capitalisme, avec son économie mortifère, impose ainsi des rôles fixes qui se sont vidés de tout efficace puisque le dernier mot, ce qui décide de la vie et de la mort, tient dans les filiations et les alliances des capitaux – délocalisation des capitaux et désuétude de la vallée du Rhône. C’est donc la nécessité économique imposée par le capitalisme mondial qui nous force à porter le même masque, et en cela à faire proliférer les doubles mortifères qui alors sont fixés par la photographie du stéréotype. L’art du cristal consistera justement à briser cette cristallisation et cette fixité mortifère, faire réfléchir le regard de la Méduse pour introduire la fêlure, la scission, dans l’identité stéréotypique, pour voir à nouveau le jaillissement du temps.

Méduse (Don’t Look Back)
Impression vinyle contrecollée sur miroir, 82,5 x 46 cm, d’après Les trois juges de l’Enfer de Gustave Doré, 2012-2017

Les artistes du cristal sont ainsi aux prises avec l’entreprise d’éradication des doubles et de la dimension virtuelle qui les soutient. Deux puissances cosmiques se confrontent ainsi, d’un côté la puissance vivante du Temps, avec ses doublures virtuelles, ses plantes, ses animaux, ses contractions et ses flux temporels, et, de l’autre, le mouvement sans vie du capital qui fait gesticuler les masques, les stéréotypes, et les clichés. L’une des tâches de ces artistes du cristal sera alors de démasquer la machinerie capitaliste, son entreprise visant à tuer le Temps en contaminant le plan virtuel de l’Imaginal par ses clichés mortifères – submergé de clichés on n’arrive plus à voir, ni à imaginer, encore moins à se souvenir, on est avide de clichés, comme ces touristes qui consomment des villes [81], les clichés envahissant le monde extérieur de même que notre monde intérieur, nos manières d’aimer, de sentir, d’être, etc. [82] Pour s’ouvrir à nouveau sur le Temps cosmique, un cinéaste comme Renoir pensait qu’il fallait briser les rôles sociaux, que ce soient les rôles professionnels ou mondains. Au sommet de l’ère industrielle, on peut dire que le stéréotype consistait justement dans ces rôles qui nous figent dans une tâche ou une position, et par là nous cristallisent, mettant halte au devenir et au cours du temps. Pour Renoir il fallait par suite briser le cristal mortifère pour pouvoir vivre à nouveau [83]. De même, pour Lathuillière, il faut briser le cristal, démasquer le stéréotype, s’ouvrir sur l’avenir, la liberté ne pouvant se soutenir que d’une telle ouverture. [84] Il reste que Lathuillière dénonce des cristallisations mortifères d’un autre genre. Faisant le diagnostic des sociétés de contrôles et de la mondialisation, Lathuillière est aux prises avec l’hégémonie du capital sur toutes les sources et ressources de la vie. Cela veut dire qu’il n’y a plus place à « l’authenticité », à la « vocation », à « l’intime », etc. puisque tout est exploitable et tous les individus interchangeables. C’est dans ce sens qu’il faut maintenant montrer que le cristal mortifère a capturé tout un pays, la France, avec ses deux faces, la face du territoire-patrimoine et celle du territoire-friche. Au lieu, à la Renoir, de briser les rôles sociaux pour en extraire une manière d’être authentique, la tâche est aujourd’hui de réinjecter du virtuel, des reflets, et des réflexions, dans la fixité du monde. Là où il n’y a plus de rôle qui tienne la seule vie devient alors la vie inorganique, la puissance du Temps, et la lutte porte alors sur la possibilité même du virtuel, l’ouverture sur le virtuel devant se faire même au prix de l’étrange et de l’inquiétant : inquiétants sont les personnages du Musée National, comme ces personnages dans Locus Solucs de Roussel condamné à répéter, comme des morts vivants, le moment crucial de leur vie dans des bocaux remplis de résurectine [85], étranges ces plantes qui prolifèrent sur la friche industrielle du Rhône. Or, si les personnages de Lathuillière inquiètent et ses paysages touchent à l’étrange, c’est parce qu’avec la perte du monde humain, trop humain, par la perte de tous les rôles sociaux qui pouvaient encore construire un territoire et orienter une vie, la seule vie vers laquelle il nous invite c’est celle qui se couple à des puissances inhumaines : devenir végétal, animal, cosmique, devenir lumière, etc.

Hoja
Impression UV sur verre, 33x44 cm, projet Luces Distantes, 2020

« Je demande au pois doux de me représenter », écrit E., « je demande à ce manguier qui me donne son oxygène pour vivre, de me représenter », écrit Gabo, « je choisis ces bambous comme symbole de ma vie », écrit El Curioso [86]. Le problème que confronte Lathuillière dans son projet Luce Distantes (2020-) est celui de donner voix et présence aux communautés autochtones de l’Urabà, au nord de la Colombie, et cela sans exposer leur vie aux représailles des paramilitaires [87]. Une relation inverse noue ainsi la vie et la liberté d’expression : soit on est vivant mais on doit rester sans voix, soit on dénonce l’exploitation et la violence au risque de sa vie. Si au Nord le capital sécrète une morbidité interne, on peut dire qu’au Sud cette mort lui vient du dehors, vient de ces multinationales, secondés par des états corrompus et des factions paramilitaires, qui tuent et violentent les habitants de ces terres. Si ce problème est commun, banal dans son urgence et sa violence, il appelle à des solutions qui doivent sortir du commun, du cliché, y inclut du cliché ou du stéréotype du héros révolutionnaire, du visage-martyre à la Gue Vara. Au fond, il faut que ce soit toute la terre, tous les visages et tous les vivants qui protestent contre la violence, il faut que l’insurrection elle-même se fasse monde pour que les minorités hantent l’oppresseur, pour qu’elles soient partout et nulle part, dans le pois doux, les bambous, l’eau, les mains, les bouches et les bras. Dans son agencement Lathuillière arrive ainsi à produire un corps collectif qui se compose de forces humaines, voix de justice et de poésie, de présences végétales, puissance de la terre, et de forces animales. En cela l’artiste lui-même n’est plus qu’un intercesseur, porte-parole au sens littérale du terme dans Voces Sistances où Lathuillière lit les textes écrits par les Gabos, un point de passage, une machine à faire converger les puissances de la terre et des hommes. Lathuillière devient en cela le support et l’occasion pour que le peuple Gabo s’invente et se réinvente, produise ses propres légendes, ses propres images et ses propres visages, son visage collectif comme dans les portraits composites Depix [88]. La fonction du masque dans la série Mascaras n’est plus alors, comme dans Musée National, celle de faire monter l’indifférencié pour faire la différence en brisant le cliché, celle de réintroduire le Temps et de régénérer le plan virtuel de l’Imaginal, mais de faire rentrer l’homme en acte de légender. Le travail de l’artiste au Sud sera alors de ramener l’imaginaire collectif d’un peuple à la surface, le plan Imaginal étant encore bien vivant, quoique recouvert par les clichés et les urgences imposés par le capital et ses alliés. Non plus donc faire exister le plan virtuel en tant que tel, mais faire monter ce plan, lui donner consistance, montrer qu’il est déjà-là, montrer qu’il y a déjà un peuple qui parle la voix de sa terre. Si le capitalisme, pour exploiter ou coloniser des terres, doit faire le vide [89], la production de l’image en tant qu’image collective, image d’un peuple et d’une terre, devient ainsi une des voies pour résister contre cette rhétorique des « zones vierges ». Faire territoire, faire peuple est alors révolutionnaire, alors qu’au Nord, dans ces territoires-patrimoines c’est la déterritorialisation, l’ouverture à l’ailleurs, voir à des dimensions autres, qui porte la révolution – rapport inverse, rapport cristallin Nord-Sud.

Alias E
Diptyque, tirage lambda et écriture manuscrite sur tissu, projet Luces Distantes, 2020

De même que le Nord présente deux faces, le patrimoine et la friche, le Sud aussi a ses deux faces, les terres convoitées et les terres oubliées. Les Lissous sont une minorité montagnarde tibéto-birmane du nord de la Thaïlande [90]. Le cliché qui pèse alors sur ce genre de minorités et celui de l’authenticité, ce désir qu’on aurait de les voir à jamais fixés dans un passé immémorial [91], désir qui trahit une nostalgie des sociétés codifiées à l’ère de la décodification généralisée. Si le capitalisme a une tendance à faire le vide dans les zones à exploiter, une autre de ses tendances est celle de constituer des réserves d’indigènes. Contre cette tendance Lathuillière développe des situations qui permettront aux Lissous de produire une fiction, un futurisme qui leur serait propre, et en cela à devenir sujet actif et non plus victime passive de la modernité [92]. Pour se faire les Lissous et Lathuillière vont détourner des objets modernes – tubes en PVC, friandises manufacturées, film plastique, tubes de lumières fluorescentes, etc. – et les composer avec leurs vêtements aux couleurs vives [93]. Face à l’inévitabilité de la mondialisation et de la décodification, l’artiste n’est plus l’ethnologue qui documente, pour la dernière fois, des us et coutumes dont rien ne pourra prévenir la disparition. Il n’a pas à truquer l’image, à faire le tri entre ce qui relève de l’authentique tradition et ce qui la contamine, mais aussi à se mettre à l’écart. Tout au contraire, l’artiste est partie prenante, vecteur lui-même de la mondialisation [94], mais un vecteur qui introduit un jeu et redonne une puissance à faire fiction de cette mutation en cours. La posture-monde de Lathuillière est alors d’affirmer son altérité, de jouer le jeu et de l’amplifier, pour que l’hybridation ait lieu [95]. Documenter la mutation qu’implique la rencontre de deux mondes, documenter les interceptions de codes de part et d’autre, ne peut se faire qu’en produisant les conditions du jeu, les scènes, qui permettront à l’imaginaire d’investir le réel. Si dans ce jeu il n’y a pas de production de savoir objectif, d’un savoir ethnologique, il y a néanmoins la saisie de l’objectivité d’un monde qui a perdu ses codes. L’artiste-joueur, l’artiste metteur en scène, serait ainsi producteur de savoir, non pas le savoir qui repose sur l’identification d’une essence, mais bien celui des mutations et transformations imagées où il n’y a plus ni code ni essence – quelle image produire ensemble, et pourquoi cette image plutôt qu’une autre ? Au penseur-chameau qui assume et porte le savoir du réel, de la nature de toute chose, suit le lion destructeur de toutes les essences, de toutes les traditions, et enfin l’enfant-joueur, celui qui joue avec les fragments de monde, pour composer d’autres mondes, des alter-mondes, non plus la science mais une science-fiction [96]. Le rapport au plan Imaginal se fait ici sous un nouvel angle : il ne s’agit plus de le ranimer comme dans les contrés sclérosées du Nord, ni de leur faire monter pour porter un peuple, mais bien d’y multiplier les rencontres et les hybridations imaginaires, de montrer l’ouverture qu’il offre à ceux qui arrivent à affirmer même la destruction des traditions et des codes. Contrairement au capitalisme qui ne décodifie que pour reterritorialiser sur le profit, Lathuillière montre que le processus de décodification peut se faire sans territoire, à l’air libre, dans les interstices, sur des lignes de fuites où se composent et se décomposent des fragments de codes, des fragments de mondes et d’histoires [97], et cela contre toute fixité, pour la joie d’expérimenter que la vie et l’imaginaire peuvent encore s’échapper des quadruples prises du capital.

Crecer, Resistir
Exposition in situ, projet Luces Distantes, Sorbonne ArtGallery, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2020

Les dimensions de la photographie

Studio Tang Daw
Installation, 250 x 1000 cm, The French Connection, Bangkok University Gallery (BUG), Bangkok Photo, 2018, © Martin Argyroglo

Le parcours de Lathuillière nous permet ainsi de dresser une didactique de la photographie à l’aune de l’ère de la globalisation totale. Un premier niveau de l’image est celui de l’image qui n’est pas encore tirée par la photographie, l’image qui est à même les choses, l’image d’avant la photographie. Cette image dans les choses est image puisqu’elle ne porte que des représentations qui ont perdus tout efficace en présence des alliances et des filiations du capital : représentations du premier ordre que sont l’image de l’ouvrier et du capitaliste et du second ordre que sont les rôles sociaux et familiaux. Derrières ces images, on n’a affaire qu’au flux sans visage du capital, flux quantitatif et indifférencié qui dicte les rôles et produit l’interchangeabilité des masques. Ces différents masques du capital vont être renforcés par une photographie ennemie qui viendra consolider l’évidence capitaliste, suivant la quadripartition des deux Nords et des deux Suds : photographie patrimoine des zones aisées du Nord et photographie documentaire des zones délaissées à la décrépitude ; photojournalisme des peuples colonisés et photographie ethnologique des peuples oubliés. A ces quatre serpents qui ornent la tête de la Méduse il faut aussi ajouter le photoformalisme, véritable langue du capital. Dans une telle conjoncture l’artiste-photographe doit d’abord tracer une position-monde qui lui permettra d’échapper à l’emprise du visage pétrifiant de la Méduse, à ces différents rôles qu’elles lui proposent et qui pourraient l’amener à contribuer à la falsification généralisée du monde. La posture-monde que trace Lathuillière se fait sur une ligne qui court sur les frontières, une ligne interstice, entre-monde, entre-professions, entre-territoires, etc. Avant la photographie il faut par suite développer une éthique, une manière d’être, manière qui permet de voir la photo dans les choses et les falsifications du monde, photographie d’avant la photographie, diagramme de la photographie – deuxième niveau de l’image, se créer une vie qui soit elle-même digne d’une image. Le photographe danseur, au regard de voyant, peut alors affronter la Méduse sur toutes les faces du globe-terre, confrontation dont l’enjeu n’est autre que le Monde. Pour récupérer le Monde, pour le redonner à soi, le photographe-danseur doit produire l’image-monde, la photo-monde, poétique et tâche de tout photographe – troisième niveau de l’image – détecter, trouver l’objet véritable de la photographie. Au Nord le miroir de Persée renverra le regard de la Méduse en faisant jouer la plus petite différence, injecter du virtuel dans un monde qui réduit tout à des différences toutes faites et à des identités de pierre. Sa tâche au Nord sera donc de redonner accès au plan Imaginal. Au Sud par contre, dans le Sud colonisé ou le capital essaie de faire le vide, le photographe-fabulateur doit faire monter à la surface du monde l’imaginaire d’un peuple, montrer que le territoire a déjà ses légendes, ses habitants, sa voix. Dans le Sud oublié, par contre, il s’agira de déployer le plan Imaginal, de jouer à loisir avec les codes et les fragments de monde, avec ceux-là même qui sont supposés tenir au code et à la tradition. La production de ces photographies-mondes, dépendent donc elle-même de la capacité du photographe-danseur-fabulateur-joueur à mesurer l’angle d’intersection entre le plan Imaginal et le monde, à voir s’il s’y trouve enfoui, mortifère, ou jouant à l’ère libre – quatrième niveau de l’image. Vient enfin la photographie en tant que telle, celle qui va non seulement tirer le cliché de l’image telle qu’elle se trouve dans les choses, mais qui va concrétiser tous les plans de l’image en une photo-monde pouvant briser les falsifications du monde. S’il y a une différence entre la photographie conservatrice et la photographie créatrice, c’est que la première n’a que deux dimensions, l’image dans les choses et son cliché ressemblant, alors que l’image créatrice a l’épaisseur de toutes les dimensions de l’image, les cinq dimensions constituent l’épaisseur d’une lutte, d’une vie, et d’une vision. La photographie n’est ainsi représentative qu’au prix d’une simplification mortifère du réel, même si elle se prend elle-même pour la réalité. La photographie représentative ne croit qu’aux idoles qu’érige le capital, et de ces idoles elle ne fait que tirer le cliché : photographie qui n’est que l’ombre projetée de figurines de pierre. La photographie expérimentale, créative, par contre, sera non-ressemblante car elle embrasse le tout du réel et de ses différents plans. Cette photographie sera de plus active puisqu’en elle se joue le destin d’un monde, et en elle se confrontent les forces de l’oppression et de la libération – performance du photographe, le photographe aux prises avec des forces réelles, le photographe comme le lieu d’une confrontation cosmique où le monde est en jeux.

Fares Chalabi en avatar
Capture d’écran, exposition VR Tous en Même, Acte II – Gris mémoire, commissariat Emmanuelle Hascoët, Institut Français d’Irak, 2021

© Fares Chalabi
2021

Notes

[1Gilles Deleuze, L’image-temps, Critique (Paris : Edition de Minuit, 1999), 31.

[2Samir Amin, Accumulation on a World Scale (United Kingdom : Branch Line, 1978), 390.

[3Michael Hardt et Antonio Negri, Empire (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 2001), 322.

[4Gilles Deleuze et Felix Guattari, L’anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie (Editions de Minuit, 1972), 275.

[5Deleuze et Guattari, 263.

[6Deleuze et Guattari, 265.

[7Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism : The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power, Paperback edition (London : Public Affairs, 2019).

[8Deleuze et Guattari, L’anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie, 308.

[9Deleuze et Guattari, 306.

[10Eugene W. Holland, Deleuze and Guattari’s Anti-Oedipus : Introduction to Schizoanalysis (London  ; New York : Routledge, 1999), 64.

[11Deleuze et Guattari, L’anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie, 450.

[12Deleuze et Guattari, 313.

[13Contrairement à Houellebecq qui voit dans cette transaction la déshumanisation des retraités, ils faut voir que la déshumanisation est bien consommée et que les rôles économiques et folkloriques sont déjà des images répondants aux fluctuations capitalistes. Michel Houellebecq, « Un remède à l’épuisement d’être », in Musée National (Paris : Editions de la Martinière, 2014).

[14Arnaud Viviant, « France Clichés », Code d’Accès, 2005.

[15Henri Bergson, Matière et mémoire, éd. par Frédéric Worms, 8e éd. (Paris : Presses Universitaires de France, 2008), 36.

[16Comme le note Lathuillière : « Or c’est tout le village national qui, dans cette stase, voit l’ultime refuge. » Frédéric Bouglé, « Le visage d’un être de conjecture », entretien avec Marc Lathuillière, in Musée National (Paris : Edition de la Martinière, 2014).

[17Ibid.

[19Comme le note François Salmeron : « En pleine mondialisation, la France, paradoxalement, se rétracte et se recroqueville dans son terroir – elle préfère valoriser le local et craint de s’ouvrir au global. » Salmeron,
« L’anthropologue et le photographe », Parisart, Juin 2017, http://www.paris-art.com/lanthropologue-et-le- photographe/.

[20Comme le note Lathuillière : « La France avait disparue remplacée par une série de cartes postales. » Léon Mychkine, « Une sociologie du masque chez le photographe Marc Lathuillière ?, Article, 9 novembre 2020, https://art-icle.fr/une-sociologie-du-masque-chez-le-photographe-marc-lathuilliere/. »

[21« Les pays sont devenus des espèces en voie de disparition, pour ainsi dire les dinosaures de la géographie terrestre. La mondialisation, ou plutôt la globalisation, les a maintenant ensevelis sous une chape indéterminée de pictogrammes, de logos, de publicités géantes qui rappelle la continuité du capitalisme dans la discontinuité des paysages. » Viviant, « France Clichés ».

[22Michel Poivert, « Hôtel France », Mouvement, Juillet-Août 2015, https://www.lathuilliere.com/p/0%20Mouvement%20-%20Entretien%20red%20150.pdf.

[23Comme le note Lathuillière : « Michel Houellebecq pense que nous sommes touristes dans notre propre pays, mais aussi acteurs de celui-ci, nous jouons notre rôle de Français, c’est exactement ma vision des choses. » Saadi.

[24Comme le note Lathuillière : “Coupled with the invasive use of digital photography, tourism is a truly modern phenomenon that deeply affects societies, and the way they perceive themselves and mutate accordingly.” Klaus Fruchtnis, « A Stereotype Hunter », Urbanautica, 26 novembre 2015.

[25Comme le rapporte Lathuillière : « Je suis allé à une réunion de famille à Vincennes : mes cousines avaient sorti les chapeaux de paille et les nappes à carreaux, on se serait cru cent ans en arrière, dans un tableau de Renoir. Ça m’a beaucoup inquiété. » Saadi.

[26Héloïse Conesa, « Refracting », The Photocaptionist, 2009.

[27Comme le note Arnaud Viviant : « En dépit d’un sursaut meurtrier des religions, les communautés auxquelles nous sommes réellement apparentés aujourd’hui s’appellent SFR, Bouygues ou Orange. « Nous portons tous le masque indifférencié du marché. » Viviant, « France Clichés ».

[28On peut souligner que certains pays du Sud, comme la Chine ou le Japon, ou de l’Est comme la Russie, sont au Nord, de par leur forme économique et leurs visées impériales, de même que le Nord lui-même contient ses zones d’exclusions, des régions Sud dans le Nord. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux : Capitalisme et schizophrénie, vol. 2 (Paris : Editions de Minuit, 1980), 569.

[29Deleuze et Guattari, L’anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie, 274.

[30Homi K. Bhabha, « The Other Question… », Screen 24, no 6 (1 novembre 1983) : 18‑36, https://doi.org/10.1093/screen/24.6.18.

[31Walid Raad, « Beirut...(à La Folie) : A Cultural Analysis of the Abduction of Westerners in Lebanon in the 1980’s » (New York, University of Rochester, 1996), 100.

[32Raad, 100.

[33« Respect des différences, bien sûr ! Mais sous réserve que le différent soit démocrate-parlementaire, partisan de l’économie de marché, support de la liberté d’opinion, féministe, écologiste... » Alain Badiou, L’éthique : essai sur la conscience du mal (Caen : Nous, 2003).

[34Comme le note Lathuillière : « Pendant des années, journaliste travaillant aux côtés de photoreporters, j’ai participé à la grande falsification du monde que constitue sa mise en boîte pour les médias. » Bouglé, « Le visage d’un être de conjecture ».

[35Come le note Lathuillière : “Witnessing how press and commercial photography was building cultural identities and reinforcing national if not racial stereotypes, I developed a problematic relationship with this practice.” Fruchtnis, « A Stereotype Hunter ».

[36Comme le note Lathuillière : « Dans cette série, plus particulièrement [Fractal Spaces], je tente de déjouer, par les effets de miroir, le pouvoir figeant, voire archivant, d’une pratique documentaire qui, par sa littéralité et par une soit disant « neutralité » calquée sur les codes de l’administration, nous empêche de nous projeter dans la complexité du monde en train d’advenir. » Conesa, « Refracting ».

[37Chahun Poomsawai, « Marc Lathuillière on Fluorescent People », BK, 24 février 2011, https://bk.asia-city.com/events/article/marc-lathuilliere-fluorescent-people.

[38Comme le note Lathuillière : If photography is reaching its “Film/Surface” age, as I think it does, artist should not forget that playing with its forms is much more stimulating and involving when the subject addressed is the world outside the dark room : our complex and suffering contemporary world.” Fruchtnis, « A Stereotype Hunter ».

[39Deleuze, L’image-temps, 30.

[40Comme le note Lathuillière : « Se positionner à la croisée d’expériences multiples, c’est un peu se faire ce que l’anthropologue Michel Agier appelle « homme frontière ». Il semble que, dans un monde où les identités sont de plus en plus hybrides, la société attende de nous autres, artistes, que nous produisions des prototypes de cette figure…ne pas appartenir…comme un photographe dansant…ne pas faire territoire, ou changer dès qu’on se solidifie dans son travail, est pour moi une éthique. » Conesa, « Refracting ».

[41Comme le note Lathuillière : “I love travel, but I’m not trying to reduce people’s difference with a camera. On the contrary, I’m trying to seize and decipher this difference.” Poomsawai, « Marc Lathuillière on Fluorescent People ».

[42« Quant à Marc Lathuillière, de longs séjours en Asie ont changé son regard sur la France et lui ont inspiré, au retour, Musée national. » François Saint-Pierre, « L’anthropologue et le photographe » (Marseille, 2017), http://www.lathuilliere.com/p/essais_critiques/Francois_Saint_Pierre_L_anthropologue_Le_Photographe_2017.pdf.

[43Poivert, « Hôtel France ».

[44Comme le note Lathuillière : “But in a sense I went on practicing photography without a camera. After all, coupled with our eyes, the brain is the best camera obcsura.” Fruchtnis, « A Stereotype Hunter ».

[45L’exigence de Lathuillière de prendre une posture-monde se distingue ainsi de ceux qui tombent et adoptent le cliché sans avoir aucune distance ou conscience de cela, et même de ceux qui jouent consciemment et affirment pleinement leur être-cliché. En cela Lathuillière ne nous invite pas à ironiquement, voire d’une manière sarcastique, à jouer notre propre rôle, posture qui serait celle de Houellebecq, mais bien à construire une autre posture dans le monde en dehors de tout rôle et de tout cliché. Houellebecq, « Un remède à l’épuisement d’être ».

[46Contre la posture formaliste, qui a perdu le monde, Lathuillière souligne : « Peut-être en se rappelant que photographier, c’est quand même établir un rapport physique, presque performatif, à ce qui nous entoure. » Poivert, « Hôtel France ».

[47Gilles Deleuze, Francis Bacon  : Logique de la sensation, Les Editions du Seuil (Seuil, 2002), 88.

[48Deleuze, 128.

[49Par exemple, pour Deleuze, l’objet privilégié de la peinture est la force, peindre des forces serait le moyen de sortir de l’illustration et de la figuration. Deleuze, 39.

[50Comme le note Houellebecq : « Quand, donc, je procède à mes superpositions photo-photo ou photo-texte, j’essaie de créer un nouvel objet signifiant, je sors brutalement du réalisme en créant une image qui n’est plus la représentation d’une partie du monde, mais qui vise à être, en elle-même, un monde ; et, là, c’est tout à fait similaire aux buts classiques de la poésie. » Poivert, « Hôtel France ».

[51Comme le note Lathuillière : « Dans mes recherches, j’ai toujours essayé de maintenir un équilibre entre poétique et politique, la première faisant parler la seconde. » Poivert. On notera ainsi la différence entre la conception de Houellebecq et de Lathuillière, le premier proposant une poétique, donc un fragment-monde, qui exclut le hors champ, alors que le second propose sa poétique tout en les gardant ouvert au monde. D’où le problème de l’équilibre, délicat, entre poétique et politique, la poétique pour Lathuillière ne devant pas conduire à la constitution de fragments-monde clos, autonomes, mais des fragemnts fêlés qui permettent de voir à nouveau le monde – « après tout, c’est quand on fêle le monde qu’on peut voir loin à travers », poursuit Lathuillière dans le même texte.

[52« Dans mes recherches, j’ai toujours essayé de maintenir un équilibre entre poétique et politique, la première faisant parler la seconde. » Poivert.

[53Lathuillière raconte par exemple comment, irrité par les stéréotypes diffusés à la radio par son employeur, il prend une moto et fait le tour de la Corée du Sud pour prendre des photos qui dénoncent ces clichés. Fruchtnis, « A Stereotype Hunter ».

[54Lathuillière, citant Heidegger, note que “l’œuvre maintient ouvert l’ouvert du monde”. L’être-au-monde que décrit Lathuillière dans nombre de ses entretient comme condition de possibilité de la photographie-monde le place dans une approche heideggérienne. Il reste que Lathuillière montre que la photographie est de plus le meilleur moyen d’exprimer et de saisir cet être-au-monde. Conesa, « Refracting ».

[55Poivert, « Hôtel France ».

[56« C’est donc une rupture de frontière, et la création de failles me semble devoir être un horizon de la photographie comme de toute forme d’art. Après tout, c’est quand on fêle le monde qu’on peut voir loin à travers. » Poivert.

[57Michel Foucault, Raymond Roussel (Paris, Gallimard, 1963), 34.

[58Comme le note Lathuillière : “Generally speaking, my main method consists in modifying our usual perception of a photograph through the addition of extra layers of reading. They can be intrusions inside the image itself – a simple mask in National Museum, or entire installations in The Fluorescent People – but also reflection effects in the way I show them. In my most recent body of work, called Dispersions, some photographs of suburban sceneries – a contemporary cliché – are mounted on mirrors, others projected on a mirror ball.” Fruchtnis, « A Stereotype Hunter ».

[59« Dans la série « France Face Perdue », le masque lisse de Marc Lathuillière valide l’image du papier photographique qui retient la lumière, régule tel un diaphragme à deux iris netteté, mise au point et point de fuite. » Frédéric Bouglé, « La France Face Perdue  : le visage d’un être de conjoncture » (France, 2013), http://www.lathuilliere.com/p/essais_critiques/Frederic_Bougle_Le_visage_d_un_etre_de_conjoncture_2013.pdf.

[60Bouglé.

[61Houellebecq, « Un remède à l’épuisement d’être ».

[62Marc Augé, « L’ambibalence du masque » (Centre Photographique Marseille, 2017).

[63Mychkine, « Une sociologie du masque chez le photographe Marc Lathuillière ? »

[64David Gauthier, « La France Musée de Marc Lathuillière », La Critique.org, Décembre 2014, http://www.lacritique.org/article-musee-national-le-produit-france-2.

[65Viviant, « France Clichés ».

[66Bouglé, « Le visage d’un être de conjecture ».

[67Pascal Beausse, Marc Augé, et Marc Lathuillière, L’anthropologue et le photographe, Juillet 2017, http://www.lathuilliere.com/p/Pascal-Beausse_Marc-Auge_In-conversation_2017_English.pdf.

[68Léon Mychkine, « Une sociologie du masque chez le photographe Marc Lathuillière ? »

[69« Je vous confierai comment je l’interprète : Il symbolise, à mon sens, le personnage, homme ou femme, qui s’interpose entre la ville et moi…du consommateur impénitent dont nous voudrions qu’il arrache son masque pour interrompre l’échange aveugle et vide qu’il nous impose et nous restituer du même coup la ville de Marseille en sa diversité et sa beauté. » Augé, « L’ambibalence du masque ».

[70Comme le note Lathuillière : Defacing and freezing the subjects, the mask casts these daily surroundings in an estranging light, revealing the stereotypes upon which we build our lives.” Fruchtnis, « A Stereotype Hunter ».

[71Comme le note Lathuillière : « Sans cette mise sous blister, on ne percevrait pas que ces scènes sont de l’ordre du spectacle : une décalcomanie du monde. Masqué, le Moi est mannequin de cire [...] » Bouglé, « Le visage d’un être de conjecture ».

[72« Le second indique que c’est en multipliant les plans de perception que la photographie de paysage doit désormais sortir de son académisme documentaire pour représenter un monde en mutation. » Conesa, « Refracting ».

[73Comme le note Lathuillière : « À la différence que je les photographie à travers des rideaux d’arbres, masquage qui invite à se placer du côté du vivant, de l’animal ou du végétal, pour regarder ces zones impactées par la crise. » Conesa.

[74Bouglé, « Le visage d’un être de conjecture ».

[75Marc Lathuillière, « Fractal Spaces », s. d., https://www.lathuilliere.com/fractal-spaces/.

[76Mychkine, « Une sociologie du masque chez le photographe Marc Lathuillière ? »

[77Deleuze, L’image-temps, 106.

[78« Ce qui constitue l’image-cristal, c’est l’opération la plus fondamentale du temps : puisque le passé ne se constitue pas après le présent qu’il a été, mais en même temps, il faut que le temps se dédouble à chaque instant en présent et passé, qui diffèrent l’un de l’autre en nature…Il faut que le temps se scinde en même temps qu’il se pose ou se déroule. » Deleuze, 108.

[79La vie-non organique est un terme qui décrit la vitalité du Temps. Pour Deleuze, le Temps aurait une puissance cristalline à dédoubler les images, chaque présent se dédoublant avec son propre passé, mais aussi, grâce à ce dédoublement à générer un flux de passage du Temps, une succession entre les images. Deleuze, 109.

[80Comme le rappelle Lathuillière : « Je me suis dit que, si je devenais voyant, je devais obligatoirement porter ce costume. » Franck Fiscbach, « La monstrueuse performance de Marc Lathuillière », Courrier Vendée, Août 2008, http://www.lathuilliere.com/press/clippings/CourrierVendeen-w.jpg.

[81Augé, « L’ambivalence du masque »

[82Deleuze, L’image-temps, 237.

[83Deleuze, 115.

[84Deleuze, 117.

[85Raymond Roussel, Locus Solus, Librairie Alphone Lemerre (Paris, 1913), 100.

[86Marc Lathuillière, « Luces Distantes », s. d., https://www.lathuilliere.com/luces-distantes/.

[87Lathuillière.

[88Deleuze, L’image-temps.

[89« Tantôt au contraire, il s’agit de vider un territoire de son peuple, pour faire un bond en avant, quitte a faire venir une main-d’œuvre d’ailleurs. L’histoire du sionisme et d’Israël comme celle de l’Amérique est passée par là : comment faire le vide, comment vider un peuple ? » Gilles Deleuze, Deux régimes de fous textes et entretiens, 1975-1995, éd. par David Lapoujade (Paris : Éditions de Minuit, 2003), 180.

[90Marc Lathuillière, « The Fluorescent People », s. d., https://www.lathuilliere.com/the-fluorescent-people/.

[91Comme le note Lathuillière : “A critical rereading of ethnical photography, these clichés intent to deconstruct how the genre assigns minorities to a timeless past, a mental frame akin to a reservation.” Fruchtnis, « A Stereotype Hunter ».

[92Comme le note Marc Augé : « Bien sûr il a travaillé sur des populations lointaines, l’altérité absolue, mais il s’est rendu compte que cette altérité était relative, dans la mesure où les gens qu’il observe réagissent à la modernité et ne sont pas simplement un objet passif. » Beausse, Augé, et Lathuillière, L’anthropologue et le photographe.

[93Comme le note Lathuillière : “I have used items like PVC pipes, jelly pots, plastic film or fluorescent lights to project the villagers into science-fiction like environments. It’s also a poetic reflection on photography, trying to use the medium not to document what has been and what is fast disappearing, but as a way to explore, or invent, fictional futures.” Poomsawai, « Marc Lathuillière on Fluorescent People ».

[94Comme le note Marc Augé : « Mais, en effet, derrière tout cela, on voit les traces de la mondialisation. Et il n’est pas exclu que Marc soit apparu comme un élément de cette globalisation, et qu’au fond on ait joué avec lui un peu comme avec une version aimable du monde extérieur. » Beausse, Augé, et Lathuillière, L’anthropologue et le photographe.

[95Comme le note Lathuillière : “The beauty of this world is its diversity. And when different cultures meet, they create fascinating hybrids.” Poomsawai, « Marc Lathuillière on Fluorescent People ».

[96« Le destructeur de toutes les valeurs connues, le lion au non sacré prépare sa dernière métamorphose : il devient enfant. » On peut même dire qu’aujourd’hui la science se confronte à la question de l’image et de la création : quel monde crée avec la puissance technique, quelles créatures avec la puissance génétique. Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, 6e édition (Presses Universitaires de France - PUF, 2010), 220.

[97« Sujet résiduel de la machine, le sujet-nietzschéen tire une prime euphotique (Voluptas) de tout ce qu’elle fait tourner, et que le lecteur avait cru être seulement l’œuvre en fragment de Nietzsche...Non pas s’identifier à des personnes, mais identifier les noms de l’histoire à des zones d’intensités sur le corps sans organes. » Deleuze et Guattari, L’anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie, 28.

Visuels : © marc lathuillière sauf mention