vendredi 26 octobre 2012

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Correspondances vibratoires

Notes sur quelques photographies de Philippe Fabian

, Jean-Louis Poitevin et Philippe Fabian

L’association de deux éléments hétérogènes est l’une des sources incompressibles de la pensée. Point de départ de toute forme de comparaison et donc de toute relation, la métaphore établit un lien entre des éléments à partir d’une ressemblance supposée.

Image et métaphore

L’association de deux éléments hétérogènes est l’une des sources incompressibles de la pensée. Point de départ de toute forme de comparaison et donc de toute relation, la métaphore établit un lien entre des éléments à partir d’une ressemblance supposée. Entée dans le langage comme dans son sol originaire, la relation métaphorique semble devoir en partie échapper à l’image photographique dont les liens étroits avec la ressemblance, s’ils ne l’interdisent pas, en réduisent du moins fortement la puissance d’impact.

Paysages Simultanes 27

L’association entre deux ou plusieurs images est une manière souvent utilisée par les photographes pour tenter de palier à cette faiblesse symptomatique. Souvent peu efficaces, ces associations fonctionnent comme des double-bind masqués, inscrivant plutôt un redoublement du doute là où l’on chercherait la possible levée de l’angoisse.
Les images ont depuis changé de statut. Multipliées à l’infini sur les écrans du monde, elles coulent désormais, semblant courir les unes après les autres après avoir apparemment abandonné toute prétention à relier entre elles les éléments qu’elles emportent autrement que par leur course sans fin, et donc à produire dans l’esprit de ceux qui les font et les regardent des chocs salutaires.

Paysages Simultanes 30

Zurich

Philippe Fabian a orienté son travail, il y a quelques années du côté de l’association d’images. Ce sont le plus souvent des paysages ou des intérieurs dont il provoque la rencontre inopinée et inattendue sur la surface unique de l’image. Ces rapprochements ont pour fonction manifeste de croiser des données hétérogènes et de produire sinon des chocs du moins un effet de surprise. S’en tenir là ne permettrait pas de passer à cette autre dimension qui est une porte pour la pensée.

Serie Interieurs 40 Zurich

Car il y a deux niveaux au moins d’associations, celles qui se produisent dans l’image et celles que produisent les images composées de ces associations.

L’enjeu de l’art est de permettre de passer de l’un à l’autre de ces niveaux. Philippe Fabian compose ses images de manière à ce qu’elles répondent à cet appel implicite de la pensée, mais il le fait en passant de la simple association à une sorte de glissement, à une forme de mise en jeu de la fluidité même de l’image contemporaine. En redoublant l’arrêt sur image qu’est par nature une photographie par sa mise en mouvement dans la rencontre de deux images, il réintroduit l’arrêt qui seul permet la formation de cette troisième image, mais il le fait afin que ce moment puisse correspondre à une sorte de satori mental.

Si la série des images réalisées à Zurich a une fonction propre dans l’ensemble des photographies qu’il a réalisées, c’est qu’elles dessinent une cartographie particulière. Il s’agit là en effet moins de dire une ville que de dire quelque chose sur ce moment de la rencontre non pas tant entre deux images qu’entre les deux points de vue source qui président à la formation chaque image.

Ce qui est en jeu ici c’est quelque chose de particulier qui est comme la possibilité même d’une association qui ne relèverait pas d’un sens préétabli mais d’une correspondance vibratoire.

Serie Interieurs 45 Zurich

La rencontre n’est pas celle de deux images mais celle de deux vibrations colorées glissant sur une surface et qui formeraient image non pas avant mais au moment de leur rencontre. C’est ce que nous « raconte » chacune de ces images zurichoise.

Ce qu’elles « effectuent » est plus singulier encore. Si ce qu’elles montrent en tant qu’image est le moment d’un accord vibratoire, il est aussi celui de l’engendrement de l’image comme dissociation de deux vibrations.
Appréhendée ainsi, la relation apparaît alors comme étant moins rencontre que prolongement différencié, comme si l’image matérielle partait à la recherche non de son double réel mais de son origine mentale ou plus exactement montrait en quoi toute image est mentale et que cette dimension mentale n’est pas d’abord image mais d’abord rencontre de vibrations infigurables.

Serie Interieurs 50 Zurich

Une image n’est donc un point de vue sur le monde qu’en un sens second. Elle est avant toute chose apparition, apparition au croisement de deux vibrations, apparition là où se fondent deux ondes glissant l’une sur l’autre.
C’est cette fonction d’onde de et dans l’image photographique que Philippe Fabian capte avec lucidité. L’immobilisation et le recouvrement partiels des deux réalités présentées, auxquelles parvient chacune de ses images, rendent parfaitement compte du nouveau statut des images contemporaines. C’est ce que souvent les photographies paradoxalement manquent, tant elles fonctionnent sur un phantasme obsolète de capture de la réalité. L’image est une vibration lumineuse, un balayage d’ondes traversant des champs magnétiques en quête de légitimité et le réel est un songe.

C’est ce songe que nous montre Philippe Fabian et qu’il décline, ici, à Zurich, dans une mise en scène raffinée qui nous fait éprouver comme notre dimension vitale même l’instabilité quantique à travers la perceptible réalité des choses.

Voir en ligne : http://www.philippefabian.com/