vendredi 29 septembre 2017

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Confine - Plus loin que l’horizon

Une exposition et une série de photographies de Vittoria Gerardi à la galerie Thierry Bigaignon

, Jean-Louis Poitevin et Vittoria Gerardi

Un voyage, des villes, et au milieu, un désert.

La vallée de la mort s’impose : monde sans l’homme, monde d’avant l’homme, monde d’après l’homme, monde dans lequel l’homme n’a pas sa place. Vivre et mourir sont, ici, sur la même ligne, à la même hauteur, celle du regard. Et devant, là où le regard se perd, comme toujours, comme partout l’horizon. À ceci près que de cet horizon, il n’y a rien à attendre.

Certes, on peut imaginer que soudain, de l’horizon, une caravane apparaissent qui sonne, comme ce fut le cas pour Saint-Exupéry, dont l’avion s’était abimé dans le désert, l’heure du sauvetage. Hors de ce scénario, l’horizon se tient là, éternellement inaccessible, décourageant toute tentative de le rejoindre, puisque vivre, ici, c’est déjà mourir.

Et pourtant une autre expérience est possible. Sans doute pas directement dans le désert, mais en relation étroite et intime avec lui. C’est de cette expérience que parlent les oeuvres de la jeune artiste italienne vivant à Londres, Vittoria Gerardi.

Confine Paris 2017 from TK-21 on Vimeo.

Horizon

L’horizon est un mot qui à lui seul dit tout de la situation de l’homme, de sa présence physique sur terre, comme de sa situation existentielle.
Avancer, c’est ne jamais l’atteindre. Attendre, c’est laisser ouverte la possibilité que rien ne se manifeste. La phénoménologie a parfaitement compris qu’au-delà de sa matérialité l’horizon était porteur d’une métaphore puissante transformée en un concept efficace, puisqu’elle en fait le « lieu » le plus lointain devant elle et le plus intérieur en elle, dont conscience était pourvue. L’horizon, dans la pensée occidentale est toujours l’horizon de la conscience. Il est la nom de l’inatteignable et la forme de l’attente.

Ce que Vittoria Gerardi a compris grâce à une sorte de révélation vécue dans la vallée de la mort, c’est qu’il n’y avait plus rien à attendre de l’horizon en termes de confirmation des conditions d’une existence possiblement heureuse pour la conscience.

Par contre, il lui est apparu possible que, dès lors qu’on n’attendait plus rien – posture qui résume bien la situation existentielle de l’humanité en ce début de millénaire après l’impossible recours à un dieu pour expliquer ou justifier le monde – on puisse avoir recours à l’horizon comme matrice imaginale. S’il n’y a rien à voir au-delà de la ligne de l’horizon, dès lors, il est possible de faire de cette ligne de partage entre ciel et terre, attente et désespoir, forme émergente et disparition programmée de tout, l’élément d’une production de formes qui fasse exister une sorte d’anti-monde comme réponse à la vanité de l’attente.

Labyrinthe et révélation

Le désert s’étant manifesté à elle comme une révélation, qui est au fond celle de notre situation existentielle globale, Vittoria Gerardi a aussitôt compris deux choses : que le désert était, analogiquement égal au labyrinthe, un domaine dans lequel la pensée se trouve en se perdant et se perd parce qu’elle croit s’être trouvée, et que l’imagination alliée à des gestes de la main était le moyen de répondre à ce qui sinon peut-être vécu comme une chute à travers tout dans l’abîme.

L’horizon ne promettant plus rien, il est devenu possible de prolonger la révélation du désert par une révélation à travers des formes à la fois portée par l’émotion et produite par un jeu riche d’associations constructive entre la main et l’esprit.

Elle appelle cela l’imagination visuelle. Cela fonctionne ainsi : ne pas tenir le négatif pour une représentation de la réalité qu’il faudrait sauver, mais par des gestes de cache, de découpe, de jeu avec les chimie et la lumière dans la chambre noire, moins faire apparaître que produire une image seconde en reproduisant, en accomplissant, par soi-même, dans le secret de la chambre, le processus de la révélation.

Narcisse sans visage

Là où il n’y a rien à attendre, là aussi croît le possible. C’est forte de cette révélation que Vittoria Gerardi a pu s’approprier le désert. En effet, dans ce face à face, ce qu’elle a vu c’est le visage de l’homme, celui qu’il voit dans le miroir. Le désert est l’image sans trait du vrai self. Et de jouer avec ce désert horizon sans attente au moyen d’une pratique plasticienne de la photographie, c’est inventer le visage de de main de l’humain.

Ainsi, il n’est pas étonnant que poussant jusqu’à ses limites pratiques son approche plasticienne de la photographie, dans un oubli radical de toute idée de représentation saisie par un négatif et uniquement sensible à des tonalités de gris, de brun, elle se soit lancée dans des oeuvres qui, par le même jeu de cache radicalisé, ont rendu manifeste sur l’image des ligens croisées, entrecroisées, un peu à la manière dont on représente l’adn.

En intériorisant le désert par la prise d’un photo, la découpe du négatif, le jeu de cache et d’exposition à la lumière, le montage et la réalisation finale d’une image unique, elle nous offre, à chacun de nous, une sorte de portrait intime, en nous révélant l’image inacceptable de ce que nous sommes, un être perdu dans le désert cosmique qui ne peut vivre qu’en imaginant. Et elle parvient à nous faire de cette révélation déceptive, à travers des images d’une douceur extrême qui sont comme une caresse qui crisse.