dimanche 27 février 2022

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C’est du Jazz latin épisode 01

Le podcast TK-21

, Pedro Alzuru

Plus de 12 millions d’africains, selon les estimations les plus prudentes, ont été obligés de traverser l’Atlantique entre les siècles XVIe et XIXe et forcés à l’esclavage dans toute l’Amérique. La diaspora africaine, ancêtres des afro-américains représente un tiers de la population américaine actuelle. Avec un pourcentage variable dans tous ces pays, ces communautés ont aujourd’hui une forte influence sur la musique et la culture, de toutes les Amériques.

Une des contributions la plus importante de cette population et sa culture au monde globalisé actuel est sa musique, nettement le jazz latino (latin jazz, jazz latin). C’est pour ça que je vous propose un programme radio/podcast sur ce genre musical qui a la potentialité de donner unicité (dans sa diversité) et identité (en changement permanent) à cette population et aux amants de sa culture.

Un programme mensuel d’une heure où se tisseront commentaires et pièces musicales, avec un nombre d’épisodes indéterminés. Un espace pour la nostalgie et la gaité, cultivé et populaire, pour la danse et pour l’écoute.

Aujourd’hui les hispaniques, les latinos, les sud-américains, les caribéens sont aussi en diaspora de par le monde, aussi en Europe, en France, à Paris. Ce programme se propose partager avec eux et avec les amants de sa culture, la bande son de sa vie passée et présente, de sa saga dans la modernité.

Du début du XXe siècle, même avant, mais très fortement à partir des années 40 la musique afro-américaine du nord, le jazz, a commencé à faire fusion avec les différents genres de la musique afro-caribéenne, maintenant cette fusion s’élargie avec la musique de toute l’Amérique (du centre, du sud, hispanique, portugaise, française, anglaise, néerlandaise). Cette musique, cette culture clame cet espace. Un genre musical qui nous parle de migration, nostalgie, intégration, métissage, multiculturalisme, globalisation, cosmopolitisme, etc.

Notre propos est de contribuer à faire connaître aux latinos ce que nous partageons comme musique et comme culture et à le faire aimer par un public plus large. Et ainsi faire de la culture latino-américaine quelque chose de réel, au-delà des bonnes intentions, des discours et du populisme. Le grand objectif auquel je veux que mon projet contribue, c’est un monde dans lequel l’Amérique latine joue un rôle plus cohérent avec ses potentialités. Un monde avec la conscience et la pratique de sa uni multiplicité, savoir et faire que nous sommes un dans nos différences. Il n’y aura pas de société idéale, ce projet aura toujours raison d’exister.

De cet épisode 0 de « C’est du Jazz latin » nous allons prendre la deuxième pièce comme générique du programme (El mundo de las locas, Tito Rodríguez, album At The Palladium, 1960, 6 :00), celle qui va nous identifier tout au long de l’existence du programme. Mais nous allons commencer, respectant un certain ordre chronologique, avec une pièce de Machito.

Francisco Raúl Gutiérrez Grillo alias Machito (pièce 1 Cubop City, album Machito & His Afro-Cubans, 1949, 8 :48)., né le 16 février 1912 à La Havane, est un compositeur de musique latine et afro-cubaine, percussionniste qui jouait notamment des maracas, chanteur et chef d’orchestre américain. Machito meurt d’une crise cardiaque à University College Hospital après un concert au Ronnie Scott’s à Londres le 15 avril 1984.

Entre 1928 et 1937 il se produit avec plusieurs des orchestres de danse les plus populaires de Cuba. Devenu professionnel, il ne quittera La Havane qu’en 1937 pour former son propre orchestre, fusion de jazz et de musique afro-cubaine, les Afro-Cubans, avec son beau-frère Mario Bauza, après avoir été, à New York, percussionniste et chanteur dans les formations « typiques » de Xavier Cugat et Noro Morales vouées à la danse. Il a joué avec de nombreux musiciens de jazz, parmi eux : les pièces Flying Home (avec le saxophoniste Flip Phillips, 1948), Mango Mangué (avec Charlie Parker, 1948) ou Mirra (avec Dizzy Gillespie, 1975).

Il restera un héros du jazz latin, étant le premier à réaliser cette fusion, appelée plus tard latin jazz à New York et aux États-Unis. Il sera à la tête d’un des plus grands groupes de ce genre, permettant à des musiciens tels que Chano Pozzo et Dizzy Gillespie de s’exprimer pleinement. Machito and his Afro-Cubans (avec Mario Bauzá, René Hernández, Chico O’Farrill, et Dizzy Gillespie), joua un rôle central et charnière dans l’acceptation des rythmes latins par les jazzmen américains et par les mélomanes du monde entier. Leur façon de concevoir les arrangements fut essentielle au développement et à l’essor de ce courant musical.

Pablo Tito Rodríguez Lozada, Tito Rodríguez (pièce 2 et générique du programme, El mundo de las locas, album At The Palladium, 1960, 6 :00), né le 4 janvier 1923 et mort le 28 février 1973, chanteur et chef d’orchestre né à Santurce, à Porto Rico, mais dont la majeure production artistique s’est passée à New York.

Live at the Palladium de Tito Rodriguez est une grande performance enregistrée il y a 60 ans. Beaucoup de fans de salsa d’aujourd’hui y reconnaîtront deux chansons emblématiques de Rodriguez ; Mama Güela et El Sabio ; les fans de jazz latin, de son côté, ne peuvent pas manquer le populaire Satin and Lace et surtout, à notre avis, El mundo de las locas une descarga endiablée qui nous charme encore 60 ans après.

José Mangual (pièce 3 Mai Kinshasa, album Buyú, 1977, 7 :00), est né à Porto Rico le 18 mars 1924 et est arrivé à New York à l’âge de 14 ans, mort en 1998. Père des percussionnistes José Mangual Jr. et Luis Mangual. Influencé par l’orchestre Casino De La Playa, Septeto Puerto Rico et Issac Oviedo, Mangual a maîtrisé tous les instruments de percussion latine, bongos, congas et timbales, ce qui l’a conduit à un travail de session constant à partir de la fin des années 40, depuis son arrivée à New York.

Parmi les albums sur lesquels Mangual est apparu au fil des ans, citons April in Paris de Count Basie (1955), Sketches of Spain de Miles Davis (1959), Talkin’ Verve de Dizzy Gillespie (1957), Babarabatiri de Tito Puente (1951), Spanish Grease (1965) de Willie Bobo, Viva Emiliano Zapata (1974) de Gato Barbieri, ainsi que de nombreuses compilations de Charlie Parker.

Il a joué avec Miguelito Valdes, Arsenio Rodriguez, Chano Pozo, Percussion Quintet, Stan Kenton, Cal Tjader, Eddie Palmieri, Willie Bobo, Count Basie Orchestra, Dizzy Gillespie, Herbie Mann, Erroll Garner, Sarah Vaughan, Dexter Gordon, Stan Getz, Carmen McRae, Jorge Dalto, Ray Charles, Louis Jordan, Xavier Cugat, Tito Rodriguez et Tito Puente, entre autres.

En tant que leader, Mangual a d’abord enregistré l’album Understanding Latin Rhythms, Vol. 1 (1974), qui est devenu l’un des outils d’apprentissage les plus populaires pour les percussionnistes en plus de deux décennies et, en 1977, il a sorti le LP Buyú, qui a clairement montré sa force comme percussionniste et son dévouement à l’art.

Paquito d’Rivera (pièce 4 Claudia, album The Best of Paquito D’Rivera, 1982, 6 :35) est un clarinettiste et saxophoniste cubain, né à La Havane en 1948. Enfant prodige, expert du saxophone alto, il est aujourd’hui un des grands noms du jazz latin. Il a fait partie du groupe Irakere. Il est aussi clarinettiste, compositeur, chef d’orchestre. Il est actif depuis 1965 dans les genres jazz, post-bop et jazz latino. Au début de 1980, lors d’une tournée en Espagne, il a demandé l’asile à l’ambassade américaine.

Tout au long de sa carrière aux États-Unis, les albums de D’Rivera ont atteint le sommet des charts de jazz. Ses albums ont montré une progression qui démontre ses capacités extraordinaires en musique bebop, classique et latino/caribéenne. D’Rivera transcende les genres musicaux car il a remporté des Grammy Awards dans les catégories Classique et Latin Jazz

Herbert Hancock (pièce 5 Rockit, album Future Shock, 1983, 5 :25), est un pianiste, claviériste et compositeur de jazz américain, né le 12 avril 1940 à Chicago dans l’Illinois. Il est l’un des musiciens de jazz les plus importants et influents de sa génération. Il a mêlé au jazz des éléments de soul, de rock, de funk et de disco. Nous voulons souligner la présence du conguero cubain Daniel Ponce, un marielito, comme on nommait ceux qui furent libérés par le régime cubain par le port de Mariel en 1981.

Dave Valentin (pièce 6 Footprints, de Wayne Shorter, version Dave Valentin, album Flute Juice, 1983, 5 :43) est né le 29 avril 1952 à New York aux États-Unis, il est décédé dans la même ville le 8 mars 2017 à l’âge de 65 ans. Il a étudié à la High School of Music & Art, son instrument était la flûte et il a été actif de 1977 à 2012, dans les genres de la salsa et surtout du jazz latin.

Les musiciens dans cet LP : bas (Fretles) Lincoln Goines, congas, bongos Steve Thornton, drums Tito Marrero, flûte, arrangements Dave Valentin, percussion Roger Squitero, piano (acoustique) Bill O’Connell, timbales Manolo Badrena.

Arturo Sandoval (pièce 7 Danzón, album Danzón, 1994, 6 :18) est un trompettiste, pianiste et compositeur de jazz cubain-américain. Alors qu’il vivait dans son Cuba natal, a été influencé par les musiciens de jazz Charlie Parker, Clifford Brown et Dizzy Gillespie, rencontrant finalement Gillespie plus tard en 1977. Gillespie est devenu un mentor et un collègue, jouant avec Sandoval dans des concerts en Europe et à Cuba et ensuite avec lui dans l’Orchestre des Nations Unies. Sandoval a fait défection lors d’une tournée avec Gillespie en 1990, et il est devenu citoyen américain naturalisé en 1998.

Producteur, Interprète associé, Trompette, Percussion, Arrangeur d’enregistrement : Arturo Sandoval, Producteur, Interprète associé, Arrangeur d’enregistrement : Richard Eddy, Interprètes associés, Guitare basse : Sal Cuevas, Conga : Carlos Gomez, Batterie : Orlando Hernandez, Flûte : Dave Valentin, Piano : Danilo Perez, Saxophone, Flûte : Ed Calle, Trombone : Dana Teboe, Trompette : Roger Ingram, Personnel de studio, Ingénieur : Michael Couzzi, Compositeur Parolier : Arturo Sandoval.

Jerry González (8 Lament, Jerry González & The Fort Apache Band, album Crossroads, 1994, 7 :00), né le 5 juin 1949 et mort le 1er octobre 2018) était un chef d’orchestre, trompettiste et percussionniste américain d’origine portoricaine. Avec son frère, le bassiste Andy González, il a joué un rôle important dans le développement du jazz latin à la fin du XXe siècle. Au cours des années 1970, tous deux ont joué aux côtés d’Eddie Palmieri et Grupo folklorico y experimental nuevayorquino, dans Conjunto Libre de Manny Oquendo, et de 1980 à 2018, ils ont dirigé The Fort Apache Band. De 2000 à 2018, Jerry González a résidé à Madrid, où il a dirigé Los Piratas del Flamenco et El Comando de la Clave. En octobre 2018, il est décédé d’une crise cardiaque après un incendie dans sa maison à Madrid.

Interprètes associés, trompette, bugle, conga Jerry González ; saxophone alto, saxophone soprano Joe Ford ; saxophone ténor John Stubblefield ; piano Larry Willis ; basse électrique Andy González ; batterie, cloches, percussions, producteur, producteur adjoint Steve Berrios ; personnel de studio, superviseur de l’enregistrement Todd Barkan ; producteur adjoint Robert Sadin ; ingénieur d’enregistrement Mike Krowia ; ingénieur de maîtrise George Horn ; compositeur parolier J.J. Johnson.

Cette sélection de pièces nous permet dès le début d’établir certains aspects de la perspective du programme. Le jazz latin tel que nous le connaissons aujourd’hui à ses origines dans les années 1940, il y a environ quatre-vingts ans, à la suite de la rencontre de musiciens de jazz nord-américains et essentiellement de musiciens nord-américains, cubains et portoricains, mais pas seulement, puisque dès son origine c’est un genre ouvert à de multiples fusions. Si Machito et Bauza, Guillespie et Chano Pozo, Chuco O’Farrill et Juan Tizol sont nommés, nous ne voulons pas dire qu’ils ont l’exclusivité d’un phénomène aussi complexe que celui-ci qui implique une connaissance mutuelle, au-delà des programmes explicites, de la politique, de la traite des esclaves, du colonialisme, etc., des cultures d’Afrique, d’Europe et d’Amérique.

Nous ne doutons pas que ces relations ont commencé bien plus tôt, mais nous voulons nous limiter ici au phénomène du latin jazz. Nous pouvons dire la même chose des deux villes qui ont marqué son origine, La Havane et New York, nous ne doutons pas que des événements parallèles, encore à étudier, se soient produits dans d’autres scénarios. Il est cependant indéniable, jusqu’à aujourd’hui, de signaler les épicentres de ce phénomène social total aux États-Unis, à Cuba et à Porto Rico, tout comme il est indéniable qu’au cours du XXe siècle et jusqu’au XXIe siècle, le phénomène s’est mondialisé et aujourd’hui on trouve des interprètes de jazz latin partout en Amérique, en Europe, en Afrique, en Asie, aux quatre coins du monde. Si à l’origine cela pouvait être délimité à New York et dans le Cu-bop, aujourd’hui le genre assume avec toutes ses conséquences le nom de jazz latin.

Toutefois, avec les limites entre les genres, déjà dans le domaine strictement musical, on ne peut pas non plus être très orthodoxe, on retrouve ici des morceaux structurants de Cu- bop, mambo, jazz pop, jazz funk, danzon, boléro. Mais tout cela est inextricablement lié au latin jazz. On peut en dire autant de la relation entre la salsa et le latin jazz, surtout si les musiciens sont en grande partie les mêmes. Pourtant, ces musiciens explicitent leur intention d’enregistrer des morceaux ou des albums, soit de salsa, soit de latin jazz, sachant qu’ils ne font pas la même chose ; comme s’il était clair qu’il s’agit de deux fronts.

C’est l’un des aspects les plus intéressants du genre, se voulant à la fois cultivé et populaire, envisageant une stratégie claire de légitimation sans cesser de servir son public d’origine, les noirs et latinos des quartiers populaires de New York, Cuba, Porto Rico, toute la région des Caraïbes et au-delà. Désirant faire écouter au mélomane, écouter attentivement comme le mérite un concert sur les scènes les plus prestigieuses du monde, sans lui enlever l’envie de danser. Nourrir la mélancolie des diasporas portoricaine, cubaine, vénézuélienne, à travers les Caraïbes et à travers les Amériques tout en célébrant la vie, contre tout racisme, contre les dictatures, contre la xénophobie, contre l’apartheid déguisé en démocratie et socialisme.