dimanche 31 juillet 2022

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en s’enfonçant dans la forêt

Christine Delory-Momberger

, Christine Delory-Momberger et Valérie Melin

L’« enquête intérieure » interroge le statut de l’investigation qui a pour but d’éclairer l’enquêteur en considérant la nécessité de passer par l’obscur, de se perdre dans une nuit de l’esprit pour trouver un nouveau chemin, celui de l’inédit absolu, à l’imprévisible radicalité, celui qui nous attend au détour du surgissement d’un point de vue, d’une image qui bouleverse le sens et restaure au fond l’ordre perdu.

Cette enquête intérieure s’opère de façon paradoxale par la médiation de l’image, certes, extérieure, mais aux vertus heuristiques. Elle vient convoquer ce que la pensée soumise à ses trames qui configurent un réel incapable de surprendre par des lieux et des liens nouveaux, ne peut voir au premier abord, puisqu’elle ne voit que ce qu’elle prévoit et ce dont la présence se réduit à la représentation. Se dessine, dans cette enquête intérieure, une forme poétique de sérendipité qui s’éloigne de la démarche scientifique à la méthode éprouvée par la rationalité, pour en retrouver le sens profond : découvrir, révéler, lever le voile dans une fulgurance qui échappe à toute anticipation.

Voir enfin les yeux dessillés.

Peut-être parlerions-nous d’un art profane, voire païen de la contemplation, sans transcendance, visant ce qui se dérobe toujours dans les éclairs même de sa manifestation : l’origine des origines, le soleil noir de la mémoire, le sans-nom qui nous permet de nommer et de parler le monde.

La forme même du livre, avec ses jeux de miroirs, son inversion du haut et du bas, constitue, en effet, une mise en abîme portant le soupçon de l’instabilité foncière du réel et de l’impossible achèvement de la quête. Le réel se défait, tel un nuage d’inconnaissance, dans les images troubles, troublées et troublantes qui le saisissent dans un saisissement qui ne sait dire s’il est le signe d’une révélation ou d’une énigme renouvelée.

Victoire d’avoir surmonté un temps l’oubli qui se retourne en défaite pour se muer encore en désir incandescent de fouiller toujours davantage. Une médiation sur la forme qui cherche, dans la fièvre d’un accouchement sans fin, à échapper à la nécessité des contours définitivement limitants par leur délimitation même, trop explicites pour donner place au caché, à ce qui se terre dans un au-delà du visible.

L’herméneutique commence en voulant pénétrer le mystère des textes sacrés qui nous relient au grand Autre. Comprendre, prendre avec, prendre ensemble, faire totalité, embrasser la gerbe de feu du sens, entrelacer l’embrasement de l’être pour s’y fondre et s’y reconnaitre. Tout dans ce désir évoque les liens à nouer qui sont au fondement même de l’humanité jetée au monde, par le miracle et l’horreur de la naissance, irréductible solitude. Le texte et les images font surgir la grande Mère, celle après laquelle on vient, le commencement de notre propre commencement, mémoire nécessaire et en même temps impossible qu’il faut, comme Sisyphe, composer et recomposer sans cesse pour faire lien et nous donner un lieu où déposer notre existence. Car le sans-non dont nous procédons est aussi le sang-nom qui nous fait advenir à travers la filiation.

La grande Mère se révèle et s’occulte dans une forêt sensible et symbolique dont l’obscurité s’éclaire grâce aux sillons tracés par des clichés photographiques et des mots images qui constituent à la fois le texte sacré et l’horizon de son déchiffrement. La forêt est ainsi la métaphore du texte sacré confondu avec l’herméneute qui l’interprète dans une co-création faisant de la quête de sens une archéo-logie sans fin, une migration vers l’origine, terre promise qui se dérobe inexorablement. Aucun être humain, au fond, n’échappe à l’exil mais cet exil est notre lieu et nous nous y repérons en habitant poétiquement le monde.

Voir en ligne : http://christine-delory.com

Valérie Melin est philosophe, Maitresse de conférences à l’université de Lille

LE LIVRE :
Arnaud Bizallon Éditeur,
FF 18,6 x 27 cm, ouvert 37,2 x 27 cm
Intérieur 1 : 48 pages couleur, imprimées sur Freelife Vellum Premium 140 g
Intérieur 2 : 32 pages imprimées Noir R°V°, sur Freelife Vellum Premium 120 g
Finition : cartonné cousu, Wibalin reborde, carton gris 3 mm, tranchefile
Décembre 2021
EAN 9782369801948
ISBN 9782369801948
PP : 22 €