dimanche 2 février 2020

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Ultra-lésions

GaM-Galerie des musées (Toulon) 13 décembre 2019 - 29 février 2020

, Floryan Varennes

Floryan Varennes fait fusionner les blessures de guerre et les sutures médicales dans un ensemble de pièces conçu à partir d’un héros absent, un chevalier tout droit sorti d’un jeu de rôle dont il ne donne à voir que les attributs revisités : armes, armures, accessoires, emblèmes, étendards et blasons.

Traduits dans des formes minimalistes, sophistiquées à l’extrême, ils constituent un corpus aussi mystérieux qu’élégant, dont la gamme chromatique met en contraste le blanc clinique, le bleu nuit, les reflets irisés, l’éclat du métal et le noir profond du cuir. Avec Ultra-Lésions, le plasticien poursuit sa recherche médiévaliste par laquelle il actualise des savoirs martiaux et médicaux, en les rapportant au sacré, au genre ou à l’apparat. Après avoir exploré les notions de chevalerie, d’amour courtois et de torture, il se concentre ici plus particulièrement sur la question du care (le « soin ») en exhibant des moyens de défense, des signes protecteurs ou des remèdes symboliques. Son répertoire de gestes (découper, assembler, enfiler, transpercer, tendre...) est d’ailleurs emprunté aux méthodes d’un chirurgien, comme pour mieux transformer le penser en panser. L’exposition marque enfin un élargissement de son réseau conceptuel. Les termes de « parade », « parure » ou « appareil » autour desquels s’articule sa réflexion s’ouvrent ici à celui d’« apparition » : plus que jamais, il s’agit d’étirer la plaie jusqu’à la béance et d’ouvrir une brèche temporelle en son creux.

L’exposition s’ouvre avec l’installation Mythopoïa par laquelle Floryan Varennes propose de figurer la genèse d’un récit fondateur. L’installation, qui tire son nom d’un poème de Tolkien de 1933, expose comme autant de reliques sacrées les éléments qui président à la fabrication d’un mythe. Présenté dans un coffret en plexiglass, organisé comme une table chirurgicale, l’ensemble réunit de mystérieux fragments de chemises noires sertis d’épingles, possibles fragments d’une armure démantelée, restes archéologiques d’une histoire immémoriale. Au nombre de neuf, symbole de perfection et d’idéal, ces formes précieuses invitent à une attention soutenue, empreinte d’une certaine solennité. En mythographe, l’artiste cherche à susciter la considération du spectateur pour ce récit cosmogonique en renvoyant la fascination esthétique au scrupule de l’enquête historique ou à la minutie de l’observation clinique.

Discipline 1.2
Discipline 1.2 (détail)

Elles aussi au croisement du médical et du martial, des sculptures héraldiques (Discipline 1.1, 1.2, 1.3 et Métamérie), sont placées en regard les unes des autres à travers les différentes salles d’exposition, appuyant le parallèle entre deux formes de discipline. Ces appareils de contrainte hybrident des fragments d’armure (heaume, plastron, gorgerin, bouclier…) à des orthèses médicales, pour évoquer la forme d’un trophée médiéval, d’un écu armorial ou d’une camisole de force. Le transfert de matière qui s’y opère (du métal au velours) sollicite l’imaginaire de la transmutation alchimique et celui de la transsubstantiation qui se parent, non sans ironie, d’une connotation morale. La métamérie (ou organisation du corps en segments) et la discipline auxquelles renvoient les titres associent en effet la droiture physique et la rectitude de l’âme, pour faire la promotion d’une gymnastique corporelle comme moyen d’éduquer et de soigner l’esprit.

Braca ou le baiser

Cette même double lecture se retrouve dans l’œuvre Braca ou le baiser, une pièce entre la muselière et la coque pénienne, qui figure l’ambivalence du soin et de l’oppression. Réalisées à partir de modèles de braguettes médiévales, apparues aux XIIe et XIIIe siècles, ces coques de virilité semblent ici contrariées dans leur fonction d’ostentation pour devenir un dispositif de contrainte. Remarquant en effet qu’elles sont souvent représentées dans les portraits d’histoire près de la tête d’un chien, Floryan Varennes réinterprète la parure en une muselière qui flirte avec l’accessoire fétichiste. Ce qui est censé exhiber, sinon sublimer, la virilité peut ici être vu comme ce qui vient la contenir, organisant un basculement constant entre l’idée de défense et celle de coercition. Tendues entre des fils torsadés en acier, les deux gueules face-à-face mettent en scène un jeu entre le montré et le dissimulé, comme des corps qui se mettraient à découvert en tentant de se protéger. Parées d’un masque en vinyle médical, doublé et renversé, les muselières peuvent enfin renvoyer à une prise de bec ou à un baiser langoureux, à une déclaration de guerre comme à une démonstration d’amour.

Braca ou le baiser

La deuxième salle rassemble deux pièces qui touchent au sacré et au rituel, exemplaires d’une esthétique hiératique chère à l’artiste, à l’articulation du sacré et du profane. Crux, dont le titre renvoie aux termes latins de « croix », de « supplice » et de « tourment », à l’architecture de la potence comme l’instrument de la crucifixion, prolonge les compositions des héraldiques en confrontant le religieux, le martial et le médical. Présentée tel un corps disséqué, sa forme renvoie plus spécifiquement ici à la suture, aux points en croix ou en X par lesquels on panse une plaie. Hiérophanie reprend quant à elle la forme du losange (symbole du passage entre le terrestre et le céleste), obtenue par la superposition de plusieurs cols noirs. Ornés de perles de rocaille inversés, symétriquement disposés puis mis à la verticale, de manière à faire apparaître un vide central. Evocation de la mandorle, auréole à la fois virginale et vulvaire, la forme ovale qui apparaît en son centre renvoie ici plus spécifiquement à une béance, à un trou, à une lésion.

Etendards

La dernière salle de l’exposition est sans conteste celle où l’effort dramaturgique est poussé le plus loin. Floryan Varennes imagine en effet un parcours dont la scénographie permet de déceler une progression narrative, bien que non linéaire. Pour la première fois, il dispose ses Etendards à travers l’espace de manière à constituer une forêt artificielle dans laquelle déambuler. Adoptant la figure du damier, qui conjugue les symboliques du losange (vulve ou passage terre/ciel) et de la grille (architecture du vide sacré), chaque étendard évoque aussi un piège à filet dans lequel les yeux peuvent se prendre et alors se perdre. L’iridescence de leur surface en cuir participe à neutraliser les assignations de genre associées à ses couleurs en faisant alterner reflets roses et bleutés, tandis que son scintillement indique une possibilité de transcendance. Comme plusieurs des pièces présentées, ce dispositif cache et découvre la fois. Creusés, évidés, affichant une présence subtile, les étendards amènent en effet à une double révélation, celle d’une fontaine magique puis celle du héros, signalé par son armure.

En référence au mythe de la jeunesse éternelle, la sculpture Jouvence assemble deux minerves médicales en une vulve montrée à l’horizontal, offerte, à peine éclose ou prête à déflorer. Brodées de perles, elle exhibe ses atours de jeune fille en fleur, non sans évoquer subtilement le collier de perle comme pratique sexuelle. L’utilisation du matériel médical nuance néanmoins cette charge sensuelle pour introduire entre l’œuvre et le spectateur une distance hygiénique. Les colliers cervicaux, aussi immaculés que stérilisés, renvoient alors à l’image d’une purification romantique qui fait jeu égal avec la sacralité des reliques. On peut d’ailleurs y déceler sans mal le souvenir d’une conque qui convoque l’imaginaire d’un bénitier ou celui de la Venus de Botticelli, au cœur d’une tension entre deux voies interprétatives : référence chaste à un objet liturgique, elle est aussi l’allégorie d’une femme-fontaine.

Eternelle

L’exposition se conclut avec la pièce maîtresse, Eternelle la partie supérieure d’une armure en plexiglass et en cuir. Toute en transparence, elle convoque autant l’imaginaire du matériel médical que la préciosité d’un exosquelette en cristal, renforçant cette dialectique entre intérieur et extérieur travaillée dans la plupart des pièces. Dessinée par des lanières en cuir à rivets, articulées entre elle à l’aide d’anneaux d’acier, à la manière d’un harnais BDSM, l‘armure semble comme découpée entre les chairs, au point que le système de protection semble aussi paradoxalement ce qui expose et rend vulnérable le corps vers lequel elle fait signe. Dans une exposition pensée comme un monde ouvert et immersif, où le public circule autant que le sens, ce héros en négatif brille ainsi par son absence. Il agit comme un Graal séduisant trouvé au fond d’une forêt, dont on ne sait s’il faut en prendre soin ou se sentir menacé par lui.

Florian Gaité

Exposition : Ultra lésions
Galerie des Musées (GaM)
22, 24 rue Pierre Sémard
83000 - Toulon
Du 13/12/2019 au 01/03/2020 de 12h à 18h sauf les jours fériés. Fermé lundi et dimanche.
Mise en espace : Martine Robin

Partenaires : Plexinautic, Médical Distribution, La Fabrique Maroquinerie, Philippe Serres Maroquinerie, Manufactures Bohin

Avec le soutien de la Galerie Le Cabinet d’Ulysse

Téléphone : 04 94 36 36 22
Téléphone : 04 94 36 34 59
Site web : http://www.toulon.fr