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LaRevue n°96


Éditorial

« Quel changement prodigieux, en vérité, que celui opéré par la Commune dans Paris ! Plus la moindre trace du Paris dépravé du Second Empire. Paris n’était plus le rendez-vous des propriétaires fonciers britanniques, des Irlandais par procuration, des ex-négriers et des rastaquouères d’Amérique, des ex-propriétaires de serfs russes et des boyards valaques. Plus de cadavres à la morgue, plus d’effractions nocturnes, pour ainsi dire pas de vols ; en fait, pour la première fois depuis les jours de février 1848, les rues de Paris étaient sûres, et cela sans aucune espèce de police. » Karl Marx, La guerre civile en France.


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poursuit son exploration de divers aspects de la scène artistique et créatrice d’images. Nous ne négligeons pas la création littéraire, c’est pourquoi nous offrons pour ce numéro de juillet un choix de textes, des extraits de livres, la plupart récents voire venant de sortir, d’écrivains ou d’artistes ayant pris la plume, tous habitués de la revue. Ce sont tout simplement des « entrées » dans des œuvres qui toutes à des titres divers méritent d’être découvertes et lues.

Nous ouvrons ce numéro avec un texte de notre collaborateur régulier Jae Wook Lee qui a été publié en décembre dernier mais dont nous proposons cette fois la traduction français par Christine Lenormand. Il s’agit de propositions générales pour l’enseignement en école d’art aujourd’hui. Qu’elles viennent d’un jeune artiste coréen vivant aux États-Unis et qui va devenir assistant professeur à la prochaine rentrée dans une université d’Arizona, voilà qui a de quoi nous pousser à réfléchir avec lui sur l’avenir de nos établissements d’enseignement artistique.

Herbert Holl et Kza Han nous aident à poursuivre le défrichage de l’œuvre d’Alexander Kluge. Nous avons engagé une « année Kluge » dans la revue. Gageons qu’elle va se poursuivre encore de nombreux mois tant son actualité est importante en France et son œuvre, littéraire autant que cinématographique, multiple. Nous sommes, grâce à lui, au cœur d’une des questions qui nous anime depuis le début, celle des relations complexes et changeantes entre texte et image prises aujourd’hui à partir d’un angle de vue qui inclut la guerre, des batailles et leur devenir textuel et cinématographique.

Dominique Moulon s’est rendu à Venise en cette année de biennale. « La thématique principale de cette 58e Biennale de Venise a été confiée au curateur américain Ralph Rugoff. Son intitulé, Puissiez-vous vivre en des temps intéressants, nous apparaît telle une injonction à apprécier le monde tel qu’il est au moment où nous l’observons. Se pose alors la question des points de vue ! » Un passage en revue aussi documenté que précis qui vaut voyage pour ceux qui ne pourront pas le faire.

Guillaume Basquin nous parle de La comédie du bonheur, un film peu connu de Marcel L’Herbier. On y découvrira aussi l’existence du dramaturge d’origine russe et théoricien du théâtre Nicolas Evreïnoff. Cette comédie se déroule sur la ligne tremblante du faux-semblant. « Et c’est alors que tout le film prend tout son sel/sens : par un tour d’écrou de la fiction, les acteurs se mettent à se prendre à leurs propres jeux, devenant les victimes d’amours simulées : la vie vient au théâtre/cinéma ; on ne peut plus vraiment distinguer le vrai du faux : qui aime qui ? Tout n’est plus qu’illusion. Illusion du bonheur apportant quand même le bonheur. »

Partenaires de la grande exposition que nous avons réalisée en 2014 à Paris, Rêver la terre, qui célébrait la rencontre de photographes taïwanais et français, Chang Chung Liang et Sun Weishuan reviennent en France comme commissaires de deux expositions se tenant à Paris ce mois-ci dans lesquelles ils poursuivent leur travail de défrichage et de rencontre entre des artistes de ces deux pays.

Dans le cadre de notre partenariat avec la revue Corridor Elephant, nous donnons à voir aujourd’hui les images de Laure Dubos qui elle-même précise ainsi ses intentions : « Le passé est comme un paquebot oublié le long d’un quai mais où l’on peut encore embarquer. La beauté d’un regard, un geste, une posture, ainsi se déroule le voyage en compagnie des absents, avec ses mystères, sa magie, ses secrets bien gardés, ses évidences aussi. C’est une recherche d’instants et d’éternités enfouis, disparus, oubliés, revenus soudain d’un long exil. »

Martial Verdier et Xavier Pinon poursuivent leur exploration photographique du bassin de Longwy avec une seule question en tête : « Comment 150 ans d’industrie lourde, de sidérurgie, peuvent disparaître en 15 ans pour ne laisser que quelques traces dans les mémoires et des friches à l’herbe rase et profondément polluées ? »


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vous propose pour ce numéro de juillet de découvrir quelques extraits de livres pour la plupart publiés récemment écrits par des artistes et des écrivains qui sont des habitués de la revue.

Pour ouvrir ce panorama sur une création littéraire et de réflexion tout à fait actuelle, Jean-Louis Poitevin consacre sa Logiconochronie XXXX à la présentation de deux livres d’artistes publiés par les éditions Transignum. Les textes sont de Werner Lambersy. Les œuvres qui les accompagnent ou même les précèdent et les déclenchent sont de la peintre de Martine Chittofrati et de la sculptrice Wanda Mihuleac.

Gérard Gartner dont nous avons présenté le travail mais surtout la grande action de destruction de l’ensemble de son œuvre sculpturale qui eut lieu en janvier 2018 à Douarnenez, à travers des films réalisés par Hervé Bernard, se révèle être un écrivain de première importance par le choix de ses « sujets » et par la radicalité de ses prises de positions. Après avoir publié il y a quelques années un livre sur le premier écrivain gitan, Matéo Maximoff, il s’impose aujourd’hui avec deux livres.
Le premier est consacré à la boxe entre les années trente et les années cinquante. Il s’intitule Dernier coup de poing (Éditions du Panthéon). Avant d’être artiste et écrivain, Gérard Gartner a été l’un de ces boxeurs formés à Pantin. Il ne se contente pas de raconter, il fait une déclaration d’amour à la boxe tout en lançant son « Mane Thecel Phares » au boxing business. Car cette époque a vu le noble art devenir une usine à tuer.
Le second ouvrage est consacré à Alberto Giacometti. Outre l’avoir connu et avoir approché son œuvre de très près, il produit dans ce livre un travail de réflexion philosophique important. Les nombreuses citations qu’il mobilise pour son analyse, confortent sa lecture très personnelle de l’œuvre du grand sculpteur. Car, il la comprend en relation avec sa propre obsession de la destruction. C’est la force de conviction de cet angle de vue qui fait de cet ouvrage un livre unique sur un artiste dont le travail pourtant bien documenté, n’a pas été approché d’une manière aussi intime et puissante.

Joël Roussiez nous offre un de ces textes dont il a le secret, une histoire d’amour en quelque sorte. « Il y eut de ce jour, jours heureux au moulin, le meunier et la femme soldat car ils étaient poètes, s’entendaient malgré la guerre à faire des vers ; et puis il y eut aussi des amours, elles naquirent d’un frôlement de main, de la peau douce au poignet, à la base du cou, on l’a dit mais aussi de la peau rugueuse et ferme aux épaules et aux bras ; “ah combien de fois, t’ai-je prise dans mes bras ?”, “ah si souvent que j’en pris mon comptant !” ». Il publie en général aux éditions La rumeur libre.

Alain Coelho, qui offre à TK-21 LaRevue la primeur de son nouveau livre, Images d’aurore dont la publication reprendra en octobre ici même, a aussi écrit de nombreux livres, romans ou essais. Le dernier en date est paru aux éditions Les Indés. Le meurtre des vierges folles, dont on peut découvrir ici un extrait, est un polar où l’art rencontre la vie de baroudeur d’un homme désabusé.